Man Of Steel + Star Trek Into Darkness
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- Critique par Nicolas Zugasti le 15 juillet 2013
The darkest timeline
Man Of Steel et Star Trek Into Darkness illustrent une tendance des blockbusters qui est moins le développement de la noirceur de leurs héros qu’une propension à la simplification et reprise des mêmes recettes.
Si la confrontation avec un antagoniste figurant l’Ombre archétypale est une étape primordiale dans la construction du héros (le duo Kirk / Spock face à leurs homologues Amiral Marcus / Khan ; Superman contre Zod), l’ambiance entière du métrage ne nécessite pas d’être cafardeuse et l’image terne. Si une atmosphère de film Noir sied parfaitement à Batman, c’est plus problématique pour Superman qui par essence est un être solaire (il puise sa force de la proximité de la Terre du Soleil) censé être un phare pour l’Humanité. Qu’il soit travaillé par des questionnements moraux et identitaires de par sa nature extra-terrestre mais en faire un personnage torturé comme la gargouille humaine de Gotham est hors de propos. Comme si assombrir le paysage crédibilisait l’action.
Désormais, c’est comme si la noirceur infligée au récit valait comme caution d’une maturité à laquelle les pages colorées des œuvres adaptées échappaient de facto. Allons, les comic books, c’est pour les gamins, soyons sérieux…
Mais si l’on considère des adaptations dessinées personnelles récentes du mythe de Superman, sans parler du Suprême d'Alan Moore, le All Star Superman de Grant Morrison et Franck Quitely est particulièrement chatoyant et s’articule pourtant autour de la fin de vie de Supes dont l’organisme se meurt suite à une trop directe exposition aux rayons solaires. Pas besoin de ternir l’imagerie pour obtenir une œuvre complexe.
Le noircissement appliqué aux œuvres estampillées DC Comics semble avant tout envisagé comme marque distinctive de Marvel. Autrement dit, un traitement induisant une sorte de positionnement inverse à l’infantilisation à outrance des adaptions super-héroïques de la "maison des idées" qui empruntent la voie du divertissement familial à tout crin, quitte à verser dans la crétinerie la plus embarrassante (mis à part Captain America et Iron Man 1 et 3, le reste de la production récente est affligeant). Si dernièrement Amazing Spider-Man et Iron Man 3 ont recours à un élément perturbateur pour agrémenter leur récit (Peter Parker et ses velléités vigilantesques, les crises d’angoisse de Tony Stark), cela demeure en surface, finalement peu développé et uniquement utilisé pour épaissir un tant soit peu la personnalité du héros.
Cependant, ce sérieux que l’assombrissement de la trame est censé convoquer ne préserve aucunement du ridicule.
Si Batman Begins et The Dark Knight se montrent solidement charpentés, quoique non exempts de défauts (notamment dans la mise en scène de l’action), The Dark Knight Rises était un parangon de grand portnawak scénaristique et stylistique. Man Of Steel poursuit dans cette voie et va même encore plus loin dans la crétinerie en batterie (la mort de ‘Pa Kent, la totalité du climax et d’autres incohérences parsemées de ci, de là …). Certains plans sont tout de même bien fichus, principalement le sauvetage sur la plateforme pétrolière, la séquence onirique où Superman est enseveli sous un monceau de crânes, les séquences de vol (ne valant toutefois pas celles de Neo dans la célèbre saga des Wachowski), malheureusement aucun enjeu émotionnel d’envergure ne parvient à se dégager et encore moins à s’affirmer, rendant l’appréciation du film aussi froide que ses images. Comme si les leçons d’Incassable de Shyamalan (son chef-d’œuvre) avaient été soigneusement perverties. Dans ce dernier, l’ambiance était morose voire quasi dépressive mais si David Dunn se sentait si mal dans ses baskets, c’est qu’un événement le contraignait à cacher et oublier sa nature surpuissante. Shyamalan orchestrait alors de manière magistrale le retour du héros assumant son exceptionnelle condition. Chez Snyder, on est à la limite de la contrition.
