Boulevard Du Crépuscule
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- Rétroprojection par Guénaël Eveno le 11 avril 2008
Certains l'aiment show
C’est l'histoire de Joe Gillis, scénariste fauché de la fin des années 40 qui se fait mettre le grappin dessus par une ex star du muet vivant dans l'ombre de son succès dans un vieux manoir près d'Hollywood.
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Tout ça est raconté de la bouche du héros mort, cinquante ans avant American Beauty. La narration est excellente, fluide et ne manque pas d'ironie. Le casting ferait pâlir de honte toutes les productions actuelles tant il est parfait et adapté au propos. Le film montre les coulisses d'Hollywood dans son envers. Le regard détaché du narrateur cadavre pose un état des lieux sur une usine à déchets où le succès est moins certain que la décrépitude, et où s'entassent de nombreux aspirants comédiens et scénaristes. Boulevard Du Crépuscule est traversé par un humour qui lorgne souvent vers l'humour noir. Rien de sordide mais ce qu'il faut pour garder un regard lucide, tout en conservant la finesse du style de Wilder. Le tout est rentre dedans quand on sait que le studio qui a produit le film est la Paramount et que Wilder ne se prive pas de le citer et de tourner dans ses murs. Il a d’ailleurs derrière lui une longue carrière de scénariste pour ce même studio, et les lieux qu’il décrit, il les a pratiqués. Cela nous donne au final un drame classique en trois actes, le film le plus maîtrisé de son réalisateur. Un film qui jongle du pathétique à l’émouvant, flirte avec le réel et le fantastique tout en n’omettant pas d’être une comédie intelligente et intemporelle.
LE MUSEE DES HORREURSÂ
C’est un étrange coup du sort qui conduit Joe Gillis à la demeure de Norma Desmond, à Sunset Boulevard (titre original du film). A peine la découvre t’on, Wilder la présente déjà comme une représentation anticipée de sa propriétaire : une maison vide qui ressemble à une vieille femme d’un bouquin de Dickens qu’on aurait rejetée et qui en voudrait à la Terre entière. Encore une de ces situations improbables dont Wilder a le secret : Le scénariste des 50’s se retrouve pris au piège de l'ultime vestige du cinéma muet, un manoir à la fois horrifique, étrange et extravagant, remplie de portraits de la star, une relique du passé à l'image de ses deux occupants, la vedette déchue et l’inquiétant Max le joueur d’orgue. La parfaite maison hantée, immense et inquiétante. Et chaque maison hantée a ses fantômes.
Norma Desmond, campée par l’impressionnante Gloria Swanson, a cette grandiloquence du muet, ses apparitions sont théâtrales, au maquillage et à l’éclairage expressionnistes. Sa vie est un film et c’est sur un ton de tragédienne qu’elle en déclame les paroles. Face à elle, un William Holden, dans un jeu tout en nuance dans le rôle du scénariste. "Ceux qui écrivent des mots !" dira t’elle. Tout de suite, deux visions du cinéma s’opposent : l’expression contre le langage. Ce décalage nourrit une grande partie du film et le fait basculer dans sa première partie vers un comique de situation très bien géré.
Wilder joue avec subtilité la carte de l’humour noir et de l’absurde et son narrateur le suit par quelques piques bien assénées ou des phrases significatives : "Nous faisons un joli tableau : le paquet de nerfs, Max, le cadavre du singe au premier, et le vent qui faisait gémir l’orgue de temps en temps". Cette phrase fera place dans le plus grand sérieux à l’enterrement du singe de compagnie, "sans doute l’arrière petit-fils de King Kong". Holden parlera plus tard de Waxwork (musée de cire) pour décrire les amis de Norma, d’autres stars du muet (dont l’un est Buster Keaton en personne), qui se réunissent pour jouer au bridge dans une ambiance laconique et mortifère.
Le narrateur/héros rejeté du nouvel Hollywood, sans devenir une de ces figures, finira par faire partie des meubles en emménageant dans la pièce aux maris (!).
Erich Von Stroheim, réalisateur déchu, se retrouve dans un rôle qui le décrit dans ces grandes lignes, si ce n'est que Max est devenu le larbin de sa star dans laquelle il projette aussi l'ancien temps. Wilder va jusqu’à pousser encore la mise en abîme en faisant visionner à son personnage un film que l’actrice Gloria Swanson, interprète de Norma, avait tourné à l’époque du muet et dont le réalisateur était effectivement Von Stroheim. Max Von Mayerling se dévoile vite comme le réalisateur de cette vie dans laquelle est plongée Norma Desmond du soir au matin. Lui-même terrassé par le traitement réservé à sa star et visiblement très amoureux, il l’oblige à entretenir l’illusion qu’elle s’est créée.
GIGOLO JOEÂ
Dès qu'il entre dans la villa Desmond, Gillis se retrouve dans un étrange cérémonial pour enterrer l'animal de compagnie, et sans le savoir il prendra sa place. L’Ego de la Star est tel qu’il finit par tout dévorer. La soumission de Joe passe d’abord par l’humiliation. Elle le dépossède de sa voiture, seul bien qui le liait encore vers l’extérieur, puis de ses habitudes et elle finit par l’habiller à la Pretty Woman (mais sans la musique). Un peu plus tard, elle lui donne un billet, puis elle le bichonne. Le personnage du smart guy devient le pathétique gigolo de madame, se contentant d’illustrer son dégoût par de vagues protestations avant de plier sous le coup de la vie promise et du chantage affectif. Mais il le sait et il a honte.
