Hacker

A bug's life

Affiche HackerMême si l'apogée de la carrière de Michael Mann (une décade au sommet, de Heat à Miami Vice) semble passée, chacun de ses films est toujours aussi attendu car il reste l'assurance d'une œuvre personnelle, formalisant un récit profondément inscrit dans le genre visité. 

Une oeuvre où l'authenticité le dispute à une expérience esthétique et sensorielle sans commune mesure dans le cinéma actuel (avec Miami Vice comme point limite zéro de cette démarche). Et ce n'est pas parce qu'on reconnaît les items et thématiques récurrentes du cinéaste que cela fait de ses films des réussites incontestables. C'est davantage la manière dont il les réinjecte et les redéfinit à chaque fois pour correspondre à l'histoire racontée qui en fait son intérêt. Et également le plaisir. Hacker, son dernier essai, en est une nouvelle remarquable émanation.

Boudé aux Etats-Unis et pas mieux lotis ailleurs, Hacker s'appuie pourtant sur un récit rondement mené, parfaitement stimulant par son approche originale du monde de la cyber criminalité, rythmé par des séquences d'action impressionnantes de par leur immersion et leur beauté, et construisant avec brio un espace sensoriel où la musique pulse les émotions des personnages. Surtout, le film propose une manière inédite de dépeindre les villes visitées. Mann a toujours démontré une grande maestria pour capter l'environnement urbain, ainsi l'une des attentes de ce Hacker était de voir comment le cinéaste y appréhenderait les cités de Hong Kong et Jakarta. Et c'est tout simplement envoûtant : Mann oscille entre la modernité de l'ancienne colonie britannique et les traditions de la capitale indonésienne, une dichotomie qui infuse son œuvre, généralement supportée par les actions de ses personnages et les mutations de leur société, qui se voit ici retranscrite dans les décors même. Car au fond, l'enjeu primordial sera de renouer avec une humanité perdue dans une hyperconnectivité démesurée, et cela passera par un retour à un certain primitivisme. L'évolution du parcours de Hathaway (Chris Hemsworth) jusqu'à l'affrontement final en étant la parfaite illustration : un héros "mannien" par excellence, spécialiste aguerri et intègre, irrépressiblement attiré par l'horizon sans fin qui s'offre à son regard (peu après sa libération pour aider l'alliance des gouvernements américains et chinois, tandis que les autres bifurquent vers un avion pour embarquer, Hathaway poursuit plus avant pour contempler un champs de liberté pour l'instant indéfini).

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CONNECTIVITÉ

Suite à l'explosion du moteur de refroidissement d'une centrale nucléaire chinoise puis de la montée contrôlée du cours du soja à cause du programme pirate d'un cyber-terroriste, le responsable de la sécurité informatique de Chine, Dawai Chen (Wang Lee-hom), s'allie avec le FBI. Mais pour débusquer ce blackhat (titre original du film) il devront faire appel à son ancien ami d'université, Nick Hathaway, qui purge une peine de quinze ans de prison. Une équipe hétéroclite laquelle prend également part la sœur de Dawai, Lien (Tang Wei), attirée par le blond et bodybuildé américain. L'interprète de Thor est plutôt convaincant dans ce rôle mutique où les émotions passent essentiellement par l'expression corporelle ; en avoir fait un personnage aussi doué avec un clavier que pour foutre une branlée à ses adversaires est intéressant dans le programme du film. Déjà, cela crédibilise les affrontements (après quelques années en prison, il est normal qu'il ait développé certaines capacités pour se défendre) et surtout cette alliance de l'intellect et du physique est la parfaite formalisation de la résistance des corps à l'immatérialité. Balise, antenne Bluetooth, caméras de surveillance, le réseau du criminel enserre, et seule une action physique semble capable de l'endiguer (fusillade, pénétration dans le bâtiment où se trouve un serveur dont l'accès à distance est impossible, piratage de compte bancaire grâce à une clé USB, la confrontation du climax).

 

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Dans ce contexte, on peut considérer Hathaway comme une représentation physique de données informatiques. Mais plus qu'un malware (il est responsable du piratage de banques puis des comptes de cantine des détenus) agissant au sein du système institutionnel, Nick Hathaway est un programme dissident qui suit sa propre définition. En prison il lit, s'isole avec de la musique sur les oreilles, fait de l'exercice lorsqu'il est enfermé en cellule d'isolement. Il s'astreint à une ascèse digne de celle de Murphy dans The Jericho Mile.
Comme bon nombre des autres héros chez Mann, le problème à résoudre pour Hathaway consiste à trouver comment circonvenir un système honni en en détournant les règles à son profit. Et cela nécessitera d'être low tech. D'une part pour retrouver liberté d'action, une forme d'humanité jusque là brouillée par la technologie et les connections constantes. Surtout, le climax le montre agissant au cœur du système tel un anticorps face au virus incarné par le cyber-terroriste. C'est clairement énoncé par la mise en scène de Mann qui montre Hathaway agir au milieu des indonésiens réunis pour une célébration religieuse. Il va à contre courant de la marée humaine, ce flux de chair et de sang, pour neutraliser les ennemis de ce corpus d'humains.

