Mission: Impossible - Fallout
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- Critique par Nicolas Zugasti le 26 juin 2019
Plus dure est la chute
Globalement, la franchise Mission: Impossible restait synonyme de spectacle à valeur narrative ajoutée. En se reposant principalement sur ses morceaux de bravoure, ce Fallout n'est qu'une émulation intéressante du 2ème opus signé John Woo.
Avec les Mission: Impossible, Tom Cruise a réussi son pari d'installer durablement une franchise portée par ses petites jambes de marathonien, s'imposant comme la dernière icône de film d'action identifiable et admirable. Mais pour rester au sommet après les déconvenues critiques et publiques qu'ont été La Momie, Jack Reacher: Never Go Back et Barry Seal: American Traffic, Cruise dut mettre le paquet au prix d'une sensibilité broyée par la machine. Le spectacle reste plaisant, ce Fallout est une nouvelle démonstration de force d'Ethan Hunt, mais déçoit tant l'implication repose sur la sollicitation permanente du nerf optique par la geste héroïque du chevalier moderne, plombée de personnages secondaires semblables à des automates. Les questionnements de Hunt sur ses croyances et statuts parviennent péniblement à compenser des enjeux narratifs confus, la "famille" constituée depuis Protocole Fantôme semblant toujours plus désincarnée. Le plus décevant étant le traitement d'Ilsa Faust, magnifique pendant féminin d'Ethan né de Rogue Nation, réduit à rejouer ce qui avait été déjà remarquablement exposé. Un bégaiement d'autant plus problématique qu'il se généralise à l'ensemble du long-métrage qui, sous couvert de boucler la boucle, reproduit certains tropes et séquences des épisodes antérieurs (mise en scène escamotable pour soutirer des renseignement comme dans l'ouverture du premier film de Brian De Palma, Benji dirigeant à distance Hunt renvoie ainsi à la fin du 3ème opus réalisé par J.J. Abrams...) mais sans en éprouver la pertinence ni mettre en valeur une quelconque évolution.
Néanmoins, ce recyclage illustre l'autonomie de la saga cinématographique par rapport à la série télé, ayant acquis un fonctionnement et une structure propres dès le long initial signé De Palma, qui coupait radicalement le cordon avec la création de Bruce Geller pour permettre aux suites de dérouler une identité renouvelée en s'appuyant sur quelques motifs identifiables. Et donner naissance à un objet culturel à part entière que l'on peut appréhender en globalité (comme s'y est dernièrement essayé Monsieur Bobine) et dont on attend chaque nouvelle itération à la manière des James Bond de la grande époque. Le problème avec Fallout est que la mythologie tourne à vide au point où l'objet semble exclusivement formalisé à la gloire du mythe Tom Cruise/Ethan Hunt. Les précédents films ne s'en privaient évidemment pas, mais ils pouvaient se targuer de compliquer la trajectoire de son héros pour l'obliger à mettre en œuvre de nouvelles dynamiques relationnelles. Ici, la franchise ne sort jamais de sa zone de confort, à l'image du retour de McQuarrie derrière la caméra, une première dans la franchise qui avait jusque-là alterné les réalisateurs.LIVRÉ
À LUI-MÊME
Hunt/Cruise
est donc le centre d'attention de Fallout et toutes ces péripéties d'Apôtres et
d'ogives nucléaires ne demeurent que MacGuffin. Tout au long d'une
intrigue alambiquée, Ethan est améné à assumer les conséquences de ses actes, ses fuites ne résolvant rien et ne menant nulle part. Ce qui se traduit visuellement par un environnement de plus en plus atrophié, étriqué, cerné de paysages urbains à l'horizon réduit. L'isolation de Hunt met en exergue son besoin des autres, effet particulièrement prégnant
lors de la conclusion au Cachemire où le champ se dégage lorsque la
coopération fait son retour : tandis qu'ils doivent
opérer simultanément sur plusieurs fronts pour désamorcer une
bombe, ses équipiers discourent sur le super agent de l'IMF, verbalisant
leur foi en ses capacités. Si
ce segment est plutôt bien construit, reposant même sur des
ressorts old
school
assez
rafraîchissants (couper les bons fils dans le bon timing, se battre
pour récupérer le contrôle du détonateur) et concrétise leur
indispensable complémentarité, tout ce qui a précédé aura été
particulièrement laborieux.Â
Les
partenaires de Hunt auront été relégués à l'arrière-plan,
utilisés comme des deus ex machina tant leurs interventions ne
servent qu'à relancer un récit ne parvenant pas à se dépêtrer de
ses circonvolutions. Une déconnection qui dessert l'unité de Fallout, reposant alors seulement sur ses scènes d'action
certes impressionnantes mais peu trépidantes tant le film manque de liant, de fluidité, d'humanité.
Certes, McQuarrie veut conter une odyssée moderne (intention
clairement affichée lorsque Hunt prend connaissance de sa mission en
écoutant le message dissimulé dans une édition de la célèbre épopée d'Homère) et le retour au bercail du héros auprès de sa belle, mais le réalisateur semble se rappeler au dernier moment au bon souvenir de ses
compagnons.Â
JE
COURS DONC JE SUIS
McQuarrie préfère donc s'intéresser à Hunt pour en questionner le mode d'action et son statut de héros quasi indéstructible. Dans Protocole Fantôme, Brandt s'étonnait que la tactique de Hunt pour échapper à un canardage (une fusée éclairante dans un cadavre en guise de diversion) ait fonctionné. Hunt restait évasif, incapable de répondre précisément, si ce n'est qu'il a fait confiance à son instinct. Cette réussite incroyable qui sous-tend la plupart de ses actes, si elle est parfois durement mise à l'épreuve, est consubstantielle au personnage. Elle s'apparente même parfois à une énorme baraka, comme soulignée par la séquence en apnée de Rogue Nation. Dans Fallout, il compte tellement sur sa chance qu'il agit dans l'improvisation la plus totale. Ce qui finalement reflète plutôt bien ce qui tient lieu de script.
Mais l'invincibilité de Hunt tient-elle seulement à cette chance ? Dans Jack Reacher, Cruise incarnait un justicier dur à cuire qui s'en sortait autant par capacités physiques que par ses talents d'analyse. Depuis Protocole Fantôme, Hunt en est une version grandiloquente jouissant du roller coaster Mission: Impossible pour poussant le potar de l'invulnérabilité toujours plus haut. Dans Fallout, Hunt se rapproche davantage du Roy Miller de Night And Day de James Mangold, un personnage d'espion bien azymuté dont la nature increvable et les surgissements impromptus se jouaient des canons hollywoodien du genre. Avec ce Mission: Impossible - Fallout, McQuarrie ne cherche plus à provoquer une quelconque identification à Hunt/Cruise, sa seule intention réside dans l'accomplissement de son destin d'icône. A la limite de la saturation, cet opus se perd alors dans une surenchère permanente où la narration compte moins que l'homme d'action Ethan Hunt, qui s'agite frénétiquement sans autre but que de se conformer désormais à ce que le récit attend de lui.
MISSION: IMPOSSIBLE – FALLOUT
Réalisateur : Christopher McQuarrie
Scénario : Christopher McQuarrie, Drew Pearce d'après la série créée par Bruce Geller
Production : J.J Abrams, Bryan Burk, Tom Cruise, David Ellison, Dana Goldberg...
Photo : Rob Hardy
Montage : Eddie Hamilton
Bande originale : Lorne Balfe
Origine : USA
Durée : 2h28
Sortie française : 1er août 2018