Nés En 68

Dites-le avec des fleurs

Affiche Nés en 68

Elle est moche cette affiche, non ? Face à la grosse Bertha rouillée Indy 4, il faut une sacrée dose de témérité pour tenter d'attirer ainsi le chaland qui, dès connaissance de la durée de la chose (pratiquement trois heures), sera définitivement convaincu d'aller batifoler avec les chiens de prairie numériques et les singes gominés de tonton goitre. Dommage, car Nés En 68 est un vrai bijou.


Nous sommes en 68, donc, en mai exactement. Catherine fait des bisous à Yves, puis fait des bisous à Hervé ; ils sont étudiants, contestataires, ils s'aiment. Sous les barricades et les pavés parisiens, non pas la plage, mais la campagne. Le Lot, où le trio, accompagné de l'immanquable bonne (dans les deux sens du terme) copine  anglaise et quelques amis fondent une communauté hippie dans une ferme abandonnée. La vie en groupe et les conditions précaires auront raison au fil du temps des convictions les moins fortes, des doutes les plus profonds et de la confection de fromage de chèvre sur les airs mièvres du barde de la bande.
Succession des saisons, élection de Mitterrand, les années 80 : les enfants de Catherine héritent des succès de leurs combattants d'aînés, mais doivent faire face à de nouvelles embûches, telles les contrecoups d'un traitement de choc se répercutant jusqu'à nos jours.

La représentation de Mai 68 au cinéma à ceci de particulièrement français que du plus important mouvement populaire hexagonal d'après-guerre, les cinéastes, à quelques exceptions près (
L'An 01 par exemple) n'en ont majoritairement produit que d'austères objets destinés aux ciné-clubs et à un public de festival, aussi excitants que des tracts coco de 180 pages tirées à la photocopieuse à alcool. Le charme discret de notre culture en quelques sortes… (un ami plus pessimiste y voit un symbole de la spoliation des acquis du peuple d'en bas pour le plaisir feutré de celui du haut. Soit).
Là-dessus, le duo à l'origine du très demyesque
Jeanne Et Le Garçon Formidable se dit qu'il serait bienvenu de proposer un film ouvertement romanesque et ambitieux non seulement sur les évènements, mais surtout sur ses conséquences, à travers une saga familiale s'étalant sur quarante années, permettant d'ouvrir ainsi un champs de contrastes et de perspectives rarement vu sur les bandes françaises contemporaines. Intention hautement louable qui se verra targuée de "cours d'histoire de France pour les nuls" (20 Minutes) gavé des "clichés et poncifs habituels" (Le Figaroscope). Rassurez-vous, la presse de gauche est tout autant à l'ouest pour défendre ce film, voire même pour simplement en parler ; il faut croire qu'elle préfère hurler au génie lorsque les mêmes Ducastel & Martineau filment à la MiniDV un ado faire du patin à Rouen…

Nés en 68
 

Nés en 68 est une fresque imbriquant ses personnages dans l'Histoire avec du grand hasch, procédé classique visant à impliquer le spectateur dans la découverte de périodes et événements passés. Mais le procédé développe ici une grande puissance émotionnelle, par le biais du montage tout d'abord, qui ne souligne jamais ses multiples ellipses (mise à part la plus grande à mi-métrage, sûrement prévue dans l'optique du projet télé qu'était Nés en 68 à l'origine), laissant ainsi le spectateur découvrir seul les changements survenus dans l'entourage des héros et être témoin comme eux du temps qui passe et des évolutions diverses de la société, le rythme quasi parfait du film nous emportant dans l'inéluctabilité des destinées croisées de la bande révolutionnaire (les trois heures passent d'ailleurs comme une lettre à la poste). Et ensuite par la performance superbe du casting, Laetitia Casta en tête, interprétant avec justesse et ambivalence des personnages attachants, devenant de fait, par la logique du projet, des figures synedoctiques des époques traversées.
Difficile dès lors d'échapper aux clichés dès que l'on illustre la période hippie tant ses codes esthétiques ont marqué l'inconscient collectif. Il faut donc savoir faire la part des choses et ne pas mélanger un décorum pouvant difficilement s'éloigner de la réalité (ben oui les hippies partouzaient dans les champs avec des fleurs peintes sur les seins, et alors ?) et les motivations des personnages, bien particulières à la présente fiction, affranchies de toute caricature : au-delà de la traite des chèvres et de la confection de pulls en chanvre, ici nos hippies s'engueulent, se critiquent, font des erreurs, repoussent des camarades demandeurs de cul pour raison de sale gueule et grosse bedaine, et fraternisent avec les paysans du coin, même s'ils sont de droite. Vachement "clichés"… (sic).

Nés en 68
 

Car même si Ducastel & Martineau adoptent dans un premier temps un point de vue naïf et idyllique de l'après mai 68, reflétant les espoirs de cette génération, ils ne font pas l'impasse sur une critique de ce mouvement. Ainsi Yves, le père des enfants de Catherine (Laetitia Casta), se demande comment changer le monde en vivant repliés sur soi-même en haut d'une colline du Lot. Dans la deuxième partie du métrage, celle des désillusions (il faut voir la tête du même Yves au soir du 21 avril 2002…) son fils lui lancera un cinglant "Vous imaginez avoir transformé en profondeur la société en pratiquant l'amour libre ?". Cruelle ironie que de voir ce même fils confronté au VIH, se retrouvant alors à devoir se battre pour pratiquer cet amour libre… Parallèlement, sa sœur, devenue working girl, impose ses choix à son mari, tandis que sa mère devait risquer sa vie pour avorter. Autant de comparaisons et d'observations sur l'évolution des mœurs et de la société intelligemment agencées par les auteurs, dont la mise en scène s'échine à ne jamais surligner quoi que ce soit pour mieux exposer les contrastes (une captation à plat qui trouve quelques fois ses limites sur la durée). Et si les réalisateurs de Drôle De Félix n'apprennent pas grand-chose à ceux qui ont vécu ces époques, ils ont le mérite d'appliquer la force du récit et le romantisme de la fresque au service d'une synthèse mettant en relief quarante années de luttes diverses que certains voudraient bien "liquider".

Lorsque nos deux révoltés de 68 Yves et Hervé se retrouvent en 2007, ils tentent de réveiller les morts (vraiment !) pour reprendre le flambeau, mais comprendront qu'en fait l'Histoire est un éternellement recommencement : le dernier plan du film, un long travelling autour d'un rond-point (un cercle) sur lequel manifestent des étudiants (et autour duquel évoluent Yves et Hervé, comme mis en orbite) illustre cette superbe phrase taguée sur un mur du
Buena Vista Social Club: "Cette révolution est éternelle".

8/10
NÉS EN 68

Réalisateur : Olivier Ducastel & Jacques Martineau
Scénario : Catherine Corsini, Guillaume Le Touze, Olivier Ducastel & Jacques Martineau
Production : Lola Gans & Philippe Martin
Photo : Matthieu Poirot-Delpech
Montage : Dominique Galliéni
Bande originale : Philippe Miller
Origine : France
Durée : 2h53
Sortie française : 21 mai 2008




   

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