The Terror
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- Série TV par Guénaël Eveno le 23 avril 2018
L'enfer blanc
1845. 129 hommes répartis dans deux navires britanniques, le HMS Erebus et le HMS Terror, traversent l'Arctique canadien en quête d'une voie navigable vers la Chine et les Indes. Ils ne reviendront jamais.
Dans son ouvrage The Terror publié en 2007, Dan Simmons brode autour du mystère qui entoure la disparition de l'expédition menée par Sir John Franklin tout en conservant l’ambition d’écrire un roman historique. Sachant que contrairement au Titanic, aucune Rose n’a pu raconter les horreurs du voyage, la réalité repose sur des  témoignages et des analyses scientifiques : Des objets abandonnés, des témoignages d’inuits et des corps découverts quelques années plus tard dont l’exhumation récente permis d’attester d’une intoxication au plomb de l’équipage et d’actes des plus atroces. (1) Mais en bon auteur du fantastique, Simmons ne pouvait se déparer d’une licence fictionnelle, ici un prédateur surnaturel, autant insaisissable que démesuré, propre à constituer la colonne vertébrale d’un récit qui lorgne majoritairement vers une somme d’horreurs liées tant à l’isolement qu’à des années d'existence dans les conditions les plus rudes.
David Kajganich (co-scénariste de A Bigger Splash) et Soo Hugh débarquent dix ans plus tard avec une adaptation du roman sous la forme d’une mini-série de dix épisodes. Produite par AMC (la chaîne de The Walking Dead et Breaking Bad) et sous le patronage de Ridley Scott, qui suggéra le format final, The Terror est un drame horrifique singulier, intimiste, qui s’éloigne autant des productions de sa chaîne mère que des récentes réalisations du réalisateur d’Alien. Auteurs et co-showrunners, Kajganich et Hugh auront inévitablement incorporé des références à l’œuvre la plus célèbre de Scott, inévitable pour tout conteur de récit horrifique réaliste contant l’affrontement entre un équipage isolé et un monstre invincible au sein d'une immensité silencieuse. Mais même sous l’angle de l’affrontement, qui ne doit constituer qu’un huitième de la série, The Terror réserve une horreur plus suggérée, lorgnant davantage vers l'étude d’une terreur diluée dans le temps (format oblige) que dans le dévoilement de sa bête. Cette hantise de l’attaque côtoie subtilement les conséquences de condition de vie précaire endurée par les officiers et leur équipage.
Le tempo se resserre dès le second épisode, passant progressivement d'un rythme elliptique à du quasi temps réel au cinquième épisode, lorsque nous sommes bel et bien happés par l’aventure. Ce rétrécissement du temps narratif s’accompagne d’un cadre de plus en plus étouffant, les étendues arctiques laissant place aux navires, à leur séparation, puis aux événements qui s'y déroulent. Les plans d’ensemble à couper le souffle (des aurores boréales à tomber) se rétrécissent jusqu'à un cadre isolant les personnages, témoignant de l'angoissante attente d’un hors-champ se manifestant aux moments les plus inattendus et de l'émiettement de l'unité des équipages. Des tensions dévoilent plusieurs dissensions, les graines de tragédies en suspens germent. Puisque l’Homme n’est jamais qu’une pièce de barbaque dans ce désert de glace, ainsi seront traités les premières victimes, cliniquement, comme pour insister sur le scientisme acharné de l'époque. Mais ne serait-ce pas plutôt pour instiller goutte à goutte l'honteuse tentation qui taraude les survivants ? Une réplique du lieutenant Collins délirant rappelle l’odeur du gras qui se dégage des corps incendiés, et cette insistance sur le corps des victimes (dont une est exposée tel un cadavre ambulant) semble suggérer une civilisation qui se délite, quand les tendances à la dépression, au découragement et à la dépendance sont décuplées par les extrêmes endurés. Tels sont les éléments d’une première partie centrée sur la claustration et la nuit. Les marins qui, dans leur souffrance, trouveront la force de sortir du rang, de leurs quartiers, pour construire de véritables amitiés, auront un décisif atout sur les autres.
