Ali

Independance day

Affiche AliEn matière de biopic, Ali de Michael Mann est un véritable modèle, car plus que parier sur l'exhaustivité, l'auteur s'intéresse à une période clé pour capter l'essence d'un combattant hors normes tout en s'appropriant le récit pour l'intégrer à son propre cinéma.


Ainsi, comme bon nombre de héros manniens, de Rain Murphy (The Jericho Mile) à Hatthaway (Hacker) en passant par Franck (The Thief) et Jeffrey Wigand (Révélations), Mohamed Ali est un homme seul en butte à un système qui tente sinon de le contrôler du moins de l'absorber. Cette recherche de liberté qui infuse la filmographie de Mann n'a peut être jamais été aussi absolue que dans l'exemple de ce boxeur qui a rejeté son patronyme d'origine, Cassius Clay, son nom d'esclave comme il le définit lui-même. En effet, au-delà des combats qu'il menait, voire qu'il mettait en scène sur le ring (cette propension à être en représentation permanente est une des caractéristiques qui l'ont rendu si unique), Ali s'était également engagé sur la scène politique et publique en faisant valoir des droits que l'Amérique ségrégationniste des années 50 et 60 refusait à lui et ces compatriotes afro-américains. Par ses prises de positions, il a ainsi pu faire avancer la cause du pasteur Martin Luther King et son envers plus radical, Malcom X, auquel il était lié par le mouvement Nation of Islam. Mais Ali n'y était pas soumis pour autant. C'était un électron libre qui cherchait sa place dans une société ne semblant l'accepter qu'en tant qu'athlète d'exception. Une quête identitaire qui est l'apanage de tous les héros traversant la filmographie de Mann et qui s'accompagne pour Ali de confrontations aussi physiques qu'intimes.
Afin de traduire au plus juste ce que le champion ressent, Mann va s'appuyer sur sa grammaire de mise en scène afin que toutes formes d'émotions transitent par l'image. Et cela commence bien évidemment par les morceaux de bravoure du film, les rencontres de boxe.


FLOAT LIKE A BUTTERFLY, STING LIKE A BEE...
Les combats sont filmés au plus près par le cinéaste qui place son opérateur Steadicam au milieu des deux adversaires, utilisant lui-même une caméra numérique ultra mobile confectionnée pour l'occasion. Ils sont l'illustration la plus explicite de cette liberté de mouvements que Mohamed Ali recherche en toutes occasions et qu'il ne parvient à atteindre, pour l'instant, que sous les feux des projecteurs. Alors que la réalisation de Mann accentue l'exiguïté à laquelle il est confronté en multipliant les plans rapprochés, les compositions chargées et les surcadres, la caméra semble s'envoler, flotter littéralement à l'intérieur de l'espace pourtant délimité par des cordes. "Vole comme la papillon, pique comme l'abeille" est le mantra asséné régulièrement par Ali et Mann va s'ingénier à lui donner forme grâce à la puissance de sa mise en scène.

Principal objectif, pénétrer le combat pour faire ressentir la puissance qui s'en dégage. Pour ce faire, Mann débute par un plan d'ensemble.

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Puis opère un resserrement de l'action via un plan rapproché. La caméra est toujours en mouvement par rapport aux déplacements des combattants, et Mann engage une alternance des images montrant Ali et Liston échanger les coups.

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Jusqu'à ce que tout s'accélère et qu'Ali prenne l'ascendant. Mann passe alors soudainement à un plan sur son jeu de jambes rapide signe qu'il renforce l'offensive et surtout qu'il s'approprie le rythme, le momentum, de la lutte.

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Mann enchaîne avec des plans issus du dispositif de caméras numériques portatives embarquées dans un maelström de coups, ce qui rehausse le rythme des images et illustre la force et la vitesse d'Ali.

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L'accélération de cette succession de plans laisse autant groggy autant Liston que le spectateur.

Cette façon d'imprimer une certaine apesanteur sur le ring sera adaptée aux combats sociaux que mènera le boxeur : Mohamed Ali est un être singulier dont Mann cherche avant tout à faire émerger l'humanité, non pas à révérer son statut iconique. C'est un être solitaire mais il ne se positionne jamais au-dessus des préoccupations vitales de ses contemporains. Si Mann le montre souvent décadré dans l'image par rapport à l'arrière-plan, ce n'est pas pour montrer une quelconque position dominante (aucun effet de plongée ou contre-plongée) ou le positionner en marge des tourments de la société mais bien pour signifier son désir de se fondre, de ne faire qu'un avec les gens dissimulés dans cet horizon urbain. La magnifique photo d'Emmanuel Lubezki associée aux premiers essais numériques de Mann composent des images saisissantes qui instaurent ainsi une puissante mélancolie quant à ses difficultés à y parvenir.

