Gérardmer 2017
- Détails
- Dossier par Guénaël Eveno le 1 février 2017
L'heure est Grave
Le festival international du film fantastique de Gérardmer a fêté sa 24ème sélection du 25 au 29 janvier dernier. Entre son Espace Lac, son cinéma du Casino, sa MCL et son Paradiso, le planning fut une nouvelle fois bien fourni.
Les années de galère à l’entrée des séances sous un froid de vosgien ne sont plus que des mauvais souvenirs. Le système de réservation est pérennisé pour maximiser ledit planning et pouvoir flâner un peu sur le lac gelé au milieu des autochtones. Au rayon nostalgie, ce festival 2017 nous a offert sur grand écran l’onirisme ravageur des deux premiers Phantasm de Don Coscarelli ainsi qu’une version restaurée du très goûteux L’Enfer Des Zombies de Lucio Fulci. Hommage fut également rendu au talentueux Kiyoshi Kurosawa à travers une belle sélection au sein de sa filmographie dont son dernier film, Le Mystère De La Chambre Noire, projeté hors-compétition. Le reste de la programmation était bien tourné vers l’avenir.
Quoi qu'on pense de la qualité de sa sélection, le successeur d’Avoriaz reste un bon baromètre de l’état du cinéma fantastique non mainstream. Après quelques années sous le signe du found footage et pléthore de films d’infectés/zombies, on constate que les premiers sont (enfin) absents de la sélection et les seconds ne représentent plus qu’une portion congrue. Cette cuvée 2017 se place sans ambiguïté du côté des transformations, fourmillant d’histoires de surhommes ayant acquis un niveau supérieur à coup d’expériences malheureuses et/ou de souffrances. L’esprit modèle le corps en réaction à un environnement inadaptée aux démons intérieurs des héros. Ces transformations résolument modernes n’ont généralement rien à voir avec la magie et valident d’autant plus la nécessité d’un changement sociétal. Parlant de métamorphose corporelle, nous retrouvons sans surprise le très affamé franco-belge Grave de Julia Ducournau en lauréat du Grand Prix après celui déjà raflé au PIFFF. Un prix amplement mérité, mais aussi remporté faute de réelle concurrence en compétition officielle. Voici sans plus attendre les meilleurs morceaux d’une sélection globalement revigorante !
L’HÔPITAL ET SES FANTÔMES
L’officier Daniel Carter secourt un homme blessé au bord de la route et le conduit à l’hôpital. Les lieux deviennent alors le théâtre de transformations monstrueuses. Encerclés par les membres d’une étrange secte et rejoints par deux hommes visiblement dans l’œil du cyclone, Carter et les quelques survivants devront s’organiser pour survivre au cauchemar qui s’annonce. Et le terme n’est pas galvaudé : c’est une ambiance délétère et infernale qui traverse ce The Void. La pelloche démarre avec une patine très 70’s, à quelques encablures de Assaut de John Carpenter pour progressivement brasser de nombreuses influences. On vogue de Lucio Fulci (omniprésent dans la seconde partie) à Clive Barker, avec une pincée de Prince Des Ténèbres et un chouïa de Stuart Gordon. Le tout est emballé avec un sérieux qui rend l’entreprise équilibriste, opposant le réalisme du décor et des enjeux à un bestiaire mémorable dans une impression crescendo de chaos.
Rien de neuf sous l’ombre de H. P. Lovecraft, mais peu de films parviennent aussi admirablement à maintenir une même impression de malaise et d’urgence sur la durée. The Void se vit comme une expérience de voyage dans le temps, certes pas bien originale, mais paradoxalement revigorante. Issu du milieu des effets spéciaux et les comédies Manborg et Father’s Day au compteur, Jeremy Gillespie et Steven Kostanski ont réussi le coup de maître de ce Gérardmer 2017 avec un budget plutôt mince essentiellement capté par crowdfunding.
The Void de Jeremy Gillespie & Steve Kostanski, sortie indéterminée
CRIME EN SUSPENS
Le corps d’une femme inconnue est retrouvé dans le sous-sol d’une maison. Le shérif le conduit à la morgue du comté au sein de laquelle l’autopsie est conduite par le brillant médecin légiste Tommy Tilden (Brian Cox) et son fiston Austin (Emile Hirsch). Interloqués par l’absence de marques sur le corps malgré les horribles sévices internes subis par leur Jane Doe, le père et le fils ne sont pas au bout de leurs surprises, interrompus dans leur examen par des manifestations surnaturelles pas vraiment étrangère au corps sur la table.