Dans un registre plus méta-textuel, Grant Morrison, bien avant All Star Superman, mettait en scène avec son compère dessinateur Franck Quitely le retour lumineux des super-héros dans l’imaginaire collectif avec la mini-série Flex Mentallo. Un récit datant de 1996 pouvant s’envisager comme une interprétation très personnelle et psychédélique par endroits du mythe du surhomme en général (de l’âge d’or au temps moderne) et dont la tonalité particulièrement pesante se voit balayée par l’explosion de renouveau finale. Exactement ce que manque Man Of Steel tant son héros est loin d’incarner un quelconque espoir d’élévation. Plutôt que de susciter empathie et admiration pour Supes, le métrage de Snyder instille circonspection et méfiance voire peur tellement il semble plus doué pour tout exploser que pour sauver des vies.
Cette version de Superman n’est pas celle dont a besoin l’époque actuelle, qu’elle lui corresponde ou qu’elle le mérite, sans doute. Mais encore une fois, le concept même de surhomme quasi divin est bafoué, voué aux gémonies par cette volonté absurde de l’humaniser, de le rabaisser à une sordide condition humaine. Jouer sur son attachement, sa proximité afin de le rendre plus accessible, d’accord, mais tel qu’envisagé, notamment par les Avengers, lui assure plus sûrement une trivialité inopportune et surtout embarrassante. On n’en est pas encore là avec Man Of Steel mais le perso est loin de faire rêver. Et terminer le film par un Superman engoncé dans le costume et l’identité de Clark Kent le reporter est malheureusement emblématique de cette tournure (Bill s’en retournerait dans sa tombe). A vouloir prendre absolument le contre-pied du film de Richard Donner pour se démarquer, on obtient des mindfucks problématiques. Pourtant, Snyder, Goyer et Nolan insistent lourdement sur le caractère messianique du natif de Krypton (on apprend qu’il a 33 ans, il adopte des postures christiques bien marquées) mais cela ne se traduit jamais dans les actes (ce qui amène du coup à revoir à la hausse l’intéressant mais raté Superman Returns de Singer). Autrement dit, une simple donnée scénaristique et pas du tout un moyen de caractériser le personnage ou de l’approfondir.
En tout cas, il est évident que ce Superman là n’assume pas ses incommensurables pouvoirs. Bon, vu l’éducation rigoriste du père Kent, il a des circonstances atténuantes. Disons alors que c’est le trio précité à la barre du bouzin qui a du mal à assumer : couleurs sombres du costume (à la limite du noir - il porte le deuil de l’humanité vu sa propension à tout détruire ?), pas d’acte fondateur de son héroïsme et charisme (il va détruire la station de terraformation la plus isolée de toute population humaine pour combattre des tentacules !) et la prononciation de son nom de scène est une première fois différée alors que Loïs Lane est sur le point de l’exprimer pour mieux être balancé par un figurant en fin de bobine dans le dernier quart d’heure.
Mais le plus gros problème de l’entreprise est que Nolan l'a complètement phagocytée, appliquant en dépit du bon sens la même recette que pour son Batman quand bien même les deux personnages sont antinomiques par nature. La réalisation quelconque de Snyder n’arrangeant rien (au moins a-t-il laissé tomber, du moins pour ce film, ses ralentis à outrance).
Nolan qui perdure en outre dans sa manière d’envisager le héros costumé d’abord comme un symbole avant de le considérer comme un personnage à développer. Ici, c'est l’échange entre Clark et Loïs concernant l’emblème en forme de "S" ornant la poitrine de son costume qui le matérialise. Avec Batman, Nolan agissait de même bien que le devenir symbolique du justicier devenait surtout prépondérant dans le troisième opus, après deux films passés à définir plus ou moins bien le personnage ambivalent de Bruce Wayne (symbolique qui était d'ailleurs une des rares choses intéressantes de The Dark Knight Rises même si c'était asséné de manière pachydermique).
