Gérardmer 2024

Le cercle des neiges

Affiche Gérardmer 2024

Retrouver le Festival International du Film Fantastique de Gérardmer après quatre ans c’est comme partir en pèlerinage : on retrouve des lieux familiers (l’Espace Lac, le Casino, l’Espace Tilleul…) et le plaisir de découvrir quelques belles surprises en bonne compagnie.


Du 24 au 28 janvier dernier nous avons néanmoins constaté que le festival n’avait pas profité des plages de réflexion offertes par la pandémie – ni de sa 30ème année au compteur – pour modifier sa philosophie de programmation, avec toujours une grande proportion de longs qui se demandent s’ils sont ou pas du fantastique. Autre constat : le découragement partagé par beaucoup de festivaliers pour se rendre aux séances le jour-même. En cause, un système de réservation chaotique assorti d'aucune communication qui laissait croire à une absence de places en pass ou à la séance. Ceux qui avaient le loisir d'enchaîner les F5 sur le site pour obtenir le précieux sésame deux minutes après l’ouverture des réservations se rendaient compte une fois en salle que nombre de séances hors week-end affichaient une bonne cinquantaine de sièges libres. A méditer pour l’édition 2025.



Enfin, il est curieux qu’un festival du FILM FANTASTIQUE dans la place depuis 1994 n’ait aucun jury qui provienne du cinéma fantastique (voire du cinéma), que son président soit un écrivain, que le thème du festival soit la littérature fantastique ou bien même que l’on rende hommage à Gareth Edwards, réalisateur talentueux mais à la tête seulement de quatre longs-métrages et quinze ans de carrière. A la différence du FEFFS ou même de l’Etrange Festival, le Festival de Gérardmer semble être plus soucieux d’attirer une communauté large de badauds venus pour un selfie avec les stars du moment qu’à faire la promotion du cinéma duquel il se réclame. Ou bien a-t-il fait le tour de son sujet en moins de trente ans…

Ces quelques points évacués, nous pouvons nous concentrer sur le cinéma, car il y a bien eu une poignée de films qui ont retenu notre attention (en compétition et hors compétition), et dans le lot un réalisateur qu’il ne faudra pas perdre de vue.


L’EMPIRE DES TÉNÈBRES
Il se nomme Demián Rugna, il est argentin et a déjà livré un film d’horreur bien flippant et désespéré, Atterados. Le voilà de retour en présentiel à Gérardmer avec When Evil Lurks.

When Evil Lurks

Aux sources du mal de ce nouvel opus, un homme possédé dans un village reculé d’Argentine, dissimulé par sa famille depuis de nombreuses semaines. Deux frères découvrent son existence et préviennent le maire, qui prend la décision de déplacer hors de sa ville le corps gonflé du malheureux. Une action impardonnable, car il a ainsi libéré le mal. Mal qui commence à se propager autant dans les êtres humains que dans les animaux…
A peine les règles établies et les hostilités ouvertes, le récit devient une belle anarchie, et le spectateur ne saura jamais où l’horreur va se manifester mais se doute que sa manifestation sera brutale et foudroyante. Demián Rugna frappe fort d'entrée et ne fait jamais marche arrière, détruisant en un temps record la vie de ses personnages. L’antihéros, un homme qui tente de sauver ses deux fils abandonnés, n’a rien du prêtre exorciste en croisade. C’est un homme abîmé qui va tomber dans un abîme plus grand encore, et qui n’a peut-être pas les épaules pour sa mission. A vrai dire, qui les aurait dans pareilles circonstances ? When Evil Lurks est de ses films qui s’expérimentent et dont un grand nombre de scènes restent en nous longtemps après la fin, à la manière de Prince Des Ténèbres en son temps. Demián Rugna a capté là une certaine essence de la peur moderne et a su la rendre palpable de façon très primitive et terrifiante. Ce petit chef-d’œuvre (Prix du public et Prix de la critique) sortira en salles le 17 avril prochain.

EN CORÉE ENCORE
Parce que la Corée est incontournable. Et même si elle commence à être talonnée par le cinéma indien, les productions coréennes ont toujours belle presse en festival, comme avec ce Concrete Utopia présenté ici hors-compétition.

Dans un futur proche en Corée du Sud, une série de séismes provoque de brusques chutes de températures et l’écroulement des grands complexes résidentiels de Séoul. Les résidents du dernier immeuble encore debout s’organisent pour survivre à cette situation post-apocalyptique. Première décision prise par un comité de fortune : expulser les non-résidents et réfugiés, les condamnant à mourir à l’extérieur. Habitants de l’immeuble aux meilleures intentions, Min-seong et sa femme Myeong-hwa feront face aux choix radicaux des autres copropriétaires et à Yeong-tak, délégué des résidents au passé flou galvanisé par sa popularité, qui entend faire régner l’ordre coûte que coûte.

