Indiana Jones Et Le Royaume Du Crâne De Cristal

Sieste de cristal

Affiche Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal

Il y a des signes qui ne trompent pas.


Par exemple, quand Le Royaume Du Crâne De Cristal débute par le logo Lucasfilm en lieu et place de celui de la Paramount qui ouvre habituellement chaque épisode d’Indiana Jones, le souvenir désagréable des Editions très Spéciales de Star Wars ne peut que revenir en mémoire à la vitesse d’un X-Wing. Tonton George Lucas aurait-il une fois de plus fait des siennes afin de rappeler au monde entier que le personnage de l’archéologue intrépide était sa propriété privée à lui tout seul ?

La réponse ne tarde pas à arriver, environ quinze secondes plus tard. Le logo de la Paramount, délicieusement délavé, apparaît enfin. Traditionnel fondu sur la montagne sacrée devenu un petit monticule de terre dont émerge une bestiole numérique toute moche. Pour une œuvre vendue comme un "retour au cinéma old school", avouons que ça fait mal au cul de se farcir une bestiole digitale comme dans un Daredevil des familles. La montagne Indiana Jones aurait-elle accouchée d’une souris (ou, en l’occurrence, d’un chien de prairie) ?
Plus ou moins. Car ne nous leurrons pas, si un artiste tel que Steven Spielberg a pu laisser passer ce genre d’artifice gratuit (lui qui n’a cessé tout au long de sa carrière d’utiliser les effets spéciaux avec parcimonie et toujours pour servir les histoires qu’il racontait), c’est certainement que son ami/producteur a encore joué les parasites pour imposer sa propre vision infantile de l’univers qu’il avait autrefois contribué à créer. On prendra pour preuves ces deux autres plans totalement gratuits et débiles dans lesquels réapparaissent par la suite ces animaux aussi artificiels que la marmotte d’une pub Milka.

Le syndrome prélogie Star Wars semble en effet avoir contaminé ce nouvel épisode des aventures d’Indiana Jones : déluge d’effets numériques parfois très laids (quand ils ne sont pas carrément pompés sur Le Retour De La Momie), personnages mal caractérisés passant APRES la démonstration technique (Ray Winstone n’a aucune utilité narrative), enjeux inexistants (dans le dernier acte, Indiana Jones ne fait rien, il suit tranquillement John Hurt qui visite un temple)… Le spectacle n’est pas totalement dénué de qualités mais il donne trop souvent l’impression d’assister à une succession de péripéties débiles tournant à la pantalonnade grotesque, telle cette séquence de dispute dans les sables mouvants où le film s’enfonce en même temps que les personnages. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser à la franchise Pirates Des Caraïbes, référence qui ne serait guère surprenante si l’on tient compte du fait qu’une attraction Indiana Jones Et Le Temple Du Crâne De Cristal existe depuis 2001 au Disneyland de Tokyo. De là à imaginer George Lucas envisageant sa dernière production comme un coup marketing surfant sur la dernière mode du moment, il n’y a qu’un pas qu’on serait tenté de franchir, ne serait-ce que pour alourdir le dossier à charge d’un homme ayant depuis longtemps cédé ses velléités artistiques au diktat du pognon.

Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal
 

Je vois d’ici les torrents de messages incendiaires ne supportant pas l’idée qu’on puisse qualifier Lucas de Vador défigurant lui-même les propres mythes qu’il a lui-même inventé (à ce propos, vous avez vu l’atroce trailer de Clone Wars, le machin en 3D qui tente de capitaliser sur la géniale série animée de Tartakovski ?). Malheureusement, difficile de contester la légèreté du scénario (pourtant signé David Koepp) semblant combiner un tas d’idées issues des précédentes moutures du script et lançant des clins d’œil aux divers produits dérivés (attractions, livres, série télé) pour ne finalement rien développer en profondeur (la tribu Maya est survolée, les relations Jones/Marion ne sont jamais au cœur du parcours du héros, la mythologie des crânes de cristal est noyée sous un flots d’explications stériles et confuses).
On se souvient du bruit qui avait secoué la production du film en 2004 lorsque le script de Frank Darabont, jugé excellent par Spielberg et Harrison Ford, avait finalement été abandonné, faute d’avoir convaincu Lucas lui-même. Le gardien du temple sacré, qualifié de fou par Darabont lui-même, avait préféré repousser encore un tournage n’ayant eu de cesse d’être retardé. A tel point que la mise en chantier précipitée de ce quatrième opus au scénario pourtant loin d’être abouti, semble être le signe de la capitulation d’un Steven Spielberg préférant en finir une bonne fois pour toute avant que Harrison Ford ne soit devenu trop vieux pour rendosser le blouson en cuir.
On me traitera de fou ou de parano si on veut. Il n’empêche qu’en lisant certains propos de George Lucas dans la presse, on peut douter de l’entière mainmise de Spielberg sur le projet : "En tant que producteur (…) je m’installe avec le monteur, je revois le film et je fais un montage différent. Avec d’autres idées que les siennes. (…) Puis Steven regarde mon montage et il y prend ce qu’il veut. Il a le final cut".
Si Spielberg, en sa qualité de réalisateur, avait réellement le dernier mot, ne serait-il pas logique qu’il ait également le dernier mot sur le scénario, et notamment le droit de porter la version de Darabont à l’écran ? Après tout, quitte à repousser pendant des années le tournage du film, autant en profiter pour livrer un scénario final un tant soit peu structuré, non ?

