Phénomènes
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- Critique par Nicolas Bonci le 13 juin 2008
La fin détend
Comme prévu, The Happening marque un tournant dans la carrière de M. Night Shyamalan : dorénavant Manoj réalisera intentionnellement de la "série B" comme basique, si évidente que même ses détracteurs pourront comprendre. Ou pas.
Car Shyamalan a le chic pour produire des films dans lesquels la plupart des spectateurs se bornera à voir tares et autres commodités roublardes, quitte à travestir ce qui se passe sur l'écran. Dans Phénomènes, allez savoir comment, mais nombre de spectateurs et de critiques ont décidé que la métaphore finale était naïve, abusée, trop lourde. Bien. Et quelle est-elle cette métaphore, se dit-on une fois sorti de la salle ? Simple : séparés, chacun à l'abris de la toxine suicidogène produite par mère Nature, le héros Elliot (Mark Wahlberg) et sa femme Alma (Zooey "yeux de biche" Deschanels) décident de mourir ensemble parce qu'ils s'aiment. Ils se rejoignent, à l'extérieur, dans la verdure. Et ils survivent. Plus tard, les infos expliquent que le phénomène s'est arrêté une demi-heure avant la sortie sacrificielle. Les faits sont là , clairs et nets : la Nature a décidé d'elle-même que le compte était bon, la famille Wahlberg ne doit ainsi son salut à rien si ce n'est l'optimisme de l'auteur envers le genre humain. Alors non, "l'amour ne rend pas invincible et ne sauve pas l'humanité dans Phénomènes". Ou du moins, pas en faisant fondre le cœur de midinette des monstroplantes qui, trouvant ce face-à -face déchirant, auraient décidé de stopper l'usine à gaz. Ce qu'il faut comprendre dans cette séquence, point d'orgue du film, c'est que résolu à agir en adulte responsabilisant son attitude, l'homme est prêt non pas à faire des miracles grâce à l'amouuur, mais juste à connaître la paternité : ce n'est pas un cœur entouré de bolduc que mène Deschanels à Wahlberg, mais une petite fille (le truc qui pend au bout d'un bras de la jeune femme). Allégorie concrétisée lors de l'épilogue avec le test de maternité, suivi d'ailleurs d'une dernière séquence confirmant que les attaques toxiques n'ont aucun rapport avec les deux personnages principaux, ce qui confirmera chez certains que cela a bien un rapport avec les deux personnages principaux... Que voulez-vous y faire ?
Cette petite fille, placée dans les pattes du couple dans le premier tiers du métrage, servait déjà de liant lors d'une dispute entre Elliot et Alma, se trouvant toujours en amorce des champs/contrechamps dans lesquels les époux, séparés à l'image, s'échangent des amabilités. Le thème du film est bien évidemment le couple et la faculté d'assumer une descendance, l'argument fantastique, comme toujours chez Shyamalan (et chez les grands auteurs de fantastique en général) n'étant qu'un prétexte pour sonder tout cela. Ainsi, dans Phénomènes, le seul moyen de survivre est de savoir s'isoler (on passe de la foule à la famille - les deux ados descendus - puis au couple et enfin à l'individu), pour mieux se redécouvrir par la suite. La question de l'isolement comme réponse aux attaques d'un monde agressif avait été abordée dans Le Village, déjà pour tenter de stresser l'audience en filmant du vent (enfin, des monstres qui n'en sont pas), mais surtout pour démontrer si l'amour pouvait littéralement résister à l'isolement (et on avait vu que non : il fallait sortir). D'ailleurs le motif de la couleur dorée protectrice revient ici avec la bague d'Elliot puisque son jaune mat annonce le bonheur.
Si Shyamalan reste fidèle à son intention de "mise en image façon série B" (et ce jusque dans les perches dans le champ) c'est qu'il était fort conscient qu'en évoluant si subitement de son cadre habituel (de lieux clos et isolés il passe à New York avec exodes et moult lieux à présenter), sa mise en scène épurée, lente et rigoureuse aurait eu du mal à suivre. Il convainc donc très moyennement en filmant du vent et des personnages paniqués tentant d'y échapper ("ça c'est du spore !" devait se dire Marky Mark sur sa colline), mais réussit toutefois quelques superbes vues d'angoisse comme l'arrivée à Priceton et ses arbres aux pendus, ou encore le troupeau de suicidaires s'avançant vers une ferme et sa tondeuse. Le plus étonnant reste tout de même la séquence précédant les retrouvailles de nos deux héros, typiquement le genre de situation où Shyamalan s'illustre en temps normal : à fort potentiel dramatique, elle ne fonctionne pas un instant car bien trop artificielle dans son élaboration (l'idée est belle, mais dès que la folle parle de ce tube de communication on sait comment cela va se finir) et surtout beaucoup trop courte pour permettre à l'émotion de naître, laissant un sentiment de précipitation comme si MNS désirait se débarrasser du film. Il faut aussi signaler que niveau émotion, il n'était pas aidé par un Wahlberg d'une fadeur très wahlbergienne ruinant l'humour ironique de son personnage.
D'un mixage opportuniste de sujets de société tendances (écologie + suicides de masse + promo hype) à une concrétisation approximative de ses effets (la rébellion de la nature évoquant les peurs collectives - ici les attentats - est beaucoup mieux traitée dans Pompoko par exemple) en passant par un projet de mise en scène délibérément revu à la baisse (halala ce qu'il est prétentieux ce Shyamalan alors…) pour mieux s'initier à une approche plus mainstream du genre, visant à terme la mise en œuvre d'un nouveau cycle dans sa filmographie, The Happening a tout du film de transition. Seul souci : les erreurs inévitables d'une telle étape, amplifiées par la griffe d'un auteur à part, serviront longtemps de preuves aux argumentaires répétitifs de ses milliers de pourfendeurs. Il est même peut-être là , l'happening, en fait.
THE HAPPENING
Réalisateur : M. Night Shyamalan
Scénario : M. Night Shyamalan
Production : M. Night Shyamalan, Sam Mercer, Barry Mendel…
Photo : Tak Fujimoto
Montage : Conrad Buff IV
Bande originale : James Newton Howard
Origine : USA / Inde
Durée : 1h31
Sortie française : 11 juin 2008