John Swartzwelder
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- Série TV par Clément Arbrun le 13 décembre 2012
The Simpson life
L’instant Simpson, c’est un petit moment convivial entre parenthèses, une chronique de fanatique qui délire sur la richesse d’un des plus bels objets de la pop culture.
Histoire de rappeler que vingt minutes bien taillées de fiction peuvent virer au chef-d’œuvre, que le bébé de Matt Groening ne se limite pas à ses gags du canapé, que derrière une légende il y a le mythe d’une histoire et que derrière le mythe de la légende il y a l’histoire du… euh… et vice et versa.
Aujourd’hui les loulous, misons tout sur John Swartzwelder. En 1998, un homme nommé Franck tenta de prononcer quinze fois de suite le nom dudit monsieur. Du stade du découragement il passa à celui de la dépression, puis tenta de se suicider quinze fois en une heure. C’était un vendredi.
L’HOMME
John qui, donc ? Swartzwelder. L’un des plus grands scénaristes du show. Celui sans qui la famille jaune ne serait pas la même. Mais avant de raconter la grande histoire, il faut se concentrer sur la petite. Après avoir fait ses armes au service du Saturday Night Live (l’Eden du comique caustique), John va rencontrer George Meyer et scribouiller quelques vannes perçantes pour le magazine humoristique de ce dernier, Army Man, soit le seul magazine des Américains (c’est l’accroche qui le dit : "American’s Only Magazine"). Meyer, c’est à la fois un ex-élève d’Harvard, cet établissement plus-que-respectable, et un ex-président du Harvard Lampoon, cette institution de la rigolade datant de plus d’un siècle, dont les noms phares résonnent comme des slogans révolutionnaires : DOUGLAS KENNEDY ! CHRISTOPHER GUEST ! CHEVY CHASE ! Bref, Meyer garde John sous le coude, le temps de se voir proposer par Sam Simon (gros fan du Army Man) un poste de scénariste pour une série naissante, consacrée à une famille jaune. Nous sommes en 1989.
Meyer, profitant de cette occasion, ouvre donc la porte à deux de ses rédacteurs talentueux (John et un dénommé Jon Vitti, le grand sentimental) et ces derniers de commencer leurs travaux pour la même série. Un travail d’équipe, donc, quasiment une famille. Le premier épisode scénarisé par Swartzwelder est Terreur A La Récré (1x05), une parodie de Patton. Le dernier est Homer Rentre Dans La Reine (15x04), excursion simpsonienne au pays de Pierce Brosnan et de JK Rowling.
Entre parenthèses, il faudrait un jour se pencher davantage sur Meyer, ou comment un monsieur diplômé de bio-chimie débarque dans la team à Groening, ce new-yorkais cynique et désopilant amateur de lapins névrosés. Ce qui rappelle un chouia le cas David X. Cohen : ou comment un scientifique pur et dur, une véritable tête d’ampoule, devient une star en griffonnant des gags géniaux pour Beavis And Butt-head et Futurama… Bref.
John est le type même du mecton qui brise la frontière entre quidam banal de la vraie vie et archétype sensationnel de série TV. Archétype ? Voire même stéréotype, stéréotype complètement inclassable. Tous les mots se rencontrent et se combattent pour le définir, de paradoxe en paradoxe, jusqu’à faire croire qu’il affectionne ce qu’il fustige dans ses propres histoires. Il serait d’une drôlerie absolue et vacharde. Bosserait façon deux clopes à la minute et cafés en file indienne. Quand la cigarette se voit abolie durant le travail, le voilà qui plie les gaules et se met à écrire dans son home sweet home. Un fan de Preston Sturges. Un radicaliste opposé à l’écologie et défenseur des armes à feu, conservateur comme libertaire. Du genre à aimer les cowboys texans comme ces rebelles de gangsters. C’est un fantôme inconnu des commentaires audio, dont l’album photo se résume à deux vagues clichés diffusés sur la toile, dont l’existence se discute même au sein des fans.
Pourtant, au sein de ce même cercle, c’est, plus que le mystère, un style indéniable, personnel, qui fait de lui un scénariste encore plus important que l’inestimable et éclectique Al Jean. Comme tous les noms légendaires du show (Jean donc, mais aussi Vitti, James L. Brooks, David Mirkin, Mike Reiss, Mike Scully…), il contribuera à l’écriture de Les Simpson, Le Film. Mais, par le diable, cet hurluberlu ne peut qu’exister. Un bouquin publié en 2004 en est témoin : The Time Machine Did It, un récit absurde mélangeant SF et detective story vendu sous l’accroche "by the writter of 59 episodes of The Simpsons".