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...YOUR HANDS CAN'T HIT WHAT YOUR EYES CAN'T SEE
Cette solitude est au fond le premier des combats d'Ali. Mann s'ingénie à en accentuer le sentiment d'isolement toujours grâce à sa composition des cadres. Dans un bus, on le croirait emprisonné même s'il se trouve parmi d'autres personnes.

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Le questionnement identitaire d'Ali est parfaitement illustré par Mann quand, quelques plans plus tard, le cinéaste cadre son personnage regardant la vitre arrière de la rame et dans laquelle n'apparaît aucun reflet de lui.

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La résolution de ses interrogations (on pourrait presque parler de salut) débute lorsqu'il renoue avec Drew "Bundini" Brown (Jamie Foxx), son coach. Là encore, c'est de la composition magistrale du plan que se dégage le sentiment d'un combat intérieur, Ali se réconciliant avec la part lumineuse qu'il avait rejeté.

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Et puis arrive la partie au Zaïre où doit avoir lieu le fameux combat contre George Foreman, le détenteur de la ceinture mondiale. Alors que l'organisation de ce "Rumble in the jungle" est retardée pour cause de blessure de Foreman, Ali continue inlassablement à s'entraîner, et surtout à s'ouvrir, à approfondir sa quête. C'est au cours d'un de ses footings qu'il va prendre conscience de l'aura qu'il dégage, tombant sur une fresque murale le représentant comme le champion ultime capable de vaincre toutes les engeances. Pour les zaïrois, il n'est pas seulement un sportif de haut niveau venu reconquérir le titre mondial, Ali est un guerrier représentatif des croyances d'un peuple et de leur puissance mythologique. Il ne peut pas, il ne doit pas les décevoir.

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Désormais, Ali sait, connaît l'objectif de ce combat qui va bien au-delà des simples enjeux médiatiques, financiers et sportifs. Il va sur le ring pour concilier l'image de lui tel qu'on le perçoit et ce qu'il est au plus profond. Un enjeu primordial pour son accomplissement personnel et que sa compagne ne comprend pas. Là encore, Mann traduit formellement leurs divergences sans qu'ils n'aient besoin d'échanger plus que de raison. Ali est assis, calme, sa femme est debout en train de l'invectiver, demandant la raison de ce combat qui est en train de détruire leur couple. Son bouillonnement est illustré par le rideau agité par le vent tandis que la mer calme en arrière-plan traduit la pondération de Mohamed Ali. Comme souvent chez Mann, l'élément liquide est lié à l'état d'esprit qui anime ses héros, et est généralement synonyme d'apaisement.

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Le visage d'Ali montre sa désolation de constater que sa femme ne l'a pas compris. Il ne lui reste plus qu'à se lever et partir, entérinant leur séparation et partant vers son devenir, le combattant du peuple.

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C'est exactement ce que traduit la dernière image une fois qu'il a triomphé de Foreman. Son questionnement personnel se voit ainsi résolu en un seul plan magnifique. Ce qui importe le plus à Michael Mann n'est pas sa victoire sportive, encore moins la victoire morale, mais bien la victoire populaire et par corollaire politique. Ali est un homme du peuple, mieux : son champion. Et la communion avec la foule que montre le plan final est totale. Il fixe la réconciliation entre les deux personnae du boxeur, sa fougue (la masse collective à gauche) et sa maîtrise (sa silhouette brandissant les poings), l'union entre deux modes de représentations (l'image peinte sur la fresque murale le représentait aussi en train d'user de ses poings).

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Le voilà enfin dans le même cadre que les personnes dont il symbolise la lutte. Il est enfin parvenu à s'intégrer, à fusionner avec eux. Au bout de deux heures quarante intenses, il a enfin trouvé sa place. Le dernier plan figé de Mann vient donc immortaliser ce moment précieux et si rare pour ses héros qui ont généralement tendance à se heurter à l'impossibilité de concilier leurs aspirations et leur nature chaotique.




ALI
Réalisateur : Michael Mann
Scénario : Gregory Allen Howard, Stephen J. Rivele, Christopher Wilkinson, Eric Roth, Michael Mann
Production : Paul ardaji, Michael Mann, Lee Caplin, Gusmano Cesaretti, Jon Peters…
Photo : Emmanuel Lubezki
Montage : William Goldenberg, Lynzee Klingman, Stephen E. Rivkin, Stuart Waks
Bande originale : Pieter Bourke & Lisa Gerrad
Origine : USA
Durée : 2h37
Sortie française : 27 février 2002




   

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