Il Y A Longtemps Que Je T'Aime + Le Nouveau Protocole

La chambre des fils

Affiche Il y a longtemps que je t'aime

Deux films, l'un "d'auteur" comme on dit, l'autre "de genre", illustrant malgré eux qu'au-delà des intentions et du traitement propre à un cadre, le cinéma a avant tout besoin d'une chose : un propos.


Car ce n'est pas tout de mettre en avant le "message" de son film (un message étant ce qu'on laisse sur un répondeur comme le dit si bien Carpenter), encore faut-il aller au bout de ses intentions. Chose pas très évidente tant la moindre sortie de route rhétorique ou artistique se fait joyeusement punir par un pugilat médiatique (souvenons-nous des accueils délirants en 2007 de
99 Francs, Sa Majesté Minor, Death Sentance, A Vif, etc., et comparons-les aux films encensés). Mais est-ce justement une raison pour se complaire dans ce conformisme assommant ?

Le premier film du romancier Philippe Claudel,
Il Y A Longtemps Que Je T'Aime, conte le retour auprès de sa sœur d'une femme (Kristin Scott Thomas) après quinze années de prison pour un crime qui reste encore pour ses proches un mystère et surtout un lourd fardeau.
Les premiers pas à la mise en scène de l'auteur des
Ames Grises reste à mi-chemin entre le téléfilm et l'essai étudiant ne nous épargnant aucun cliché du genre : de la main de l'héroïne caressant un fauteuil en gros plan aux dialogues à la piscine en passant par la fameuse scène "Chérie je suis trop heureux d'être content j'ai battu Berthier au squash quoi tu as laissé nos enfant à ta sœur mais t'es vraiment qu'une buse ma pauvre conne" ; sans oublier les vétilles ne faisant mal aux yeux qu'à une infime partie de maniaco-tatillons comme les sorties de cadre à droite précédant des… entrées de cadre à droite. Ce sont des détails pour vous mais pour moi ça veut dire beaucoup. L'apogée sensitive de la mise en scène est atteinte lors de la séquence de la luxation de l'épaule du mari, climax émotionnel à la captation en caméra à l'épaule la main.

Il Y A Longtemps Que Je T'Aime

Une mise en images pas bien folichonne (mais ce n'est pas forcément là-dessus qu'on attendait l'auteur) pour illustrer les retrouvailles de deux sœurs séparées par un drame familial et l'incarcération de l'aînée suite à un acte terrible. Secret de famille, squelettes dans le placard, Claudel tente d'enraciner le malaise chez le spectateur, si ce n'est que l'écriture se révèle d'une finesse assez pachydermique, tant et si bien que le secret entretenu sur le pourquoi de l'acte n'en devient que plus ridicule une fois celui-ci révélé. Outre les scènes pivots clichées et / ou naïves déjà citées (le mari content puis pas content, la sœur qui sauve l'épaule du mari prouvant qu'elle n'est donc pas une ogresse qui va tous les buter à coups de burin), il faut être brave public pour ne pas se taper le front à chaque frasque nerveuse d'Elsa Zylberstein dès que sa fille de dix ans évoque le passé de sa tante, tant ceci sonne faux car absolument pas justifié ("Dis tata, t'étais où avant ? Ferme-la et va-t-en te coucher, maman va faire sa crise de malaise introspectif" : subtilité).
Mais le bât blesse réellement lorsque Claudel nous promet un temps d'aborder un sujet autrement plus passionnant et plus osé que la froideur entre deux sœurs : l'infanticide. Parant son héroïne du mystère du plus horrible des crimes ("sublime, forcément sublime" comme le dirait Duras, qui devrait d'ailleurs se contenter de filmer des camions des fois), l'auteur détruit complètement son métrage lors des dernières séquences, non seulement en dévoilant les secrets du passé mais surtout en expurgeant le personnage de Kristin Scott Thomas de tout pêché, rendant ainsi complètement caduque sa psychologie et tout le drame tissé en toile de jute autour d'elle.
On en ressort en se demandant quel était donc l'intérêt de la chose tant le sujet (l'euthanasie) et le traitement ne se servent l'un l'autre à aucun moment.
Nous retiendrons toutefois deux répliques : "
Rohmer est le Racine du XXème siècle" lors d'un sympathique débat sentant le gentil règlement de comptes et le dialogue final surlignant au Stabilo la "finesse" auto-proclamée de l'objet : "-Juliette, tu es où ?! - Je suis là ! Je suis là….".

Il y a longtemps que je t'aime
Comme tout bon film sorti dans les années 80, une scène à la piscine



Affiche Le Nouveau ProtocoleLe deuxième film de ce double feature débute également par la perte d'un fils, celui de Clovis Cornillac retrouvé mort dans sa voiture après une sortie de route. Désespéré, Cornillac est abordé par une jeune femme (Marie-Josée Croze) lui suppliant de porter son attention sur les médicaments que son fils testait : ils seraient à l'origine de son accident et le laboratoire qui les produit ferait tout pour étouffer l'affaire.

