Toy Story 4
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- Critique par Guénaël Eveno le 12 septembre 2019
Vers l'inconnu... et au-delà !
Lorsque John Lasseter et Andrew Stanton optèrent pour le point de vue de l'enfant sur ses jouets pour inaugurer les exploits digitaux de Pixar, ils exprimaient déjà une certaine sagacité sur les spécificités de ce nouveau type d’animation.
Toy Story était une note d’intention : offrir une âme aux objets. Revenir à cette essence de l'imagination enfantine nécessitait un effort de réalisme pour que la fantaisie reste acceptable (les progrès constants des CGI) et un glissement dramatique pour entretenir l'empathie. Le premier opus s’ouvrait ainsi par le point de vue extérieur (adulte) sur un enfant (Andy) tout entier occupé à prodiguer moult aventures à des objets de plastique. Le récit qui suivit n’eut de cesse à oublier cette objectivation pour calquer le plus fidèlement à l’imaginaire de l'enfant. Chacune des missions introduisant les deux suites offrait une immersion encore plus forte dans les événements fantasmatiques des jouets, quitte à effacer peu à peu la présence du créateur/intermédiaire qu’était Andy. Les jouets étaient les héros.
Le second Toy Story était un renouvellement dans la continuité, intégrant des éléments passés (références cinématographiques, allusions au premier volet) tout en ouvrant de nouvelles aspérités dramatiques pour les jouets, à la fois via les character arcs (la superbe complainte de Jessie), leur animation et le rendu réaliste de leur diégèse. Cette nouvelle note d’intention inaugura la méthode Pixar des années 2000, les progrès techniques seraient au service de l'émotion des personnages. Cette méthode devait s’accompagner de sujets originaux pour challenger les équipes et maintenir la créativité.Â
En 2010, Toy Story 3 clôturait cette décennie dorée en composant dans la douleur les horizons futurs de l'enfant dans un final émotionnel à la fois nostalgique, poignant et libérateur. Et Andy de confier ses jouets à la petite Bonnie pour un nouveau départ, rassurant happy end qui paraissait être la meilleure solution pour Woody. Mais ce troisième opus était également prophétique sur la décennie 2010 de Pixar : affairés à la reproduction de ses succès ou sur des projets moins téméraires, le studio n’aura livré que deux sujets originaux : le mortel Coco et le cérébral Vice-Versa. C’est justement à travers la voix de Josh Cooley, réalisateur de ce dernier, que neuf ans après Pixar remet le couvert avec leur franchise amirale. Dans la continuité des précédents, Toy Story 4 se démarque par une revigorante originalité sensée renouveler les vœux de créativité du studio, modulo quelques nécessaires changements.
Ce désir de (re)création est personnifié par une des meilleures inventions de la saga qui répond au doux nom de Fourchette (Forky en VO) : lors de son premier jour au jardin d’enfants, Bonnie se retrouve seule et décide alors de créer de toute pièce un jouet à l’aide d’une fourchette jetable et de quelques accessoires. Loin d’être abordée de façon horrifique comme la seconde vie des victimes de Sid dans le premier (qui citait L’Ile Du Docteur Moreau), la naissance de Forky est lumineuse, son arrivée parmi les jouets est une belle occasion d’aborder le recyclage, alternative inattendue aux jouets produits en série des précédents volets. Alors que les protagonistes devaient quitter leurs univers circonscrits pour rejoindre le groupe (Buzz, constamment ramené à ses origines, même dans ce volet via une utilisation judicieuse de sa "voix intérieure") ou pour le retrouver (Woody dans le 2), cette création n'a d'autre monde que la poubelle. Passant de l’état de produit usager à celui de jouet animé, aussitôt accueilli par la maisonnée, cette créature de Frankenstein représente un des plus grands défis pour Woody, qui devra lui faire accepter son statut alors qu’il se sait déchet. Fourchette doit se résoudre à abandonner son destin pour accepter de consacrer sa vie à rendre Bonnie heureuse. Mais le cow-boy ne se doute pas que le déni de Forky fait écho à son propre déni, et qu'il devra lui aussi accepter de se recycler.
Un changement majeur dans Toy Story intervient dès l’introduction : oust les péripéties nées de l'esprit d'un gamin, voici un flashback d’une aventure des jouets se déroulant entre les troisième et quatrième opus. Entrant directement dans le vif du sujet, la scénariste Stephany Folsom prend acte de l’émancipation des personnages entreprise par avant tout en s'exonérant d’une intervention de Bonnie qui signerait la redite entrevue à la fin de Toy Story 3 pour mieux épouser la perspective de Woody, véritable protagoniste de l'histoire. Cette ouverture n’expose pas moins que le moment où le jouet le plus affectif envisage de quitter son enfant, les derniers volets ayant suggéré que la loyauté de Woody tenait dans la relation particulière, pour ainsi dire paternelle, qu’il avait développée avec Andy, et avait tenu face aux menaces que représentaient l’arrivée d’un nouveau jouet et sa propre obsolescence. Elle est si puissante qu’elle persiste après le départ du garçon dans une loyauté de principe qui fait fi de l’indifférence grandissante de Bonnie envers son jouet. Mais Pixar a décidé de couper le cordon et de confronter de nouveau le cow-boy à sa plus grande peur, cette fois sans Andy, agitant les spectres des précédents volets et les motifs du thriller, notamment via l’antagoniste se révélant être un miroir en négatif de Woody, une antiquité qui n’aurait jamais trouvé d’enfant, prête à tuer pour être aimée. Enfermée dans une boutique/maison de l’horreur, elle évolue au milieu de pantins inspirés du Dead Silence de James Wan (et de ses nombreux prédécesseurs) et sème une terreur diffuse dans le milieu interlope des jouets perdus. L’arrivée de Fourchette, l’intervention de la poupée et la découverte d’un nouveau monde avec un personnage clé s’enlaceront pour créer l’étincelle qui éclairera une nouvelle voie pour Woody.
A la fin de Toy Story 3, Woody voulait reproduire les années vécues auprès d'Andy. Peut-être leur expérience était-elle vraiment unique, autant que celle des studios Pixar entre 1995 et 2010. Mais cette aventure exceptionnelle ne saurait être le début d’un destin trop communl, que ce soit pour ce personnage ou pour ses créateurs. Suite au départ d’Andrew Stanton en décembre 2018, Pete Docter (réalisateur de Monstres & Cie et Là -Haut) prit la tête du studio et promit de se recentrer sur des concepts originaux. En tête de gondole, le ô combien méta En Avant qui sortira le 6 mars 2020. Visez un peu l'accroche : "Deux frères elfes n'ayant pas connu leur père s’embarquent sur les routes pour savoir s'il reste encore un peu de magie dans ce monde". Espérons que ce prochain saut vers l'inconnu saura guider les enfants de 2020 vers ce petit peu de magie encore subsistant.
TOY STORY 4
Réalisation : Josh Cooley
Scénario : Stefany Folsom & Andrew Stanton
Production : Marks Nielsen, Jonas Rivera, Pete Docter, Andrew Stanton, Lee Unkrich
Directerice artistique : Laura Phillips
Montage : Alex Geddes
Bande originale : Randy Newman
Origine : USA
Durée : 1h40
Sortie française : 26 juin 2019