Lost - Saison 3
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- Série TV par Nicolas Marceau le 7 octobre 2007
L'enfer, c'est les Autres
Difficile de faire plus efficace en guise d’introduction que ce début de saison 3 de Lost.
De primes abords, rien de bien transcendant puisqu’en dépit des habituels symptômes du flash-back de présentation (gros plan sur l’œil d’une jeune femme jamais vue jusqu’alors) et d’une légère impression de déjà vu (Petula Clark remplace Mama Cass en musique de fond en échos à l’ouverture de la saison 2), l’inconnue qui s’active devant nous semble davantage sortir d’un épisode de Desperate Housewives que de l’île étrange où se baladent des ours polaires et un monstre de fumée noire. Préparation de cookies, rangement du salon, visite d’une gentille voisine et, pour finir, réunion d’un club de lecture. Banal…jusqu’à ce qu’un tremblement de terre perturbe la réunion et pousse la troupe à sortir voir ce qui se passe dehors. Apparaît alors le visage familier d’Henry Gale (choc 1) levant les yeux au ciel, entendant un son assourdissant : le Vol Oceanic 815 vient de se séparer en deux parties et s’apprête à s’écraser (choc 2). La caméra s’éloigne et dévoile, caché dans les montagne, le Wisteria Jungle de ceux qu’on prenait autrefois pour d’inquiétants indigènes (choc 3). L’Enfer, c’est les Autres ? Â
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Grand exercice de démystification d’une menace autrefois invisible et pourtant terriblement palpable, la troisième saison de Lost lève une partie du voile qui planait sur la communauté des enleveurs d’enfants. Sorte de scientifiques étudiant Jack, Kate et Sawyer enfermés dans des cages, les Autres se révèlent vite être des adeptes de la torture mentale. Connaissant tout de leurs cobayes, ils les manipulent sournoisement pour parvenir à leurs fins et les amener là où ils en ont envie. Comprendre par là que les scénaristes opèrent une véritable mise en abîme de leur histoire puisqu’ils agissent de la même manière sur le public de la série. Les mensonges de Ben Linus deviennent ceux des auteurs masquant une partie de la Vérité à leurs personnages principaux devenu les référents du public. L’épisode 4 témoigne de cette note d’intention lorsque Sawyer, autrefois roi des arnaqueurs, se fait totalement avoir par ceux qui le retiennent avant d’être mis en face d’une horrible évidence : il est bloqué sur un site B comparable à la prison d’Alcatraz et ne peut regagner l’île d’où il vient. Une révélation qui sonne comme une mise en garde à tous les fans de la série et que l’on pourrait résumer ainsi : "à tous les petits malins qui échafauderont des théories en pensant percer le secret de l’île, sachez que nous, scénaristes, aurons toujours une longueur d’avance et nous nous arrangerons pour vous mener exactement là où nous le souhaitons".
Dès lors, il conviendra de prendre avec précaution chaque rebondissement potentiellement énorme puisque chacun d’entre eux aura pour but de donner libre cours à des hypothèses improbables (d’où viennent les flashs de Desmond prévoyant la mort inévitable de Charlie ?), de ressusciter des théories largement dépassées (le Purgatoire n’est plus d’actualité depuis longtemps), ou d’en faire tomber d’autres dans un ultime pieds de nez (la scène finale de la saison, terrifiante et prouvant que Lost a encore un potentiel énorme à exploiter). Â
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Pourtant, ceux qui tirent les ficelles du show ne cherchent pas véritablement à masquer les rouages de leur création. Si on se souvient que le pilote citait ouvertement Alice Aux Pays Des Merveilles au détour d’une séquence où Locke mâchouillait une peau d’orange, il fallait tenir compte de ce que cette référence impliquait. En effet, l’œuvre de Lewis Carroll n’était pas tant un voyage vers un monde fantastique qu’une remise en question de la logique et de la raison, Alice voyant ses certitudes voler en éclats les unes après les autres au fil des péripéties. Incapacité à se rappeler son identité, chat capable d’apparaître comme bon lui semble, doute sur la réalité de son environnement… Autant d’éléments trouvant un échos dans Lost et prouvant que la série agit sur le spectateur de manière à ce que la perception de ce qu’il regarde varie constamment au fil de son intuition. Ce n’est pas un hasard si, derrière le pseudonyme de Lewis Carroll se cachait le Professeur Charles Lutwidge Dogson, un des pères de la logique moderne qui a démontré qu’il était possible de créer un univers cohérent à partir d’une proposition incohérente. Les scénaristes ayant annoncé que tous les mystères de l’île trouveraient une explication scientifique, on peut légitimement penser qu’ils tiendront parole, de nombreux éléments dispersés autrefois trouvant une résolution si évidente cette saison qu’on se demande pourquoi on y avait pas pensé plus tôt (le requin marqué Dharma, l’identité du père de Sawyer dans le terrible épisode 19, le câble trouvé dans le sable par Sayid dans la saison 1, le cheval de Kate).
