The Town

Mon voisin le braqueur

Affiche The Town

Deuxième film et deuxième réussite. A croire qu’en s’emparant de la caméra, Ben Affleck a trouvé un équilibre que certains choix en tant qu’acteur avaient un tant soit peu plombé.


Certes, Gone Baby Gone et le présent The Town, de par leurs imperfections et leurs limites en termes cinématographique, de rythme ou de direction d’acteur n’en font pas des chefs-d’œuvre impérissables, mais dans le même temps, on peut difficilement les oublier une fois visionnés. Trois ans après ses très bons débuts, le retour de Ben Affleck derrière une caméra se place presque immédiatement sous les auspices de grands réalisateurs, Eastwood, Mann voire même le Scorsese des Infiltrés auxquels il est facile de le comparer (sans doute le dossier de presse, en plus de l’accroche de l’affiche concernant le Heat de Mann, y contribue sûrement). Une filiation imposante et pour l’instant prématurée bien que l’on puisse dégager certains motifs communs. S’il est encore loin de pouvoir rivaliser avec ces maîtres incontestés de la pellicule, au moins leur emboîte-t-il le pas avec conviction et humilité, se bornant à construire son propre style, ce qui est déjà une sacrée gageure dans une industrie sans cesse à la recherche du nouvel héritier du style de tel cinéaste emblématique (depuis Inception, vous connaissez tous le nouveau Kubrick).

Affleck est un solide artisan qui commence tout juste à se forger sa propre identité artistique, investissant avec cœur et énergie le film de braquage tendance romantique après s’être confronté au polar noir tragique avec l’excellent Gone Baby Gone. S’il n’en retrouve pas la force émotionnelle déchirante, il parvient néanmoins à dépeindre des protagonistes crédibles et attachant bien que leur manque de contraste ait tendance à les figer dans les figures archétypales qu’ils incarnent (le gangster qui a un cœur, celui qui est hyper violent, le flic déterminé, la douce amoureuse découvrant la nature violente de son partenaire…). Il est vrai que cette intrigue principalement articulée autour d’un braqueur de banque tombant amoureux de celle qu’il avait prise en otage est de prime abord loin d’être transcendante (voire même un peu nunuche racontée comme ça) mais Affleck ne s’en désintéresse pas pour autant au détriment de séquences plus excitantes et prend le temps de définir ses personnages et son cadre d’action, un classicisme rappelant celui de Eastwood pour tirer au mieux parti de l’histoire écrite par Chuck Hogan dans son roman Prince Of Thieves.
Eastwood, une référence incontournable qui suit Affleck depuis ses premiers pas de réalisateur puisque Gone Baby Gone à l’instar de Mystic River, était une adaptation de Dennis Lehanne et que l’on ressent une certaine similitude humaniste dans leur façon de montrer leurs personnages dans leur environnement exempt de tout misérabilisme. Ils semblent, en outre, partager la même volonté de rétablir l’équilibre, dans les rapports entre l’individu et les institutions politiques, judiciaires et spirituelles chez le grand Clint, plus simplement mais tout aussi pertinemment entre des individus aux conceptions morales divergentes pour Ben. Et pour Doug McCray, le héros de The Town, le retour à une harmonie personnelle passera par l’amour de la belle Claire Keesey (Rebecca Hall) qui lui donne l’opportunité de quitter sa ville natale et tourner le dos à ses activités fatales.


The Town
Elle a l'air fatigué Roselyne Bosch à force de tenter de justifier ses propos. Et un peu énervée aussi...