Réalisateur du found footage Troll Hunter passé il y a quelques années en ces lieux, le Finlandais Andre Ovredal signe avec The Autopsy Of Jane Doe le meilleur film de la compétition officielle. La première partie développe avec dynamisme l’investigation que constitue une autopsie, distillant parcimonieusement les éléments qui rendent le cas particulièrement exceptionnel. Les prestations de Brian Cox et Emile Hirsch, complices et fusionnels, aident le spectateur à s’approprier très vite leur passé pour se laisser guider dans le vif du sujet. Ovredal joue très bien avec les éléments du décor et les informations contenues. Mais plus que tout, le cinéaste parvient à rendre véritablement menaçant un corps inerte. Omniprésente et silencieuse, la Jane Doe en question n’aura pas besoin de remuer un orteil, ni de raconter sa vie dans de longs dialogues, pour constituer une des menaces les plus intéressantes du cinéma d’horreur de ces dernières années.
The Autopsy Of Jane Doe d'Andre Ovredal, sortie salles : courant 2017
TRAITEMENT DE CHOC
Retrouver M. Night Shyamalan en ouverture du festival de Gérardmer valide un retour aux sources pour le réalisateur après ses tentatives de blockbusters terminées en grande peine. Un retour peut-être obligé, mais cet opus confirme, après l’agréable surprise de The Visit, que l'auteur de Phénomènes a su franchir ce difficile moment dans sa carrière pour démarrer une nouvelle époque fertile.
Split suit l’histoire de Kevin (James McAvoy) qui a de la personnalité à revendre. Son corps abrite pas moins de 23 personnalités, toutes très différentes et qui façonnent chacune ses réactions corporelles. Sa psychiatre est persuadée que les individus atteints de troubles dissociatifs comme Kevin sont exceptionnels tant ces multiples transformation sont générées uniquement par leur volonté. Influencé par plusieurs de ces personnalités, Kevin enlève trois gamines qu’il compte sacrifier pour une nouvelle identité émergente, bien plus puissante et destructrice. C’était compter sans la taciturne Casey, une des victimes particulièrement perspicace, et sa psychiatre qui sent venir un important changement important chez son patient.
De cette histoire de trois adolescentes victimes d’un taré, Split se révèle bien plus complexe pour entremêler les récits de ses différents protagonistes, comprenant quelques personnalités du ravisseur. L'auteur de Sixième Sens parvient à intéresser avec chacun de ces points de vue, bien aidé par trois protagonistes complexes pour trois acteurs convaincants, en particulier la jeune Anya Taylor-Joy. Shyamalan poursuit dans la veine de deux thèmes qui le hantent : l’extraordinaire pénétrant un univers ordinaire et l’aptitude surnaturelle qui naît des traumatismes. L’altération du minimalisme de ses premiers films pour un fantastique moins suggestif introduite avec The Visit est toujours prégnant. Même si le sujet s’y prêtait, on ne trouve plus dans Split de pirouettes scénaristiques trop évidentes, plutôt la volonté de raconter une histoire de la meilleure façon possible. On peut regretter que la conclusion et le coup de coude avoué d’un lien avec un autre opus de MNS restent trop putassiers, mais on ressort de la séance plutôt convaincu par ce thriller horrifique.
Split de M. Night Shyamalan, sortie salles : 22 février 2017
Surhomme (ou surfemme) et enlèvement sont également au programme de Rupture, le nouveau long-métrage de Steven Shainberg (Fur), également en compétition : une mère de famille divorcée (Noomi Rapace) est enlevée sur l’autoroute par une mystérieuse équipe bien décidée à expérimenter sur elle des jeux sadiques afin de la faire passer à un stade supérieur d’on ne sait trop quoi. Mais celle-ci ne l’entend pas de cette oreille et à force de fouiner, découvre l’horrible vérité derrière cette mascarade.