Deux ans après
The Constant Gardener, le cinéma français s'attaque lui aussi au lobby pharmaceutique via Le Nouveau Protocole, troisième long-métrage de Thomas Vincent (le sympathique Karnaval). Et quand le cinéma français dénonce, houlala ça fait mal ! Si le film de Meirelles enfonçait des portes ouvertes, il avait au moins l'honnêteté d'aller au bout de son propos en dénonçant au sein d'un thriller soigné des pratiques scandaleuses. Ici, Thomas Vincent et son co-scénariste ne trouvent rien de mieux que de prendre ouvertement le spectateur pour un con : sous prétexte d'un revirement scénaristique se voulant malin, il s'avère que le médicament mis en cause n'est qu'un vulgaire placebo. Et là, il y a un problème : car cette déviation du propos original transforme de fait le personnage de Croze et ses camarades militants en gros paranoïaques hystériques et irresponsables. Car bien entendu, si le cas du fiston Cornillac n'a rien à voir avec le labo lui fournissant ses médocs, les auteurs ne se sont bien gardés de remettre en question les pratiques du milieu tant les doutes sur l'effet placebo du médicament en question sont balayés et balancés à la poubelle : non non, les personnes dénonçant ces pratiques sont simplement folles, paranos et prêtes à tuer sans raison. Ahurissant.

Le Nouveau Protocole

La tromperie sur la marchandise est d'autant plus fallacieuse que
Le Nouveau Protocole est présenté comme un film engagé, réflexif et contestataire, la production envoyant même Cornillac à la télé vendre ce métrage en avançant qu'on "en ressort moins con qu'en rentrant" (sic). La courageuse dénonciation contestataire se limite à deux scènes (ouvrant et fermant le film) dans lesquelles des docteurs font des vaccins à des enfants et leur mettent des bracelets (les ordures : des bracelets !), quand tout le reste de l'œuvre ne sert qu'à illustrer la paranoïa abusive des détracteurs du lobby tout en faisant des directeurs de labo d'innocentes victimes face aux méchants gens d'en-bas dégénérés qui veulent les buter. Si être moins con est accepter un tel discours peureux, nous préférons rester stupides.
Mis à part ce renoncement,
Le Nouveau Protocole demeure un thriller d'assez mauvaise facture, les scènes d'action sont molles au possible (notamment celle du sous-bois avec ses acteurs ne sachant où se placer en jouant à chat) et le suspense absent, conséquence directe de la marche arrière du scénario en cour de route (que Thomas Vincent avait déjà pratiquée dans Je Suis Un Assassin, mais cela permettait d'y servir une approche intéressante du "crime parfait"). Le plus risible reste quand même l'élément introduisant le twist, à savoir le quiproquo sur les flics : la scène paraissait crédible tant que l'on croyait avoir affaire à des hommes de main du labo, mais si ce sont des flics, comment ont-ils fait pour croiser Marie-Josée Croze dans la rue et savoir qu'il faut lui dire de rester sage ? Dans le même ordre d'idée, signalons que le moindre élément scénaristique incitant au complot, comme le vol d'un flacon chez Cornillac, est uniquement l'œuvre du personnage de Croze, et qu'à aucun moment les auteurs n'impliquent le labo du film dans les événements. Conceptuel. Enfin, si quelqu'un pouvait nous expliquer le but de la séquence en Suisse, nous sommes preneurs.

Tout comme pour
Il Y A Longtemps Que Je T'Aime, on en vient à se demander quel est l'intérêt de se lancer dans un tel sujet si ce n'est pour strictement rien dire, rien dénoncer et ne jamais assumer le propos initial du projet. Une politique de la tiédeur évidemment saluée par une partie de la presse : chez Télérama on y voit un "Astérix activiste" qui "évite tout manichéisme" (buter une femme sans aucune raison ce n'est pas manichéen), Le Parisien pense que montrer des labo mettant des bracelets aux enfants mais n'étant responsables d'absolument rien c'est être "engagé". Cela devait être écrit dans le dossier de presse puisque chez Chronic'Art on arrive à y trouver une illustration du "scandale des essais thérapeutiques dans le Tiers-Monde, et, peut-être, en France aussi", ou quand deux scènes expectantes ne disant fondamentalement rien se substituent à une mécanique globale de non-discours… Enfin Emmanuel Burdeau des Cahiers y décèle les "contours d'une nouvelle fiction de gauche". Si c'est la même culture de gauche qui prône le "Je n'ai absolument rien à dire mais je tiens à le faire savoir", engageons-nous à lui trouver un autre nom.

3/10

IL Y A LONGTEMPS QUE JE T'AIME
Réalisateur : Philippe Claudel
Scénario : Philippe Claudel
Production : Sylvestre Guarino & Yves Marmion
Photo : Jérôme Alméras
Montage : Virginie Bruant
Bande originale : Jean-Louis Aubert
Origine : France
Durée : 1h55
Sortie française : 19 mars 2008

 

 

 




 

 

2/10
LE NOUVEAU PROTOCOLE
Réalisateur : Thomas Vincent
Scénario : Thomas Vincent & Eric Besnard
Production : Eric & Nicolas Altmeyer
Photo : Dominique Bouilleret
Montage : Pauline Dairou
Bande originale : Krishna Levy
Origine : France
Durée : 1h30
Sortie française : 19 mars 2008










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