Le plus dérangeant, finalement, demeure l'exceptionnellement long climax voyant Superman détruire d'innombrables immeubles rempli d'innocents dans son combat contre Zod. Pour passer les incohérences multiples ayant émaillé le film jusque là et la stupidité de proposer un Superman en arme de destruction massive, nous avons droit à un déluge assourdissant d'actions dont la teneur et la répétition engourdissent la vigilance et mettent groggy le spectateur qui a l'impression d'en avoir pris plein les mirettes et eu pour son argent. Seulement, une fois retrouvé ses esprits, il faut bien se rendre à l'évidence que le spectacle proposé était de piètre qualité. Et se rappeler que la plus remarquable révision récente du mythe de Superman reste l'oeuvre de Brad Bird avec Le Géant De Fer.
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Confrontation avec l'ombre comme vecteur de maturité, reproduction d'un traitement similaire d'un film à l'autre, rythme effréné et action trépidante pour masquer les failles scénaristiques, renversement d'éléments de la saga originelle pour marquer une artificielle différence, voilà une bonne partie du programme qui structure également Star Trek Into Darkness, deuxième incursion de J.J. Abrams dans l'univers science-fictionnel de Gene Roddenberry. A la différence du Snyder, nous avons droit ici à un spectacle plus ludique et enjoué.
La reprise, en fin de métrage du reboot de 2009, de la célèbre phrase introductive de la série invitait à l'exploration de mondes inconnus, or ce ne sera pas pour cette fois-ci, même si la séquence pré-générique prend place sur une planète où l'équipage de l'Enterprise tente de sauver de l'extinction une population archaïque menacée par l'éruption imminente d'un volcan.
La majorité du film se déroule certes dans l'espace mais la menace personnifiée par Khan (Bénédict Cumberbatch) va surtout permettre de se confronter aux arcanes les plus opaques de Starfleet. Le chien fou Kirk et son adjoint le froid Spock vont ainsi affronter leur Némésis respective qui représente une version pervertie d'eux-mêmes s'il venait à emprunter une voie plus ténébreuse (le côte obscur ?). De plus, l'intrigue développée autour du vindicatif Khan ayant mené à l'explosion d'un bâtiment lié à Starfleet et une poursuite sur son lieu de repli, la planète Klingon, une ambiance de plus en plus désespérée s'instille dans la mission de Kirk et son équipage, et va pousser la Fédération aux portes de la guerre avec les Klingons.
Ici aussi on joue la carte de la maturité tranquille avec une teneur plus sombre du récit à grand renfort de références contemporaines (l'attentat terroriste de Khan, l'action de guerre préventive envisagée pour le punir, le crash d'un vaisseau stellaire au milieu de la ville...). L'allégorie science-fictionnelle se pare d'atours moins fantaisistes, histoire de montrer que cette fois-ci, c'est du sérieux, qu'il y a un vrai commentaire géopolitique qui se dessine en filigrane, voyez. M'ouais. La menace pesant sur la flotte au bord de l'implosion se voit au moins renforcée. Dommage dans ces conditions que la potentielle guerre avec les Klingons soit oubliée par la suite, amenuisant l'ampleur du récit.
Malgré le ton grave affiché, l'humour reste présent, les relations entre les personnages plus dynamiques et naturelles que dans le premier opus. Cependant, comme pour ce dernier, dans cette version alternative de l'univers Star Trek, l'empreinte d'Abrams se limite à des emprunts des épisodes classiques (La Colère De Khan en tête, donc) avant tout pour montrer patte blanche aux trekkies et agrémenter son terrain de jeu. Aucunement avec l'intention de redéfinir et s'approprier ces références afin d'alimenter une vision plus personnelle (n'est pas Tarantino qui veut !). Soit le problème de tous les films réalisé par Abrams qui aussi sympathiques soient-ils, ne marqueront pas les mémoires ou ne créeront d'excitation cinéphile ; il n'y a bien que les Cahiers pour s'enthousiasmer devant l'oeuvre du réalisateur de Super 8 (dossier de dix-huit pages dans le numéro de juin) mais cela tient sans doute plus à la volonté de ne pas rater le train des aficionados du plus geek des metteurs en scène (sic). Car leurs réflexions n'enflamment pas particulièrement par leur pertinence, si ce n'est qu'est rappelée une phrase revenant régulièrement dans la série Fringe et définissant parfaitement les enjeux de l'oeuvre d'Abrams : soit un meilleur homme que ton père.