S'il y une cohérence au niveau de la verve, ce gars est un auteur, et donc il existe forcément dans la vraie vie, malgré tout ce qui a pu être dit de fantasque à son sujet : fan de base-ball prenant l’apparence d’un "policier anglais du dix-neuvième siècle" (à en croire Conan O'Brien, à qui l’on doit entre autres l’histoire du parfait Le Monorail, 4x12), déconneur un peu bourru qui, selon Groening himself, déposerait ses scénarios au volant d’une grosse Cadillac… L’homme mystère.
SON OEUVRE
Quand on envisage non pas ce qu’est, mais ce que pourrait être ce scénariste, on se met à retrouver un petit tas d’éléments caractéristiques. Comme ce personnage de cowboy pathétique dans Adieu Cowboy (13x12), une icône du cinoche d’antan (période Sturges ?), un mythe dépassé qui se trouve être une vieille loque alcoolo. Ou le base-ball, sport fétiche du scénariste, comme votre narrateur l’a rappelé plus haut, base-ball qui est le sujet central de Homer La Foudre(3x17), clin d’œil à l’un des films les plus parodiés par la série, à savoir Le Meilleur de Barry Levinson.
Ou ces deux thèmes, l’armée et la mafia, chers à la culture dont John est attaché : Bart fait son soldat dans Terreur A La Récré, et son petit gangster sorti d’un Scorsese / Coppola dans Le Petit Parrain (3x04). De plus, on comprend mieux l’ambiguïté de certains épisodes, tel Le Papa Flingueur (9x05), critique du développement des armes dans les foyers américains sous prétexte de légitime défense, prenant ici la forme d’un constat ironique : Homer achète un flingue pour défendre sa famille et c’est à cause de cette arme que sa famille part. Il n’a donc plus rien à défendre ! Mais derrière ce portrait d’une Amérique bourrée de tireurs en rut se faufile une scène de conclusion qui est un pied de nez moral, soit cette image d’une Marge qui, d’anti-armes à feu, se prend pour une James Bond en talons aiguilles au dernier plan. Pas de doute, il s’agit bel et bien d’un récit écrit par John, le défenseur des guns, dépeignant davantage ses crétins de concitoyens (qui shootent à tout bout de champ, tel le personnage du texan) que la réelle dangerosité des armes.
Et tout l’univers que déploie le scénariste va en ce sens. La touche Swartwelder est une bombe subversive au sein de la cocasserie universelle de Groening. D’épisode en épisode, la plume se fait tranchante, l’œil est acéré, et si la vanne va plus loin que le burlesque habituel (visuel, référentiel) c’est qu’elle est l’invention d’un portraitiste sans pitié.
L’œuvre de John Swartzwelder, au-delà d’un l’humour incontestablement irrésistible, peut se résumer en une seule note d’intention, et pas des moindres : brosser une fresque de l’imbécillité citoyenne, de l’étroitesse d’esprit de toute classe, de ce qu’est réellement l’american way of life. Un voyage au pays des ratés, des fous, du règne de la médiocrité. Des preuves ? Pas de souci : c’est parti pour la musique !
En nous balançant L’Abominable Homme Des Bois(1x07), John scrute le sensationnalisme des médias, lesquels transforment un abruti recouvert de boue en monstre de foire. Railler l’air de faux jeton de la Justice américaine, le jeu d’acteur de tout avocat, le tribunal comme scène de toute escroquerie ? Revoir Toute La Vérité, Rien Que La Vérité (2x10), ainsi que le non moins explicite Le garçon qui en savait trop (5x20), où le critère seul de l’apparence se dévoile être le motif principal de tout jugement. Dans un élan d’optimisme, Bart choisit, au détriment de son propre intérêt, de faire triompher la Justice en défendant le neveu du Maire, grossier homme plus que détestable…
Mettre en exergue la barbarie des coutumes ancestrales transformant l’Amérique moderne en bandes de bêtes sauvages délaissant la civilisation pour les traditions les plus sanglantes ? C’est là l’idée du fameux Le Jour De La Raclée (4x20), épisode où ce sont les gosses qui se trouvent être les plus malins, comme d’habitude. Les gosses… et Barry White. Quand il s’agit de railler Cops, John imagine un système social de défense régi par des crétins abusant de leurs pouvoirs. Erreur Sur La Ville (5x11) est autant délicieux par l’insouciance surlignée d’un Homer flic en roue libre que par l’hypothèse sociétale que l’épisode propose. Quand la police est incapable de faire régner la Loi… on (= le peuple) choisit le pire !
