Harvey Milk
C’est (encore) l’histoire d’un mec…
Nous les "nous autres" : le gay le plus célèbre du monde du cinéma s’offre un biopic de luxe sur le plus activiste de tous les martyrs du mouvement gay : Harvey Milk.
"My name is Harvey Milk, and I’m here to recruit you!". C’est ainsi que Harvey Milk, premier homme politique élu (conseiller municipal de San Francisco) revendiquant son homosexualité et représentant la communauté gay, débutait ses speeches pendant les huit années passées à lutter pour les droits des gays, lesbiennes et trans de San Francisco et d’ailleurs ; et c’est sur ces huit (dernières) années que le nouveau film de Gus van Sant s’étend, de son arrivée au Castro (le quartier gay) jusqu’à son assassinat.
Ecrit par un jeune prodige (Dustin Lance Black, oscarisé, le premier à avoir eu l’idée du film), Harvey Milk suit donc une narration de biopic très classique, avec pléthore d’images d’archives et reconstitution minutieuse. Le film est en fait la mise en image d’un message enregistré par Milk peu avant son assassinat racontant ses huit années de lutte, mise en image élégante, rythmée, plutôt bien photographiée, et surtout, véritable point fort du film, interprétée par un casting proche de la perfection. A tel point qu’on pourrait écrire une critique entière sur le jeu des acteurs principaux. Sean Penn, dans le rôle-titre, se renouvelle (regardez Carlito’s Way de De Palma juste avant, pour voir) une fois de plus et mérite à lui tout seul la vision du film : lui et son faux nez sont de chaque plan, irradiant de bonté, d’humour et de fragilité, mimétiques, habités, oscarisés. Sans doute son meilleur rôle après celui du Sergent Welsh dans La Ligne Rouge (label Malick oblige) ; il porte littéralement le film, et devient en fait le principal argument du réalisateur (ce qui change un peu de Malick, tiens). A côté de lui, un Emile Hirsch transfiguré (l’idéaliste dur et fort d’Into The Wild est devenu un petit chieur gay frisé à lunettes), James Franco (le bouffon vert II, vous savez, celui qui est ridicule) enfin dans un vrai rôle, et Diego Luna dans la peau du petit latino que Milk prend sous son aile (et qui n’est pas sans rappeler le bel éphèbe (gay) mexicain de Mala Noche, premier film de Van Sant). Et surtout, on assiste à une performance exceptionnelle de Josh Brolin dans la peau de Dan White, le supervisor conservateur et assassin mal dans sa peau. De quoi faire parler de Brolin-le-discret, dont je ne louerai jamais assez le talent, l’exigence et le bon goût. Les acteurs se suppléent, Sean Penn réussit à ne pas bouffer le reste de la distribution, et le résultat est intense, homogène, équilibré et émouvant. Ce qui soit dit en passant ne coule pas de source (sauf chez Malick, tiens) et est relativement appréciable dans un film qui met à ce point en avant un unique personnage.
Voila pour la distribution, mais Gus Van Sant, me direz-vous, où est-il ?, avec ses plans séquences mutiques et autres travellings circulaires ? Au-dessus, ou en tout cas très loin de l’image. La narration conventionnelle s’est doublée d’un véritable retour à la sobriété dans la réalisation. Si on retrouve dans la dernière partie du film quelques un de ces longs plans serrés où la caméra suit le dos d’un personnage hantant les couloirs qui ont fait la Van Sant touch, il faut se rendre à l’évidence : Van Sant a fait preuve d’une modestie rare (ou de paresse, pour les plus mauvaises langues) et a décidé de laisser l’esprit du spectateur tout entier disponible à la performance de sa distribution et à la minutie de sa reconstitution. Il laisse exister son script, assurant une mise en scène sobre, efficace, professionnelle. Une bonne chose, peut-être, si l’on considère l’importance de l’histoire contée à l’écran, et il n’est pas si désagréable de voir un réalisateur de son envergure travailler avec simplicité. Un choix de réalisation un peu trop "passe-partout", donc, mais pas du tout prohibitif : en se retirant, en se limitant à n’être "que" le superviseur invisible et modeste de son magnifique biopic folklorique entièrement dévolue à ses acteurs, Gus Van Sant perd en fulgurance ce qu’il gagne en discrétion ; et perd en style ce qu’il gagne en accessibilité.