A coté se profile une porte de sortie : Une romance.
Betty Schaeffer est très jeune, innocente et nourrit de grands espoirs envers le Hollywood qui l’a vue grandir. Actrice ratée, elle devient lectrice à la Paramount et compte bien décrocher sa chance comme scénariste. On retrouve dans leur complicité des lieux chers à Wilder, comme ces pièces réservés aux scénaristes qu’il a dû longuement fréquenter lors de ses séances d’écriture avec Charles Brackett (Boulevard du Crépuscule est le dernier d’une longue série de films qu’ils ont coécrit). On retrouve aussi le doux ton de ses comédies romantiques qui tranche avec l’humour noir et le pathétique de la villa.
On est en terrain connu : une rencontre qui commence par un malentendu. Une complémentarité spirituelle développée lors d’une fête, puis lors d’une visite sur le plateaux vides, tout s’enflamme comme un vent d’espoir autant dans leur relation que dans la capitale du cinéma, happy end et on s’embrasse. Mais on sait hélas qu’elle ne sauvera pas le héros. On a vu la fin ! (héhé) Les sentiments purs de la jeune femme le renvoient à sa dépendance malsaine. Complètement dégoutté de lui-même, Joe évoque ce contrat qu’il a passé avec Norma pour transmettre ce dégoût à Betty. Le luxe, l’opulence contre l’aventure. Ce qui pourrait être traduit par le confort d’un contrat avec les studios contre l’intégrité artistique. Ces contrats étaient légions à l’époque, autant pour les acteurs bankables que pour les armadas de scénaristes, et le studio n’est rien d’autre que ce qu’est Norma : la partie qui a le fric. Mais Joe n’est pas Max. Il a encore sa fierté et il ne compte pas la perdre. Bien mal lui en coûte de claquer la porte pendant la représentation de sa logeuse.
VIVRE ET MOURIR A HOLLYWOODÂ
Dur de ne pas imaginer que David Lynch s'est inspiré du Sunset Boulevard de Wilder pour son Mulholland Drive. Le pneu percé qui conduit Gillis, le héros vers la demeure de la star déchue fait étrangement écho à l'accident du personnage de Laura Harring sur Mulholland drive qui la mènera à rencontrer celui de Naomi Watts. Le début du rêve pour l’une sera celui du cauchemar pour l’autre. Norma Desmond enferme Joe Gillis dans sa maison comme Diane enferme Camilla dans son rêve pour devenir la gentille Betty (!), qui a encore ses rêves et son intégrité. Dans les deux cas, le prisonnier force la sortie du rêve/de la maison et le geôlier la punira par la manière forte (des balles dans le corps). Lynch avouera lui-même que Sunset Boulevard fait partie de ces films préférés avec Vertigo (aussi bien visible dans son œuvre). Pour achever de se convaincre de ce dernier fait, il y a ce Gordon Cole qui travaille pour Cecil B. De Mille, un nom que l’on a pas besoin de hurler pour renvoyer les aficionados de Twin Peaks à de sympathiques souvenirs à base de croissants chauds et d’appareils auditifs. De Sunset Boulevard à Mulholland Drive, il y a pourtant cinquante ans, mais le monde et l’industrie du cinéma n’ont fait que claquer le vernis pour exposer cyniquement et commercialiser à qui le voudra le constat amer de Wilder sur son époque.
On sent clairement que Wilder, comme Lynch, a de l'empathie pour tous ces fantômes. Une autre marque de son cinéma est l’humanité de ses personnages, où le plus vil se trouvera des qualités et le plus charmant aura ses zones d’ombre. Il met dans la bouche de Joe des mots qui auraient pu sortir de la sienne, un sens du phrasé et de la formule assez uniques. Ensuite il transmet à travers tous ces personnages son amour du cinéma. Celui de Gloria Swanson n'y échappe pas. On assiste à une danse d’une sincérité troublante entre le scénariste et la star. On retrouve plus tard le temps de sa gloire lors d'une visite en studio qui insiste sur l’hommage plus que sur la lâcheté de Cecil B. De Mille dans son propre rôle. La scène finale de l’arrestation, suite logique de la première (la découverte du cadavre), renvoie une image "charognarde" de l'industrie du spectacle et une impression pathétique et attachante envers cette star qui rentrera finalement dans la postérité en tant qu'assassin. Le narrateur enfonce le clou en avouant ressentir ces mêmes sentiments envers son bourreau.
Dans un film ou réalité et fiction se télescopent dangereusement, Billy Wilder nous conte les affres de la célébrité et d’un système jetable qui ne prend pas en compte l’humanité, qui est ainsi apte à engendrer l’autodestruction. Un miroir aux alouettes qui prophétise la course à la reconnaissance que l’on vit à travers les émissions exposant tels des monstres de foire d’anciennes célébrités qui supplient qu’on les fasse revenir. Comme on dit : "peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse". Mais parfois l’ivresse mène à la folie.
SUNSET BLVD.
Réalisateur : Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder, Charles Brackett et D.M. Marshman Jr.
Production : Charles Brackett
Photo : John F. Seitz
Montage : Arthur P. Schmidt
Bande originale : Franz Waxman
Origine : USA
Durée : 1h50
Sortie française : 13 décembre 1950