Un peu de méta pour la route : questionner, à travers une satire désopilante du milieu artistique / médiatique, la crédibilité d’une série à long terme, c’est là tout le mérite de Bart Devient Célèbre (5x12). Une petite mise en abîme où Bart se transforme en icône par le biais d’un gimmick sensationnel. Mais quand la nouveauté n’est plus qu’un refrain usé et connu de tous, quand une réplique rentre au panthéon et en perd sa saveur, la création, la personnalité, en un mot, l’Art, n’a plus aucun intérêt, et le public s’en désintéresse. Une façon comme une autre de douter de la pérennité d’un show tel que Les Simpson, divertissement tout autant populaire, reconnu pour ses Ay Carumba, D’oh, et autres Ah-ah ! L’introspection de l’artiste.
Le show-biz, en général, est un thème qui obsède Swarzwelder, passionné par Krusty, ce fascinant croquis de la star pour enfants arrogante et décadente, esquissée tel un has-been méritant la résurrection (Krusty, Le Retour, 4x22)ou le symbole d’une nation aberrante se pliant aux clichés républicains (Le Député Krusty, 14x14). Il est amusant de constater que ce dernier épisode en dit long sur la mentalité américaine à travers les âges, contrôlée par le règne des images reposant sur l’inconscient collectif, où la victoire politique se cristallise en un spot de campagne bourré d’illustrations stéréotypées rassurantes, où une loi bienveillante ne peut être votée sans ruses malhonnêtes, où un acteur peut devenir une figure politique… (qui a dit Ronald Reagan ?)
Dans cette sphère des images chimériques, tout devient possible et acceptable. Le cynisme de l’auteur est à son paroxysme quand la peine de mort prend la forme d’un concept d’émission de télé-réalité : Cf. le twist final ébouriffant de Une Chaise Pour Deux (13x21). Tout est permis.
De la même manière, le milieu du spectacle est perçu comme une entreprise déshumanisante, où il suffit qu’un médiocre character fictionnel porte votre nom pour que l’industrie détruise indirectement votre réputation et votre vie (Max Simpson, 10x13). Quand tout ne tient pas à un simple clic, dans un microcosme où le créateur peut tout gagner par l’invention d’un divertissement ô combien régressif, puis tout perdre en un claquement de doigts (Papa Furax, 13x18). Et comment, oui, comment oublier l’incroyable conclusion de Radioactive Man (7x02) ? Après un tournage chaotique à Springfield (l’adaptation de la bande dessinée préférée des loulous de la série), un réalisateur yes-man retourne chez lui avec son équipe. Chez lui, c’est à dire à Hollywood. Le Paradis : "Dieu soit loué, nous revoici à Hollywood, une ville où on a des égards pour autrui !" Et cette réplique de conclure une charge féroce de l’usine à rêves. Tout le monde est beau et gentil, producteurs et metteurs en scène se câlinent. La satire caustique par excellence, l’une des plus grandes qualités de tout grand scénariste des Simpson. Même Mickey Rooney est d’accord pour participer à ce jeu de massacre.
Bref, vous l’avez compris, chers lecteurs : ça clashe, ça charcle, ça crache sur tout ce qui a à avoir avec la réappropriation de l’art par les mentalités actuelles et la dimension de l’acteur / artiste dans la société. Mais au-delà de cette critique, Swarzwelder s’affiche comme un empêcheur de tourner en rond, l’un des plus grinçants analystes de la série de Groening. Selon lui, le degré de "classe américaine" (lol) n’est pas seulement défini par deux bouffeurs de viande se livrant un duel culinaire ridicule (Beau Comme Un Camion, 10x17), non, la vie est bien plus absurde que cela. Et oui. Car en fin de compte, tout se résume à une lutte des cerveaux où le pire l’emporte sur le meilleur.
S’il n’y avait qu’un seul épisode à retenir, UN SEUL (chose évidemment humainement immorale) dans la liste des contributions signées John, un objet filmique de vingt minutes d’une concision scénaristique absolue, un bijou de cruauté ahurissante, un fétiche politiquement incorrect à sauver de l’Apocalypse… il faudrait alors planquer sous son oreiller l’un des chefs-d'œuvre de la création simpsonienne : L’Ennemi D’Homer (8x23). Un classique.
