De l’évolution de l’homme d’action en milieu tempéré
- Détails
- Instant critique par Nicolas Zugasti le 9 février 2011
Les fleurs du mâle
En se retirant du monde cinématographique, Arnold Schwarzenegger ne faisait-il qu’assouvir son désir de se construire une carrure politique ou avait-il compris, du moins senti, que les héros traditionnellement invincibles étaient en voie d’extinction ? Ou plus prosaïquement en pleine mutation ?
L’ascension de Gouvernator aurait dû éveiller notre méfiance quant à la capacité de résistance de nos icônes de l’action à la récupération politique. Si elle est consentie pour l’inusable interprète de Conan, elle fut carrément traumatisante pour tous les amoureux transits de John McClane se faisant dépecer et retourner par les mauvais soins de Len Wiseman. Le "Yipikaye"du dernier maverick rebelle à toute forme d’autorité résonne comme le dernier râle d’un héros fatigué et en lambeaux. En faisant rentrer de force McCLane dans le rang, l’industrie cinématographique enterinait implicitement la disparition des préceptes mctiernanien pour filmer l’action.
Succédant aux années 80/90 où les corps bodybuildés cherchaient avant tout à maintenir un statu quo sécurisant, les leçons du maître à filmer McTiernan agissaient telles une véritable étude anthropologique de l’homme d’action en évaluant les motivations : se battre contre le système, pour se connaître soi-même (crédo partagé par les Wachowski), pour tracer des trajectoires nouvelles au sein d’un monde réticulaire afin de retrouver une liberté d’action. Autant d’enjeux partagés par le cinéma de Paul Greengrass notamment dans les deux suites données aux aventures de Jason Bourne et qu’il prolonge avec Greenzone.
Le temps de la jouissance éphémère et souvent décérébrée est révolu (bien que subsistent des "phénomènes" tels que les "crankers" Mark Neveldine et Brian Taylor ou Michael Bay), les corps autrefois inoxydables se fragilisent.
En 2010, l’émergence et la confirmation de nouvelles figures de l’action intimait de reconsidérer la nouvelle voie du guerrier empruntée depuis une décennie. Ainsi, les mastards tatoués laissent peu à peu leur place à des héros de plus en plus faillibles, donc de plus en plus humains mais également de plus en plus conscients de la nature fictionnelle de l’univers dans lequel ils évoluent.
Les héros de l’action dépassent désormais la simple mise à l’épreuve de leur statut d’icône pour une quête intime où il s’agit de retrouver sa part d’humanité trop longtemps refoulée. Mais en l’absence ou la disparition de quelqu’un à qui transmettre ses valeurs, filmer l’action revient à enregistrer les derniers soubresauts avant l’oubli. Gran Torino, Vengeance de Johnnie Toou Hors D’Atteinte de Martin Campbell illustrant cette nouvelle donne.
Surtout, comme théorisé il y a quinze ans par McTiernan dans Une Journée En Enfer, il ne s’agit plus de filmer des héros tentant d’acquérir ou aguerrir un permis de tuer mais bien de redonner toute leur importance aux quidams.
THE BANAL GUYS
Les cheminots de Unstoppable, les cols bleus braquant des fourgons blindés de The Town, la garagiste intrépide de Night And Day, le prof de français bravant tous les obstacles Pour Elle, A Bout Portant et son aspirant infirmier…
Désormais le film d’action s’intéresse moins au devenir de héros imbattables que l’on tente de rendre plus accessible en les montrant assaillis de doutes, qu’à l’épreuve du feu du citoyen lambda plongé au cœur d’un univers absolument étranger à sa condition et auuel il va devoir rapidement s’adapter pour survivre. Ces hommes et femmes presque communs (ils développent tout de même certaines dispositions de par leur caractère singulier qui les distingue déjà de la masse) ne sont plus seulement un contrepoint au héros mais offrent carrément un nouveau point de vue, soit une véritable alternative.