Ce rapport compliqué à la figure paternelle infuse principalement les séries façonnées par Abrams et se diffuse plus discrètement dans ses films : absent de Mission : Impossible 3,  prenant plus d'importance à partir de Super 8 pour être avec Into Darkness l'un des principaux axe narratif impliquant Kirk où les amiraux Pike (Bruce Greenwood) et Marcus (Peter Weller) représentent deux facettes de cette symbolique. Un ressort dramatique plutôt intéressant même si limité à donner une leçon d'humilité à Kirk et à l'impact émotionnel minime. Ce qui est d'ailleurs le lot de toutes les péripéties frappant Kirk et sa clique. On regarde ainsi ce spectacle divertissant sans passion particulière, peu touché par le sort réservé à certains membres. Même l'inversion de la relation Kirk / Spock, où chacun va s'ouvrir à la logique de l'autre (impétuosité et réflexion s'inter-changeant dramatiquement) ne procure un quelconque frisson.
Comme pour Man Of Steel, les carences du récit sont dissimulées par un enchaînement d'actions pétaradantes même si moins abrutissantes (une séquence demeure correctement ficelée en termes de mise en scène et de tension, celle du "saut" dans l'espace pour évoluer d'un vaisseau à l'autre). Globalement ST:ID reste plus agréable à suivre malgré certaines séquences confuses (l'attaque du conseil des haut gradés, l'affrontement contre une patrouille Klingon), le jeu caricatural de Cumberbatch qui nous avait habitué à plus de subtilité (c'est son accent angliche qui l'oblige à articuler exagérément pour se faire comprendre ?) et un abus de lens flare toujours aussi crispant. Des reflets, sans aucun intérêt narratif, valant comme unique trouvaille esthétique d'Abrams pour rendre reconnaissable son absence de style.
Avec leurs airs renfrognés, les blockbusters concoctés pas Snyder et Abrams adoptent une posture prospectant la crédibilité avant la jouissance extatique que ce genre de programme roboratif promet généralement. Et en matière de film embrassant avec passion et sincérité son sujet, on sait tous qu'après Sharknado, le film jubilatoire de cet été est signé par un mexicain amoureux des monstres de toutes sortes.
MAN OF STEEL
Réalisateur : Zach Snyder
Scénario : David S. Goyer & Christopher Nolan d’après des personages créés par Jerry Siegel & Joe Shuster
Production : Thomas Tull, Christopher Nolan, Deborah Snyder, Charles Roven…
Photo : Amir Mokri
Montage : David Brenner
Bande originale : Hans Zimmer
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h23
Sortie française : 19 juin 2013
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STAR TREK INTO DARKNESS
Réalisateur : J.J Abrams
Scénario : Roberto Orci, Alex Kurtzman, Damon Lindelof d’après des personages créés par  Gene Roddenberry
Production : J.J Abrams, Roberto Orci, Alex Kurtzman, Bryan Burk...
Photo : Daniel Mindel
Montage : Maryann Brandon & Marty Jo Markey
Bande originale : Michael Giacchino
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h12
Sortie française : 12 juin 2013
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Commentaires
Justement, je me suis même dit que c'était une illustration de ce discours : Kal-El, après s'être longtemps cherché, est devenu Superman. Mais il renonce aussi pendant le film a son identité de Kryptonien au profit de la Terre. Il ne lui reste plus qu'à devenir pleinement Terrien, à enfiler son costume de Clark Kent.
C'est clair que ça ne fait pas rêver, mais c'est toujours le problème avec Superman : c'est un personnage qui n'assume pas pleinement son statut de dieu (et c'est pourquoi Superman Returns est si intéressant, et pas si raté que ça à mon avis...)
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