Si les relations tissées entre les personnages peuvent parfois apparaître bancales, la volonté de rattacher intrinsèquement ce microcosme du banditisme au quartier populaire de Boston, Charleston, s’avère elle vraiment concluante. Le découpage géographique de cette ville dans la ville étant ainsi caractérisé par les différentes bandes y sévissant (le quartier des affaires, la boutique de fleuriste repaire du parrain local, la bande de Doug…).
Après Gone Baby Gone, Affleck poursuit l’auscultation du tissu social de sa ville natale, Boston (déjà lieu d’action du film co-scénarisé avec son comparse Matt Damon, Will Hunting), examinant toujours avec acuité les conditions d’existence des couches les plus prolétaires. Sauf que cette fois-ci, il n’est plus question de s’enfoncer dans les tréfonds de l’âme humaine de personnages aux prises avec une conception personnelle et dramatique de la justice, des personnages aux intentions louables mais aux actes condamnables. Dans The Town, le contexte est totalement différent et bien qu’il s’agisse toujours d’une population de condition modeste, la ville en question est décrite non pas comme le repaire et le lieu d’action privilégié de braqueurs vivants dans la clandestinité mais bien comme le lieu de vie d’individus dont le gangstérisme est comme une seconde peau, un deuxième job d’appoint destiné à arrondir les fins de mois. Ils ne se mêlent pas à la population afin de passer inaperçu, ils sont la population. C’est d’ailleurs plutôt finement illustré par Affleck qui multiplie les scènes de groupe dans un bar ou autour d’un barbecue et montre Doug, le leader du gang, en bleu de travail sur un chantier. Une identité ouvrière, communautaire que le réalisateurva s’ingénier à mettre en valeur au travers des uniformes arborés par chaque corps de métier dûment représentés (convoyeurs de fonds, flics, ambulanciers, chauffeur de bus). De fait, il n’est pas étonnant que nos bandits ne dépareillent pas, de par leur attitude, dans la blouse blanche d’un brancardier ou le costume d’un policier au moment de perpétrer le crime final. Quelque soit le déguisement adopté, tous leurs braquages sont définis par leur désir d’indifférenciation de l’individu par rapport au groupe. Pas question pour eux de se dissimuler derrière les masques clinquants et provocateurs des Dead Presidents comme la bande de Bodhi dans Point Break de Kathryn Bigelow.

Nulle recherche d’une adrénaline consubstantielle d’un nouveau mode de vie, seule compte la froide efficacité d’exactions essentiellement frappés du sceau de la nécessité et parce qu’il faut bien perpétuer la tradition. Cet héritage relevant d’un déterminisme social (renvoyant à l’univers de James Gray) illustré par les relations entre Doug et son père braqueur également mais derrière les barreaux dont il va être difficile de se défaire avec le FBI aux trousses et la pression du groupe.


The Town
Je vous assure les gars, si vous n'avez pas pleuré en regardant La Rafle, ça veut dire que vous avez la même sensibilité qu'Hitler.


Mais on en oublierait presque que The Town est également et formidablement constitué de séquences d’actions impressionnantes d’intensité et de précision dans le découpage. Cela fait du bien de pouvoir enfin apprécier dans toute son ampleur et sa splendeur une magnifique poursuite de bagnoles (j’aime beaucoup Greengrass mais la bouillie de ses courses poursuites… c’est juste pas possible). De plus, cette dantesque virée automobile, située en milieu de métrage, dans les rues étroites de Charleston participe remarquablement du maillage territorial institué par Affleck dès le premier plan large de la ville pour débuter le film. Une course
se concluant par le geste aussi anodin et finalement si parlant d'un flic.
N’oublions pas le gunfight constituant le climax tout aussi intense et qui rappellera la fusillade urbaine de Heat sans en atteindre la maestria. De même, on pourra peut être reproché à Affleck de tenter d'aménager un espace, hors du temps du récit et de la ville, exclusif à ses amoureux (le jardin) à la manière de Michael Mann, là encore sans en égaler l’impact sensitif et la profondeur. Mais je le répète, peu importe. Affleck suit sa voie et c’est déjà très bien comme ça.

7/10

THE TOWN
Réalisateur : Ben Affleck
Scénario : Peter Craig, Ben Affleck, Aaron Stockard   d’après le roman de Chuck Hogan Prince Of Thieves
Producteurs : Chay Carte, David Crockett, Basil Iwanyk, Jon Jashni…
Photographie : Robert Eswit
Montage : Dylan Tichenor
Bande originale : David Buckley & Harry Gregson-Williams
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h03
Sortie française : 15 septembre 2010




   

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