Parlons-en de Spielberg justement. Cinéaste de génie ayant asséné depuis dix ans toute une série de mandales dans la gueule de spectateurs en redemandant à chaque fois (A.I., Minority Report, Munich, La Guerre Des Mondes : que du bonheur !). Cinéaste de génie qui ne semble pas spécialement s’investir dans le projet, se laissant parfois aller à une certaine paresse au cours de séquences de dialogues aussi plates que pouvaient l’être les pires moments de La Dernière Croisade. Il n’en demeure pas moins que sa mise en scène délivre le lot de fulgurances qu’on est en droit d’attendre d’un tel artiste et parvient plus d’une fois à transcender la mollesse du script, supplantant haut la main n’importe quel Benjamin Gates faisandé et n’importe quel épisode de La Momie. A commencer par la peinture d’une époque en pleine mutation, bien loin de la légèreté des années 30 et des héros iconiques de serials. La Dernière Croisade avait déjà amorcé la tendance d’un Indy devenu témoin de grands évènements historiques (la rencontre avec Hitler durant une séquence d’autodafé), Le Royaume Du Crâne De Cristal poursuit sur cette voie. Ainsi, deux des plus beaux plans du film place le professeur Jones comme simple spectateur d’évènements qui le dépassent : lors d’une explosion nucléaire (détruisant l’image de la famille américaine idéalisée et figée dans un village-test) et durant le chaos final (précédant la réunification familiale). Les deux plans semblent se répondre, le torrent de flammes déclenché par l’Homme étant éteint par un déluge biblique.

Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal
 

Le monde change et l’insouciance n’est plus de mise, comme viendra le souligner le fabuleux générique d’ouverture passant d’une course en décapotable très American Graffiti à des meurtres brutaux sous la bannière étoilée. Ainsi, Jones est désormais présenté comme un héros de guerre et comme une victime du Maccarthysme. Il est un extra-terrestre (voir sa lampe de bureau en forme de soucoupe volante) dans une époque où la jeunesse frimeuse et pseudo rebelle prend la relève. Un héros de bande dessiné dans un monde laissant de moins en moins de place au rêve, au profit de la science. Aussi, il n’est guère étonnant que le film tout en entier s’articule autour d’une quête pour le Savoir (censé être révélé par les crânes de cristal). C’est ce Savoir qui est censé permettre la soumission du monde par la pensée (la méchante interprétée par Cate Blanchett possède des dons de télépathe). C’est ce Savoir qui est censé aider le camp soviétique dans sa course à l’armement. Et c’est ce Savoir, trop lourd à porter pour un seul homme, qui fera la perte de celui qui chercher à l’obtenir pour l’employer à mauvais escient (une fin commune à chaque épisode de la saga en somme).
Dans ce climat si particulier de paranoïa, il n’est pas surprenant que Spielberg joue sur les peurs de cette époque, notamment celles du communisme via ses représentations dans le cinéma des 50’s. On relèvera entre autre l’utilisation amusante de fourmis rouges carnassières, clin d’œil aux films de monstres comme Des Monstres Attaquent La Ville, ainsi que l’orientation SF du récit avec ses extra-terrestres dangereux car porteurs de Connaissance capable d’éradiquer l’Autre. Notons qu’il s’agit de douze êtres/apôtres finissant par s’incarner dans un seul, Divin.

Mais comme c’était déjà le cas dans Les Aventuriers De L’Arche Perdue, le héros ne verra pas la Vérité de ses propres yeux mais son aventure lui aura permis d’obtenir une seconde chance en amour. Les fantômes du maccarthysme et du communisme se sont littéralement envolés, laissant une place libre à l’imaginaire. Et Humphrey Bogart de tirer sa révérence. Son Errol Flynn de fils assurera la relève… Comme George Lucas aimerait bien en faire le héros d’un éventuel prochain épisode. Pas sûr en revanche que Spielberg cède la prochaine fois : avec ses multiples allusions au Vol 714 Pour Sidney, il ne pouvait plus cacher bien longtemps que c’est par son futur Tintin qu’il est vraiment passionné.

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INDIANA JONES AND THE KINGDOM OF THE CRYSTAL SKULL
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénario : David Koepp, sur une idée de George Lucas & Jeff Nathanson
Producteur : Frank Marshall, Denis L. Stewart, George Lucas & Kathy Kennedy
Photo : Janusz Kaminski
Montage : Michael Kahn
Bande Originale : John Williams 
Origine : USA
Durée : 2h03
Sortie Française : 21 Mai 2008




   

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