Concrete Utopia


Adaptant une partie du webtoon (bande dessinée numérique coréenne) de Kim Soong-nyoong décrivant un monde dévasté par un séisme, le réalisateur Um Tae-hwa accouche d’un film catastrophe/politique extrême dans sa représentation d’une organisation humaine en dehors de tout état de droit. Les strates sociales deviennent de plus en plus stigmatisantes, une oligarchie se créant de fait. La radicalité de la charge, le fatalisme envers la nature humaine, font penser au Snowpiercer de Bong Joon Ho. Mais en nous immergeant parmi les "gagnants", Concrete Utopia parvient à faire ressentir la pression sociale qui conduit des gens du commun à abandonner toute valeur humaniste. Le récit illustre également le prix à payer pour ceux qui désirent rester humains, contrastant avec la glaciale description de l’euphorie vécue par les résidents qui se voient comme un peuple d’élus. Après des années de cynisme à la The Walking Dead, ces motifs paraîtraient usés s’ils ne faisaient pas remonter des réminiscences historiques. Mené avec conviction et diablement rythmée, le film de Um Tae-hwa est sans appel mais n’est pas pour autant sans lumière, car il laisse entrevoir un espoir en dehors de cette dystopie sécuritaire, et surtout met en valeur la jeune Myeong-hwa, infirmière qui refuse d'abandonner sa promesse de venir en aide aux plus vulnérables. Et côtoie un bien peu glamour Lee Byung-Hun, impressionnant dans un rôle à plusieurs couches à l’opposé de ce dont il nous a habitués, notamment dans J’Ai Rencontré Le Diable.

Sleep


On ne peut pas en dire autant du bien nommé Sleep, qui a raflé le Grand Prix. Nous y suivons un couple de coréens confronté au somnambulisme du mari. Les crises étant répétées et de plus en plus inquiétantes (notamment pour le pauvre poméranien qui les accompagne), ils décident de consulter. Mais l’hypothèse d’un fantôme malveillant ayant pris possession de monsieur fait peu à peu son chemin dans l’esprit de madame. Comme ils se sont promis de tout affronter ensemble, ils vont faire appel à une chaman…
Pour son premier long, Jason Yu joue la carte de l’ambigüité en introduisant suffisamment de distance avec les croyances chamaniques pour faire douter de l'aspect fantastique de son récit, tout en y accordant suffisamment de crédit pour être classé dans le genre. Cette posture du "en même temps" (et oui, on n'y échappe pas…) n'aide pas vraiment à se plonger dans l’histoire. Les personnages, banals voire antipathiques, et l’absence d’originalité du sujet achèvent de créer un ennui poli. Les faux-semblants sont à l’image du personnage principal, un acteur qui parvient lui-même à faire douter de la vérité du film qu’on vient de voir. Sleep est un exercice bien mené mais un peu vain.

ON NE CHOISIT PAS SES PARENTS…
Enlevé peu après sa naissance, Edward découvre via une appli de reconnaissance génétique l’existence d’un frère jumeau au Portugal. Accompagné de Riley, sa petite-amie américaine, il se rend chez le frangin Manuel qui vit avec leur mère dans une luxueuse demeure. Edward et Riley sont vite interloqués par l’étrangeté de cette mère prodigue. Et Riley de découvrir de plus sombres secrets particulièrement horribles…

Amelia’s Children

Sous les dehors d’un film d’épouvante ibérique "classique" – il rappelle le récent Abuela de Paco Plaza et la vague de films fantastiques espagnols des années 2000 – le long-métrage du portugais Gabriel Abrantes (Diamantino) avance lentement mais sûrement vers une certaine déviance avec une décontraction qui nous prend d’abord un peu de revers. Par petites touches, en particulier dans la caractérisation de cette mère liftée qui nourrit une emprise sur ses fils, le grotesque s’invite à la fête sans perturber la tension ni sortir le spectateur par trop de distance. Amelia’s Children pourra décevoir dans sa dernière partie, mais il mène globalement bien sa barque, offrant un bel exercice d’équilibriste qui a visiblement séduit les spectateurs autant que le jury, qui lui offrira son Prix. Dans nos salles depuis le 31 janvier.