Ainsi, l’identification du spectateur se voit renforcé puisqu’en voyant s’agiter ces avatars fictionnels qui lui ressemblent, il en vient à interroger ses propres réactions ("A sa place, je ferai quoi ?"). Autrement dit, son implication dans les images montrées est d’autant plus intense. Parangons de cette "projection" : Unstoppable de Tony Scott et A Bout Portant de Fred Cavayé dont on ressort pantelant et complètement essoré.
Précipités dans une action effrénée, ces personnages se démènent pour y survivre tandis que Ben Affleck et son gang, dans The Town, y ont recours pour simplement vivre ? Braquer des fourgons est pratiquement vécu comme une fatalité, un déterminisme social, n’empruntant cette voie que pour pallier à l’horizon misérable d’un métier plus respectable. Et tandis que le personnage d’Affleck tente par tous les moyens de s’évader d’une existence fondée sur la violence, la sémillante June (Cameron Diaz) de Night And Day s’y accroche parce que c’est la promesse d’une vie enfin excitante. Quant à l’aide-soignant de A Bout Portant, l’enlèvement de sa femme enceinte est une puissante motivation. La course poursuite contre la montre qui s’engage constituant une parenthèse dans sa vie quotidienne habituellement sans histoires. Evidemment, cette aventure, et comme c’était déjà le cas pour Vincent Lindon dans Pour Elle, l’aura profondément marqué et transformé, inévitablement.
DE PROFONDS CHANGEMENTS
Ces bouleversements personnels sont ce qui différencie ces héros accessibles des icônes ressuscitées par The Expendables et L’Agence Tous Risques qui traversent imperturbablement les péripéties. Le seul changement pour Hannibal et ses compagnons se résumant au renversement du leadership de l’équipe tandis que Stallone se contente de jouer avec la lassitude de devoir toujours accomplir des exploits et l’âge avancé de ses frères d’armes, voulant prouver aux autres (et sans doute à eux-mêmes) qu’ils ne sont pas "trop vieux pour ces conneries". Les films de Carnahan et de Sly ne font que perpétuer, réactualiser, des figures immuables de l’action sans véritablement questionner leur légitimité, leur influence ou leur pertinence. C’est d’autant plus dommage dans le cas de l’étalon italien qu’il avait su le faire avec force et émotion dans Rocky Balboa et John Rambo. Ses Expendables, incarnations du bon vieux temps de l’action fun et décomplexée, n’existent que pour ressasser les souvenirs et tenter d’entretenir la flamme en encadrant des héritiers représentés par Jet Li et Jason Statham. Malgré tous ces efforts, ces personnages apparaissent déjà obsolètes voire carrément anachroniques. Amusants sur l’instant mais indéniablement dépassés, donnant corps à ce que "prophétisait" Marco Brambilla dans Demolition Man où Stallone et sa Némésis Wesley Snipes sortaient de cryogénisation pour saccager un futur pacifiste. Un décallage entre deux régimes d’action avec lequel joue à la perfection l’inédit et hilarant MacGruber de Jorma Taccone.
Si le héros éponyme et son ennemi juré ne sortent pas du congélateur, ils n’en restent pas moins figés dans des postures et des comportements irrémédiablement datés et dépassés. Le télescopage délirant et tordant de ses personnages estampillés eighties (MacGruber est un mix sauvage et improbable entre MacGyver et Rambo ! Sacrés extrêmes…) avec un point de vue contemporain questionne habilement leur longévité. A l’image des hommes de main de Cunt (nom du bad guy interprété par Val Kilmer et traduit par "Couille" en version française !), comment prendre au sérieux un type vociférant à tout va, brisant le moindre pan de décor et roulant constamment des mécaniques parce que c’était la méthode en vogue dans les années 80 et prenant soin d’enlever son autoradio Blaupunkt de sa voiture ? MacGruber montre par l’absurde que le pédigrée légendaire de son héros ne pourra seul le protéger et que le temps de l’improvisation (ou du "on voit ce qu’il se passe après" tel que défini par Mac) est révolu. Tout va dépendre de sa capacité d’adaptation et sa propension à dépasser une couardise imposée par des menaces auxquelles il ne sait pas, plus, faire face. Surtout, le film de Taccone démontre que désormais, un plan ne se déroule jamais sans accrocs. D’autant plus si l’on en est dépourvu comme MacGruber, c’est vrai.