A la jonction de plusieurs éléments, la deuxième partie de la série voit l’Anglais quitter son pavillon pour affronter le territoire des Inuits. Dans cet infini blanc, des horizons apparaissent, la nuit cède à la lumière. Mais le printemps ravive l’inévitable, les plans larges sur les nouveaux panoramas ne traduisent qu’une nature reprenant ses droits. L’horreur tapie dans l’ombre est substituée par une horreur réelle, organique, celle qui s’immisçait dans les navires se désinhibe au grand air. La chair des hommes continue de pourrir, minée par la maladie. La gangrène mijotée durant la première partie achève l’organisation sociale de l’intérieur. Et de façon inattendue nous voyons naître deux pôles opposés : si l’un confirme radicalement l'idée de délitement auquel semble être destiné un équipage (l’Histoire n’a-t-elle pas eu le dernier mot), son pendant lumineux nous prend de revers. On pensait ne se frotter qu’à un survival fataliste de plus, nous voici au centre d’une abominable aventure parsemées d'envolées humanistes. The Terror révèle le pire et le meilleur, comme si leur comportement face à une mort inéluctable façonnait ses personnages. Devant le tarissement de leurs chances de survie, certains donnent d’eux-mêmes à leurs compagnons, beaucoup se laissent à se raconter au travers d’anecdotes qui ne les mettent pas forcément en valeur, mais l’acte même de cette confession redonne une seconde vie, hors du groupe et hors de sa fonction.
Pour leur travail d’adaptation, David Kajganich et Soo Hugh ne sont pas partis d'une intrigue, mais d’une étude de personnes ayant existé, via le roman de Simmons mais aussi par des biographies et documents d’époque. (2) C’est ce qui donne à  The Terror une de ses principales qualités, établissant des parcours très cohérents non gouvernés par des twists invraisemblables. Par sa réalisation éthérée au plus près des éléments, ses envolées humanistes et ses hommes seuls face à la nature, The Terror se rapproche plus du Territoire Des Loups de Joe Carnahan et du dernier long-métrage de Peter Weir, Les Chemins De La Liberté que d'un survival horrifique. Les échanges y sont d’autant plus passionnants qu’ils sont portés par des acteurs habités, Jared Harris en tête en capitaine complexé et mélancolique, sans oublier la révélation de la série, Paul Ready (Utopia) dans le rôle de Goodsir, l'assistant du médecin de bord. Entre contemplation et nappes glaçantes, la bande originale hypnotique de Marcus Fjellström, récemment décédé (la série lui est dédiée), contribue à l'immersion dans le vide froid de l'Arctique auprès de ces équipages. Une expérience dont on se détache difficilement.Â
Après l’excellent The Man In The High Castle, Amazon Prime Video décroche une nouvelle fois la timbale avec la diffusion française de la pépite. Espérons qu’elle sera accessible très bientôt à une plus large audience.
http://www.youtube.com/watch?v=mvHqadA3KNU
(1) La première partie du très bon documentaire A La Recherche Du Passage Du Nord Ouest diffusé sur Arte est un bon complément à The Terror. Il dévoile les quelques libertés prises avec l'Histoire mais permet en retour d'appuyer le réalisme de la série.
(2) Voir le Q&A des compères sur le site de AMC.
THE TERROR
Showrunners :Â David Kajganich & Soo Hugh
Scénario : David Kajganich, Andres Fischer Centeno, Vinnie Wilhelm, Josh Parkinson, Dan Simmons, Soo Hugh, Gina Welsh d'après le roman de Dan Simmons
Réalisation / montage : Tim Mielants, Edward Berger, Sergio Mimica-Gezzan / Tim Murrell, David Greenaway, Andrew MacRitchie
Photo : Frank Van den Eeden, Kolja Brandt, Florian Hoffmeister, Marci Ragà lyi
Bande originale : Marcus Fjellström
Origine : USA
Durée : 10 x 45 minutes
Diffusion française : Amazon Prime Video