Lorenzo

Le guerrier de la médecine

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"La vie n’a de sens que dans le combat. Triomphe et défaite sont dans les mains de Dieu… Célébrons le combat." - Chanson du guerrier Swahili


Après le difficile tournage des Sorcières D’Eastwick aux États-Unis, George Miller retourne dans son Australie natale afin de lancer plusieurs productions, notamment The Year My Voice Broke de John Duigan (1987) et Calme Blanc de Philip Noyce (1989). Il découvre un jour dans le Sunday Times l’histoire de Michaela et Augusto Odone, des parents ayant réussi à prolonger la vie de leur fils Lorenzo atteint d’adrénoleukodystrophie (ALD), maladie génétique qui conduit à une dégénérescence du système nerveux avant d’entraîner la mort dans les deux ans. Miller part à la rencontre d’une famille qui à déjà refusé toutes les offres d’Hollywood. Médecin de formation avant de se lancer dans la réalisation à 34 ans, le cinéaste parvient à obtenir leur confiance et se lance dans un important travail de recherche en compagnie de son co-scénariste Nick Enright. Le duo mettra plus d’un an à rédiger le scénario.


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Impressionné par la performance de Nick Nolte dans Contre-enquête de Sidney Lumet, le cinéaste l’engage pour incarner Augusto Odone. D’abord pressentie pour incarner son épouse, Michelle Pfeiffer doit décliner à cause de tournage de Batman Returns. Lors d’un voyage en avion, Miller rencontre Susan Sarandon à qui il fait part de son projet. Cette dernière accepte aussitôt le rôle de la mère. Peter Ustinov, Kathleen Wilhoite et James Rebhorn complètent la distribution. Cinq acteurs différents se succèdent pour incarner Lorenzo lors des différentes étapes de sa maladie sous le patronage du maquilleur Rick Baker. Le tournage a lieu à Ben Avon dans la banlieue de Pittsburgh, ainsi qu’en Afrique orientale, à Londres et à Rome. Afin de respecter la teneur émotionnelle de l'histoire, les prises de vues de 78 jours se déroulent dans l’ordre chronologique.

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En juillet 1983 dans l’archipel des Comores, le jeune Lorenzo se voit remettre une dague en bois par son ami Omouri (Maduka Steady). Passé cette introduction insouciante, le film se focalise sur la bataille que vont mener les Odone pour sauver leur fils, un combat à la fois médical mais aussi sociétal : Miller dépeint chaque rencontre des Odone (leur famille, les autorités médicales, l’association de lutte contre l’ALD…) comme des barrières infranchissables. Le couple (brillants Nolte et Sarandon) est ramené à l’état d’êtres insignifiants, sentiment appuyé par leurs différentes pérégrinations mondiales.  
Aidé du chef-opérateur John Seale, ancien directeur photo de Peter Weir, Miller joue avec l’isolement des protagonistes au sein d’immenses décors conçus par Kristi Zea (Le Silence Des Agneaux, Les Affranchis) pour illustrer les rapports de force au cœur d’un même cadre, utilisant le clair-obscur et les déambulés des personnages comme vecteurs d’oppression. Le réalisateur australien confère ainsi à Lorenzo une dimension fataliste héritée d’Orson Welles couplée à l’impact cinétique qui a fait sa renommée (le dernier acte va jusqu’à reprendre une figure de style du premier Mad Max - travelling sur les yeux et cadre dans la pénombre - lorsque Ourimi découvre la déchéance physique du jeune garçon). Le montage très rythmé de Richard Francis-Bruce (Les Evadés, Seven) et Marcus D’Arcy fixe le "compte à rebours" que subissent les Odone et participe au réel malaise physique qu'éprouve le spectateur. Leur seul réconfort provient de leur maison à l’architecture demie sphérique, qui renvoie aussi bien à l’unité familiale qu’à une figure divine de l’antiquité grecque. 

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L'autre combat des Odone se joue au niveau cellulaire. Devenus "hérétiques" pour la société, ils refusent d’obéir aux "faux prophètes" que sont le couple Muscatine et le professeur Nikolais, personnages similaires aux Lovelace de Happy Feet et Immortan Joe de Mad Max: Fury Road. La clé de leur problème n'étant pas au sein de la science dogmatique, le couple va alors devoir maîtriser un important savoir pour sauver l'enfant. La solution résidera dans les aliments du quotidien, l’huile du titre original, et l’infiniment petit, la cellule : au cours d’un cauchemar, Augusto trouve le point névralgique de la maladie via une représentation cellulaire liée à des trombones ! 
Par sa conclusion, Lorenzo touche subtilement à un propos cosmogonique : tout comme avec Will et Bill, les crevettes d’Happy Feet 2, le salut vient de l’infiniment petit (la contemplation des étoiles, le chant ancestral d’Ourimi vers le ciel, l’espoir mondial retransmis par les écrans de télévision sont autant d’éléments qui annoncent le futur diptyque sur les manchots chanteurs). Pour Lorenzo, Miller associe ses acquis de médecin à sa passion pour la mythologie comparative, le film pouvant se voir comme une relecture médicale du mythe d’Orphée : les Odone plongent en Enfer pour sauver Lorenzo (Eurydice). Héros campbellien tout comme Max, Babe, Mumble et Furiosa, Lorenzo est un infirme qui finira par devenir messie à l’échelle planétaire, sa guérison sera source d’espoir pour des millions de personnes. Un parcours qui trouve son accomplissement lorsque le garçon recouvre l’usage de ses doigts au détour d’une image renvoyant à La Création d’Adam de Michel-Ange. Cependant, les fondus au noir sur l’euphorie indiquent que le combat n’est pas encore gagné. Mais comme la présence du Ave Verum Corpus de Mozart le suggère, Lorenzo est devenu, par son combat, un symbole réconciliant l’infiniment petit à l’infiniment grand.

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Tourné pour un budget de 30 millions de dollars et nommé deux fois aux Oscars dans la catégorie meilleur scénario et meilleure actrice, Lorenzo ne récoltera que 7 millions de dollars au box-office. En dépit d’excellentes critiques américaines, le cinquième film de George Miller tomba rapidement dans l’oubli. Le cinéaste se consacra ensuite à
Contact, qui l’abandonna au bout d’un an suite à des divergences artistiques avec la Warner Bros.
Sous ses apparences de mélodrame médical, Lorenzo est une expérience viscérale particulièrement éprouvante. Dans la lignée des autres films de sa brillante carrière, George Miller transcende ce récit d’une famille luttant pour la survie de son fils en combat de simples humains face à l’immensité de l’univers. À découvrir, ou redécouvrir.




LORENZO'S OIL
Réalisation : George Miller
Scénario : George Miller & Nick Enright
Production : George Miller, Doug Mitchell, Johnny Friedkin...
Photo : John Seale
Montage : Marcus d'Arcy & Richard Francis-Bruce
Origine : USA
Durée : 2h09
Sortie française : 10 mars 1993




   

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