Steven Shainberg se fait rare (quatre films en vingt ans) mais il nous a tout de même offert le remarquable La Secrétaire, soient le plus beau rôle des carrières respectives de James Spader et Maggie Gyllenhaal. Un pareil cadeau aurait bien servi à Noomi Rapace, qui a montré son potentiel dans les premières adaptations de Millenium, mais s’est vite perdue dans une carrière parsemée de mauvais choix.
Rupture dégage une ambiance organique et une facture visuelle tout à fait recommandable, à la fois violente et clinique, pour de beaux moments de terreur avec les expériences et les ravisseurs, mais son propos déçoit à bien des niveaux : un suspens un peu trop dilué, beaucoup de conduits, de dédales et de couloirs pour au final peu de contenu et un dénouement d’une grande banalité au regard des promesses, qu’on n’éventra que partiellement en disant qu’il s’inspire de L’Invasion Des Profanateurs De Sépultures. Au milieu de tout ça, Noomi Rapace défend son rôle de femme forte et s’en sort avec les honneurs, et c’est déjà ça de gagné.
Rupture de Steven Shainberg, sortie indéterminée
QUINZE ANS PLUS TARD
En 2002 sortait 28 Jours Plus Tard de Danny Boyle, qui ouvrait la voie au film d’infectés et donnait une belle promotion à leurs cousins zombies. Il était temps que les rageux reviennent en territoire briton ! Adaptation par Mike Carrey de son propre roman, The Girl With All The Gifts apporte une variation intéressante au premier genre car le responsable de l’épidémie qui transforme les gens en cannibales est... un champignon. L'action se situe au cœur d’un camp regroupant des enfants mi-zombies mi-humains gardés en lieu sûr pour établir un vaccin. A travers ces postulats, The Girl With All The Gifts interroge sur le rapport des adultes à une nouvelle génération perçue comme menaçante sans véritablement chercher à la comprendre. La métaphore du difficile passage de relais est (trop) évidente. Anglais jusqu’au bout des ongles, The Girl With All The Gifts s’épanouit dans son côté intimiste avec un casting trois étoiles composé de Glenn Close, Paddy Considine et de la superbe Gemma Arterton.
Pourtant trop d'éléments ici sonnent comme un rendez-vous manqué. Les personnages sortent très peu du cadre de l’archétype (le soldat brutal, la prof empathique, la scientifique sans cœur) pour y retourner sitôt qu’on commence à s’attacher à eux. Si l’empreinte prégnante du jeu vidéo The Last Of Us apporte une touche de modernité, on peine à embrasser cette menace globale, à l’exception d’une scène composée de plan-séquences au premier tiers. Si le long-métrage de Boyle parvenait à rendre plus accessible la portée sociale du film de zombies / infectés, à rendre anxiogènes des rues désertes et des attaques surprises, des années de produits et de séries ont entre-temps rendu bien banales ces lieux communs qui appellent de fait à opter pour un cadre grandiloquent sous peine d’être cantonné à une série de scénettes à la Walking Dead. The Girl With All The Gifts ne se facilite pas non plus la tâche par un discours permanent sur le manque d'humanité de l'homme moderne confronté à son extinction couplé à une solution visant à confier les clés de l'humanité à des enfants cannibales. Sa résolution ouverte mais sans appel laisse à cette variation imparfaite le mérite d'une certaine audace. Et actuellement au cinéma, ce genre de qualité est un luxe.
The Girl With All The Gifts de Colm McCarthy, sortie indéterminée
L’ATTAQUE DE LA FEMME ENCEINTE
Hors-compétition, les anglais n’ont pas dit leur dernier mot avec Prevenge, écrit et réalisé par Alice Lowe, scénariste du très bon Touristes de Ben Wheatley, qui rejoint donc son compère Steve Oram qui avait franchi le pas de la réalisation avec le simiesque Aaaaaaaaah!. L’histoire : une femme enceinte se voit obligée de tuer sous l’injonction de son fœtus. Voilà qui rappelle dangereusement le Baby Blood d’Alain Robbak, classique de l’horreur frenchy de 1989.