Pour se sortir de situations inextricables, il n’y a plus rien à attendre des héros d’antant. Désormais livré à lui-même, le clampin ordinaire doit s’en sortir par ses propres moyens et composer avec les aspérités d’un récit au déroulement imprévisible.
Son salut réside maintenant dans sa connaissance des motifs de l’action.
APPRENTISSAGE
Passant de l’arrière plan - ou plutôt du fin fond du commissariat où ils étaient confinés à des tâches administratives ingrates - au premier plan, les flics Mark Walhberg et Will Ferrell vont se livrer à un désopilant exercice de postmodernisme dans le Very Bad Cops de Adam MacKay puisqu’ils vont exposer les mécanismes de la fiction pétaradante hollywoodienne afin d’en démontrer les artifices et en éprouver l’efficacité. Entre le flingue en bois de Ferrell, l’explosion d’un entrepôt vrillant les tympans et les os des corps des deux acolytes ou la mort totalement surprenante de The Rock et Sam Jackson se jetant sans filet d’un toit (comptant sur leur statuts de superstars de la police pour s’en tirer une fois de plus), le film ne ménage pas ses effets pour le faire rudement sentir à ses personnages. D’ailleurs, ils ne parviendront à s’en tirer qu’en acceptant complètement la nature fictionnelle de leur univers où le moindre gunfight se doit de se dérouler au ralenti.
Une prise de conscience similaire travaille June durant les aventures rocambolesques que lui fait vivre le super agent secret Roy Miller (Tom Cruise) dans Night And Day. Ce dernier n’est déjà plus un héros glamour à la Ethan Hunt de Mission: Impossible II mais un homme d’action révélant un caractère psychotique très affirmé que son comportement azimuté et ses délires paranoïaques semblent esquisser. Surtout, le film de James Mangold martèle incessamment le statut fictionnel de Miller en le faisant surgir du hors-champ intempestivement ou lui faisant subir des chutes impressionnantes (emplâtré sur le capot d’une voiture, la paroi d’un camion ou passant au travers d’un abri de pêcheur en bois) sans une mèche rebelle dans le brushing ou poussière dans le sourire. La belle June prend ainsi peu à peu conscience de l’environnement délirant dans lequel évolue Miller, un univers parfaitement antagoniste au sien où il ne se passe jamais rien et qu’elle va embrasser avec passion : résolue à retrouver son amour d’agent qui a semble-t-il définitivement disparu, elle va prendre la mesure des codes de l’action qu’elle aura expérimenté pendant plus d’une heure en s’adonnant à une sorte d’invocation du personnage de fiction en provoquant son enlèvement par les sbires de l’ennemi juré de Miller.
Ce dernier a toujours débarqué de nulle part dès qu’elle était en danger donc en toute logique, c’est en retrouvant un terrain (de jeu) explosivogène qu’elle le fera réapparaître pour une dernière corrida. June a démontré tout au long du film sa progression dans la maîtrise des motifs structurant le monde de Roy Miller et c’est donc tout naturellement qu’elle va pouvoir in fine s’y intégrer.
La nouvelle voie du guerrier passe ainsi par la compréhension des modes opératoires régissant les fictions d’action, condition sine qua none pour traverser efficacement l’écran. Autrement dit, réexpérimenter les leçons du Last Action Hero d’un certain McT en attendant de pouvoir passer derrière le rêve de cinéma aussi facilement que Jake Sully ouvre les yeux à la fin d'Avatar.