Résumons. Homer va travailler à la centrale avec Frank Grimes, qu’il surnomme Gremlin. Grimes est un loser apte à redéfinir notre propre perception psychologique de la famille jaune. Grimes a tout perdu dans sa vie, et va, à cause d’Homer, tout perdre encore, jusqu’à la vie, en un dénouement glauque à souhait. Sa persévérance et son talent sont inouïs mais sa vie ne fut que misère et coups de malchance. A côté de cela, la famille Simpson bouffe du homard, le fils récupère une usine abandonnée et devient propriétaire à dix piges, la fille est brillante, la mère sublime, le père gagne sa vie depuis des années malgré ses nombreux licenciements, en ne comprenant rien à son métier et en faisant l’éloge de la plus dingue fainéantise professionnelle. Ce que le spectateur voit en la famille Simpson depuis des années, plus qu’une vision satirique de la famille américaine, ce sont des personnages attachants, marrants, touchants, soit la fameuse alchimie "à la Simpson", où l’émotion fait la courte échelle au rire. Or, sous la plume tranchante de John chéri, le charme du fictif rencontre la douleur de la réalité, puisque l’évidence est là  : face à ceux qui se battent pour tenter de vivre normalement, il y a les Simpson, modèle d’opportunisme, famille vivant les plus folles aventures aux quatre coins du globe, et ce par coups de chance répétitifs, représentation même de l’arrivisme ricain (Homer a chopé son boulot à la centrale grâce au hasard), personnification d’un american dream veule, arbitraire et sélectif.
Dans un autre épisode (le fantasque et délirant Un Monde Trop Parfait, 8x02), Swarzwelder propose même à la famille jaune un microcosme social en apparence impeccable sous tout rapport, c’est dire le degré d’injustice en ce bas monde. Bref, L’Ennemi D’Homer, c’est la vision limite défaitiste d’un adepte de la caricature qui touche au vrai. Sur cette planète, à quoi bon être cultivé, il faut s’adapter, comme l’être primitif (= Homer). Dans ses élans d’ironie dévoratrice, l’épisode atteint les cimes Wilderiennes / Hawksiennes de la comédie sociale qui gifle par ses dialogues chirurgicaux.
Plus que le poste social d’importance, l’incapable hérite de la plus haute destinée philosophique. Ben oui, dans le merveilleux Homer Le Grand (6x12), portrait au vitriol des sectes reposant sur des préceptes saugrenus et conditionnant le fonctionnement propre de l’administration (il faut faire partie d’une secte pour faire réparer ses robinets !), Homer devient l’Elu, le maître, s’introduisant ni vu ni connu chez les Tailleurs de Pierre jusqu’à en devenir leur chef spirituel. La religion ne devient qu’un gag non-sensique, la croyance une crétinerie, et Dieu prend la forme d’un chauve bedonnant traînant un rocher en tenue d’Adam.
La discussion pourrait s’éterniser jusqu’au prochain Michael Bay ou jusqu’à la prochaine saison de Sherlock, mais voyez plutôt la niaque du scénariste qui, d’épisode en épisode, explose à la dynamite chaque institution de son beau pays. Industrie du spectacle, Justice, Eglise, jusqu’aux présumés codes moraux faisant croire à tout un chacun qu’il faut avoir un talent pour gravir les échelons d’un système basé sur la chance, et rien que la chance. Un système basé sur l’ignorance… derrière ses préceptes un brin douteux (s’il est véridique que John est un amoureux du calibre), c’est là l’œuvre d’un anar qui se paie l’Oncle Sam avec autant de facilité qu’il lui en faut pour s’allumer une clope. S’allumer une clope dans son appart, se remettre à l’écriture, envoyer valser tout élément perturbateur, et accoucher d’un énième trésor de subversion. Mais tout cela semble bien finit, l’homme n’écrit plus, tout s’est arrêté à la quinzième saison. Rest in peace, Les Simpson.
ET POUR UN PETIT COUP DE COUDE DE PLUSÂ !
Oui, car, les z’amis, vous vous en doutiez, je ne peux pas finir cette chronique sans un petit paradoxe en forme de clin d’œil outrancier. Sans un petit tabassage de cette caractéristique nuisible qu’est la catégorisation. Ainsi John Swartzwelder peut être dépeint, au fond, comme un philosophe aux états d’esprit crépusculaires. Mais, selon le dénommé Matt Groening, John, c’est aussi ce bon vieux Herman. Le vendeur d’armes de la série, ce militaire ressemblant comme deux gouttes d’eau au schéma physique du psychopathe habituel. Herman, comme John, a une moustache ridicule, une coiffure bizarre, à ce détail près que John a encore ses deux bras. John et Herman ont l’air rigolo mais font beaucoup flippé quand même. John, avec son statut imposant, son regard de serial killer vicelard… D’autant plus que John apparaît simpsonisé dans l’épisode Une Crise De Ned (8x08)… et dans la peau d’un fou ! Bref, le gars a l’air sympa, mais ne vous approchez pas trop près de ses bottes.
Bye bye, John. Comme le héros de Adieu Cowboy, tu files à l’horizon, tel un vieux souvenir d’un passé de conquérant. L’allure du triomphateur.