Mais la similitude s’arrête avec les motivations de l’héroïne (Alice Lowe elle-même, dont la grossesse a inspiré le film), une vengeance auprès des compagnons d’escalade du père de l’enfant qui ont entraîné sa mort. En lieu et place du discours féministe ou social attendu, Prevenge glisse très vite dans une spirale incontrôlée qui renvoie à l’incapacité de la femme enceinte à contrôler son propre corps, tout en devant prendre seule la responsabilité de supporter sa grossesse. Mais les injonctions du bébé seraient-elles une simple objectivation mentale d’un sentiment qui envahit l'être délaissée ?
Alice Lowe livre ici une version en cloque et sous acide de La Mariée Etait En Noir. L’humour noir typiquement anglais proche des bandes de Ben Wheatley, la caractérisation de l’héroïne et une bande son électro donnent un petit coup de fouet à ce premier essai très sympathique.Â
Prevenge de Alice Lowe, sortie indéterminée
CLOWN TRISTE
Avant le sympathique Cop Car et son Kevin Bacon moustachu, Jon Watts livrait ce Clown il y a de cela déjà trois ans. Voilà ce premier film curieusement propulsé en compétition alors que son auteur est en plein tournage de Spider-Man: Homecoming. A l’instar d’un Rare Exports (Père Noël Origines) ou d’un Krampus, cette production d’Eli Roth (qui incarne lui-même le clown maléfique) explore un personnage du folklore enfantin dans sa face légendaire la plus sombre : un père de famille qui souhaitait divertir son gamin pour son anniversaire ne peut plus retirer son costume de clown. Comme si cela ne suffisait pas, l’accoutrement s’empare peu à peu de son esprit pour l’obliger à manger des enfants.
Très premier degré, la transformation du paternel vire ouvertement au drame, impliquant déprime et tentative de suicide. Pendant ce temps, madame Clown tente le tout pour le tout pour récupérer son mari, quitte à commettre l’irréparable. Rabotté d’une petite demie heure, Clown serait tout à fait recommandable comme sketch d’une anthologie horrifique. Il souffre en l’état de sautes de rythmes régulières, symptomatiques de la difficulté de maintenir l’intérêt sur un tel concept. Aux antipodes de l'intimiste Cop Car, le film valide tout de même une certaine maîtrise de Jon Watts pour faire monter la tension sur un format plus classique. Il n’y a plus qu’à espérer que la machine hollywoodienne ne castre pas une nouvelle fois un réalisateur prometteur.
Clown de Jon Watts, sortie indéterminée
La troisième saison de Twin Peaks programmée sur Showtime pour le 21 mai prochain sera un des événements majeurs de l'année. Aussi, la présence d’un documentaire sur la vie de David Lynch n’est-elle pas tout à fait hors de propos dans ce festival. S'appuyant sur la peinture et ses obsessions, la forme de The Art Life n'aurait pu convenir à quelqu'un d'autre, et reste en cela réservé aux inconditionnels du monsieur, dont fait partie l’auteur de ces lignes. Lynch n’y aborde pas sa carrière cinématographique mais les moments marquants de sa vie jusqu’à Eraserhead sur fond de peintures, dessins et œuvres en général du cinéaste. De sa voix lente et monocorde mais néanmoins familière, Lynch lève le voile sur quelques souvenirs marquants, et nous rappelle, à une époque où le nom de l’artiste est devenu incontournable, parfois asséné jusqu’à plus soif, que David Lynch a toujours été une curiosité, un incident "mainstreamisé" qui ne risque pas de se reproduire de sitôt. Mais le plus intéressant reste le commentaire de Jon N’Guyen, un des réalisateurs venus présenter le film, qui raconte à travers une anecdote qu’il s’en est fallu de peu pour que ce monde ne voit jamais Twin Peaks, Eraserhead, Blue Velvet, Mulholland Drive ou Lost Highway !
PALMARÈS
Grand Prix : Grave de Julia Ducournau
Prix du jury : Under The Shadow de Babak Anvari ex-æquo avec On L’Appelle Jeeg Robot de Gabriele Mainetti
Meilleur musique originale : Christobal Tapia de Veer pour The Girl With All The Gifts
Prix de la critique : Grave de Julia Ducournau
Prix du public : The Girl With All The Gifts de Colm McCarthy
Prix du jury SyFy : Under The Shadow de Babak Anvari
Prix du jury jeune de la région Grand Est : The Autopsy Of Jane Doe d'Andre Ovredal
Grand prix du court-métrage : Limbo de Konstantina Kotzamani