Le double épisode final citant ouvertement une autre Å“uvre phare de Carroll (Through The Looking Glass, la suite d’Alice Aux Pays Des Merveilles), on déduira que la narration de Lost opère comme une partie d’échec (l’un des enjeux du roman) vouée à mettre le public chaos et que l’arrêt du fonctionnement de la station Miroir, destinée à bloquer les communications de l’île avec l’extérieur, opère symboliquement comme la fin d’une ère de doute : l’île est bien réel et il est désormais possible de la trouver.Â
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Mettant fin à bons nombres des théories les plus répandues sur la Toile, les scénaristes amorcent le début d’une guerre déclarée aux Autres par les survivants de la plage pour quitter l’île. Une guerre menée logiquement par Jack (à la fin de l’épisode 10 de la saison 2, il envisageait déjà de lever une armée) et annoncée dès le début de la saison par le titre du premier épisode : A Tales Of Two Cities, renvoie explicite à un roman de Charles Dickens traitant des valeurs socio-politiques de la Révolution Française de 1789. Comme si l’heure n’était plus aux interrogations et à la soumission, les survivants du crash du Vol 815 commencent enfin à être maître de leur destin et se décident à lutter contre ceux qui les ont opprimés. Ainsi, l’épisode 11 fait un clin d’œil direct à B.F. Skinner, psychologue ayant étudié le conditionnement humain, puisqu’on y retrouve une barrière magnétique sortie tout droit de Walden Two, essai utopique dont un passage évoque des moutons n’osant s’approcher d’une clôture dont le système électrique est pourtant coupé (parce qu’ils sont conditionné par la peur et qu’ils ne se demandent pas le pourquoi de cette barrière).
C’est justement parce que les héros de la série cherchent enfin à comprendre le "pourquoi" qu’il seront capables de s’affranchir de leur position d’"esclaves". Plus que jamais, Lost puise dans les récits bibliques ou mythologiques pour marquer le caractère symbolique de l’île. Outre le parcours de Desmond assimilé à celui d’Ulysse coincé sur l’île du Cyclope (l’intrigant Mikhaïl Bakounine dont le nom est emprunté à un philosophe russe ayant élaboré la théorie politique de l’anarchie) dans l’attente de retrouver sa Pénélope, c’est du côté du Nouveau Testament que les scénaristes lorgnent sérieusement. Avec un mystérieux Jacob dont le fils spirituel n’est autre que Benjamin et un Jack Sheppard surnommé Moïse dans l’épisode final (un Jack dont on apprend les liens de parenté avec Claire dont le bébé s’appelle… Aaron. Tout est lié), c’est sur la route de la Terre Promise que les auteurs s’engagent.Â
Au-delà du divertissement, la saison 3 de Lost invite le spectateur à se soustraire à toute forme de conditionnement et à scruter les multiples symboles et références glissées ici et là pour comprendre le "pourquoi" de l’Expérience Lost (nom d’un jeu lancé sur la toile dévoilant quelques informations sur l’initiative Dharma et la fondation Hanso). Ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra retrouver le chemin vers son humanité (et ne plus être perdu comme l’indique le titre de la série), même si de nombreuses zones obscures persistantes et des mystères irrésolus entravent encore son cheminement intellectuel. A l’heure actuelle, ABC a annoncé la fin de la série au terme de trois nouvelles saisons de seize épisodes chacune (ce qui revient au même que les deux ultimes saisons de 24 épisodes envisagées initialement par les scénaristes). La Vérité n’est plus très loin… Â