Une connectivité qui s'applique donc aux êtres humains et plus particulièrement à Lien et Nick. Leur attirance semble de prime abord trop rapide pour être crédible mais elle reflète finalement leur compatibilité parfaite et c'est en toute logique que cela se traduit par leur romance. Pas si incongrue que ça car plutôt bien amenée par Mann qui use de plusieurs plans sur des détails, un regard, une nuque, un geste, des quasi inserts qui rappellent l'immédiateté amoureuse de Sonny et Isabella dans Miami Vice.
 

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LE MONDE EST FLUX
Au-delà du thriller maîtrisé, Hacker fascine par la façon d'envisager le monde comme un gigantesque réseau dont il est presque impossible de s'échapper. Un monde réticulaire où le centre de pouvoir est désormais éparpillé et en périphérie. Un monde de flux en perpétuelle circulation. Mann le formalise superbement dès la première séquence avec un plan de Terre vue de l'espace, d'un bleu digital et semblant recouverte d'une pellicule de lignes fines, comme une toile d'araignée, et d'où se détachent des portions à l'intense luminosité. La caméra se dirige vers l'une d'elle, descend lentement pour pénétrer dans la centrale nucléaire puis passe à travers un écran pour parcourir les câbles de connexion et plonger toujours plus profondément dans le microscopique afin de rejoindre un assemblage de lumières représentant un flux de données, pour enfin remonter jusqu'à la diode de l'ordinateur du pirate informatique. D'un réseau macroscopique à un réseau microscopique, Mann plante son environnement diamétralement encadré, traçant une nouvelle cartographie.
Puis, après un passage par l'action physique du cyber-terroriste pianotant sur son clavier, la caméra repart en chemin inverse, signifiant ainsi que le malware vient d'être lancé, et se voit représenté par des données sous forme de lumières plus nombreuses, comme une vague submergeant le système de la centrale.

 

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Mann reprendra cette forme lors de la deuxième attaque destinée à faire monter le cours du soja. Et comme le réalisateur aura parfaitement su l'illustrer en introduction, il aura besoin de beaucoup moins de plans pour que l'on comprenne ce qu'il se passe.
Autre moment important, celui où Hathaway subtilise le mot de passe d'un agent de la NSA afin d'utiliser le super décrypteur appelé Veuve Noire. Il se fait passer pour son supérieur en lui initimant par mail de changer son mot de passe. Un programme d'Hataway va lui permettre de voir ce que l'agent tapera et Mann illustrera cette transparence par un plan remarquable où la caméra se trouve sous le clavier, rendu translucide.

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Des procédés de mise en scène qui n'ont pas seulement pour but de montrer de manière originale et ludique des actions aussi abstraites que la transmission et la captation de données mais qui établissent également l'idée que rien n'échappe aux flux, que l'humain y est épinglé à chaque instant. Et Mann accentue encore un peu plus cet enfermement virtuel en montrant les immeubles de Hong Kong tels de gigantesques composants informatiques, des serveurs géants dont les lumières scintillantes des façades traduisent une activité humaine désormais encapsulée.

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Comment y échapper ? C'est tout l'enjeu pour Hathaway et Lien qui devront trouver de nouvelles trajectoires dans ce quadrillage infernal. Voire fatal dès lors que le bras armé du hacker, le mercenaire Elias Kassar, se lancera à leur poursuite. Ils parviendront à leurs fins en obligeant le cyber-criminel à quitter son antre, à passer de l'autre côté de l'écran. A se détacher du flux.

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ET MAINTENANT, OÙ ALLONS-NOUS ?
Quel horizon désormais pour ce couple de fugitifs hors-la-loi ? Ils ont atteints une forme de liberté puisqu'ils ont réussi à former un couple, à rester unis dans l'adversité et la menace de "pixellisation" permanente, et de ce point de vue la conclusion apparaît comme la plus heureuse de l'oeuvre de Mann. Et en même temps, leur liberté n'est pas entièrement acquise car au milieu de cet aéroport, ils demeurent captés par des images vidéo. Car pour se libérer complètement, il faut pouvoir échapper aux flux, disparaître de l'écran de contrôle, de surveillance. On peut considérer qu'ils en prennent le bon chemin puisqu'ils n'apparaissent, dans le plan final, que dans un écran situé en bas et à gauche du plan, soit quasiment en marge de l'image finale. Après avoir passé les portes automatiques, Lien et Hathaway semblent se détendre car ils n'ont pas été appréhendés. Ils peuvent se perdre dans un premier plan flou. Habituellement, c'était l'arrière-plan qui demeurait dans le vague pour le héros "mannien", traduisant ainsi une échappatoire possible bien qu'indéterminée. Cette fois, ils y pénètrent pour s'y fondre. Contrairement à Isabella et Sonny, Hathaway et Lien ont peut être été plus forts que le flux, ils ont trouvé un moyen pour la part humaine de résister. Une alternative à laquelle le Dillinger de Public Enemies n'avait pu accéder.
Ou comment, dans un film a priori mineur, Michael Mann parvient à rebattre les cartes de son propre cinéma pour ouvrir de nouvelles perspectives.




BLACKHAT
Réalisateur : Michael Mann
Scénario : Morgan Davis Foehl
Production : Maggie Chieffo, Michael Mann, Thomas Tull, Alex Garcia, Eric McLeod …
Photo : Stuart Dryburgh
Montage : Mako Kamitsuna, Jeremiah O'Driscoll, Stephen E. Rivkin, Joe Walker
Bande originale : Harry Gregson-Williams, Atticus Ross, Leopold Ross
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h13
Sortie française : 18 mars 2015




   

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