La famille était aussi présente – quoiqu'en plus sauvage – à travers The Seeding, sorte de croisement entre La Colline A Des Yeux et Misery sous une forme bien trop prétentieuse pour ce que ce film a à raconter. Et d’une façon plus teenage dans Perpetrator, mélange un peu foutraque de David Cronenberg, de super-pouvoir, d’absurde mal dosé et d’enquête criminelle en mode toutélié.

Vampire Humaniste Cherche Suicidaire Consentant

On retiendra davantage le sympathique Vampire Humaniste Cherche Suicidaire Consentant, production québécoise au titre qui pouvait faire redouter le pire mais qui s’en sort plutôt bien. Auréolé de deux prix au dernier PIFFF – dont l’œil d’Or – le film d’Ariane Louis-Seize suit Sasha, une jeune vampire traumatisée depuis son enfance par un mauvais coup fait par sa famille de vampires, qui se retrouve donc incapable de tuer un humain et avec des dents qui ne poussent pas ! Pour chasser cette honte, la famille veut prendre les choses en main. Mais la solution pourrait venir d’un jeune homme qui cherche à se suicider à tout prix...
Le thème du vampire qui refuse de se nourrir et des conséquences pour ses pairs n’est pas neuf (on pense à Caleb dans Aux Frontières De L’Aube), mais ce nouvel essai propose un ton et une approche décalés en renversant pas mal de poncifs des teen movies. Malgré quelques longueurs, on parvient à s’attacher suffisamment aux deux personnages principaux pour suivre avec intérêt leurs atermoiements.

LE CERCLE INFERNAL
Une femme un peu trop jalouse meurt dans un accident. Son enfant enterre un de ses doigts dans le jardin, persuadé qu’elle va revenir vivante (il a expérimenté cela auparavant avec la queue d’un lézard qu’il avait coupée). Des évènements étranges se produisent bientôt autour du père et d’une jeune femme qui s’est un peu trop approchée de lui autrefois…
Le nouveau film d’Hideo Nakata (The Ring, Dark Water), The Forbidden Play, présenté en compétition, est presque une suspension dans le temps, comme si les vingt ans qui nous séparent de l’époque faste du réalisateur n’avaient pas eu lieu. On retrouve un spectre projetant une malédiction, un enfant inquiétant, une enquête sur des évènements passés et le facteur temps qui joue un rôle déterminant dans le déroulement de l’intrigue. On suit avec patience le déroulement de l’histoire dans l’attente d’un twist qui ne surprend pas. A l’instar de Takashi Shimizu avec Ju-on, Nakata semble indéfiniment poursuivi par les motifs de The Ring. On ne s’ennuie pas, mais on espérerait autre chose d’un des réalisateurs qui a amené si haut le cinéma d’horreur asiatique.

The Forbidden Play


WHAT IF…

Terminons sur une bonne note avec It’s A Wonderful Knife, comédie fantastique et variation, comme son titre l’indique, de La Vie Est Belle de Frank Capra, mais… dans un contexte beaucoup plus trivial : Winnie a sauvé son frère du massacre perpétré par un promoteur boogeyman très influent le jour de Noël, mais n'a pu secourir sa meilleure amie. Un an plus tard, la vie de Winnie est sans intérêt. Lors d’une aurore boréale, elle en vient à conclure que tout le monde se porterait mieux si elle n’avait jamais existé. Son vœu exaucé, elle se retrouve au même Noël, dans une ville complètement différente. Et découvrira que sa simple existence a modifié le cours de la vie de sa famille et de beaucoup d’autres personnes de la ville. 

It’s A Wonderful Knife


Le long de Tyler McIntyre n'est pas loin du "film cocktail d’influences", loin d'être à la hauteur de son modèle, mais qui n’en a pas non plus les ambitions. Il faut dire que le What if… a pris du plomb dans l’aile depuis que Marvel s’en est emparé. It’s A Wonderful Knife baigne dans une ambiance teen movie qui le rapproche beaucoup du récent Happy Birthdead, avec une pincée d’absurdité et une volonté visible de ne pas se prendre la tête. Le capital sympathie des deux jeunes héroïnes allié à la présence de quelques belles têtes connues (Justin Long, Joel McHale, Katharine Isabelle et ce bon vieux William B. Davis) rendent le voyage agréable et compensent un peu une programmation trop sérieuse.


PALMARÈS
Grand Prix : Sleep de Jason Yu

Prix du jury ex-aequo : Amelia's Children de Gabriel Abrantes / En Attendant La Nuit de Céline Rouzet

Prix de la critique : When Evil Lurks de Demián Rugna

Prix du public : When Evil Lurks de Demián Rugna

Prix du jury jeune : The Seeding de Barnaby Clay

Grand Prix du court-métrage : Transylvanie de Rodrigue Huart 




   

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