Mais outre ces questions esthétiques, il faut souligner que Gus Van Sant a fait un choix, celui d’être consensuel, voire manichéen. La vraie étrangeté, la vraie nouveauté de ce film par rapport à sa filmographie est son refus de la polémique et du débat, même au sein de l’esprit du spectateur. Elephant par exemple remuait les tripes des spectateurs, les plus choqués allant même jusqu’à entamer sans s’en rendre compte et pour la première fois une réflexion sur le rôle du cinéma ("C’est quoi l’intérêt de montrer ça comme ça ??!!"). Mais il n’y a finalement pas grand-chose à dire sur le fond de Harvey Milk. En limitant au strict minimum compréhensible la place du personnage de Dan White dans le récit, en supprimant toute possibilité de confrontation d’égal à égal entre lui et Milk, Van Sant empêche toute réflexion de s’installer, sur par exemple l’impact de la "culture de démonstration" du mouvement gay sur la société conservatrice. Cette omission mine le film, car Dan White est un personnage au moins aussi intéressant que Milk, et certainement bien plus complexe. Et c’est à peine si le réalisateur envisage l’homosexualité refoulée de White, se contentant de le montrer comme un réac aigri, mal-aimé et frustré jusqu’à en mourir (White s’asphyxiera deux ans après sa libération dans le garage de son ex-femme). Les blessures que Milk inflige, volontairement ou non, à cet homme faible et surtout sa déchéance progressive auraient pu, si Van Sant l’avait voulu, donner lieu à un face-à -face parfaitement anthologique et très subtil (et magnifiquement interprété) entre les deux supervisors. Mais il n’en est rien, et seul subsiste un tableau élégiaque de cette communauté joyeuse et colorée du Castro, soudée autour de son leader-martyr-héros, Milk. On ne doute pas un instant que Milk était un homme exceptionnel, ni du bien-fondé de sa lutte et de son courage, mais était-il vraiment nécessaire pour faire passer le message de montrer "l’autre camp" comme une horde de décérébrés extrémistes, frustrés, mesquins, inaptes à débattre (car oui, la place de l’homosexualité dans une société doit être débattue) ? Dans Elephant, ou Paranoid Park, le spectateur était d’abord plongé dans la face sombre de l’esprit, avant de voir ses certitudes quant au bien, au mal, à la raison et à la folie, vaciller dangereusement. Ici, Van Sant ne fait pas mystère de son allégeance admirative (et tout à fait respectable) à son héros, et finalement son dévouement à son sujet le fait passer à côté de la complexité psychologique de ses personnages, quels qu’ils soient.
Il aurait été possible, pourtant, que ce film appartienne à la classe assez peu nombreuse et de relativement haut niveau des films d’auteurs Hollywoodiens (avec par exemple, La Ligne Rouge, Pulp Fiction, Munich, The Dark Knight, Apocalypse Now, Ma Super Ex). Mais finalement, loin de l’avant-gardisme ou du drame psychologique, Van Sant donne plutôt ici l’impression d’accomplir proprement et modestement son devoir de mémoire envers les pères du mouvement gay. Il reste donc une biographie, tout à fait regardable, intéressante (presque didactique), belle et bien jouée. Que Gus van Sant ait choisi cette voie pour son nouveau film est tout à fait respectable et on n’attendait de toute façon pas de lui qu’il fasse un remake de ses meilleurs films, mais cette fois il est un peu difficile de s’enthousiasmer.
C’est donc l’occasion pour moi de vous conseiller un autre film historique, Au Diable Staline Vive les Mariés, nettement plus croustillant et sans doute beaucoup plus apte à susciter le débat (du moins en Roumanie) et l’enthousiasme. Si vous le souhaitez, une critique suivra.
MILK
Réalisateur : Gus Van Sant
Scénario : Dustin Lance Black
Production : Michael London, Dan Jinks, Dustin Lance Black…
Photo : Harris Savides
Montage : Elliot Graham
Bande originale : Danny Elfman
Origine : USA
Durée : 2h08
Sortie française : 4 mars 2009