La chienne de garde Hadopi enfin adoptée !
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- Instant critique par Nicolas Zugasti le 18 mai 2009
Quand piraterie rime avec démocratie...
Projet controversé, Hadopi aura été l’occasion de mesurer la pauvreté d’arguments de ses ardents défenseurs, qui aura conduit à une succession impressionnante de points Godwin. Une fébrilité dénotant un manque d’assurance face à un piratage qui n’a pas attendu Internet pour démontrer ses vertus.
Le projet de loi Création et Internet, âprement défendu à force d’arguments imparables par madame Albanel et toute une clique (clinique ?) d’artistes dépassés par les évènements, a été adopté par l’Assemblée Nationale et le Sénat. Ne manque que l’approbation du Conseil Constitutionnel pour que la fête soit complète. Je ne ferai pas de panégyrique, les habitués du site, de Numérama, de Kassandre ou de la Quadrature du Net connaissent tout de l’ineptie de cette loi, techniquement et juridiquement inapplicable puisqu'allant à l’encontre de l’amendement 138, dit Bono, entériné par les parlementaires européens. Alors pourquoi être écoeurés par ce vote, d’autant plus que fleurissent déjà des dizaines de solutions pour neutraliser Hadopi ? Tout simplement pour la forte valeur symbolique que représente l’acceptation de cette loi liberticide. Ce n’est pas tant une plus juste rétribution des artistes qui était recherchée qu’un moyen de contrôler les échanges et la diffusion de la culture. Ce gouvernement, en faisant le forcing pour que cette loi soit votée, affiche toujours plus clairement et éhontément leur mépris et leur peur d’un accès libre pour tout à chacun à des œuvres culturelles.
Au passage, il est important de rappeler que les sites anti-Hadopi en général et L’ouvreuse en particuliers ne prônent pas une gratuité totale et absolue du téléchargement (la licence globale est assez régulièrement évoquée) mais une libre circulation et diffusion des idées, des œuvres, des logiciels…
L’économiste Bernard Maris (dit aussi Oncle Bernard) dans un article paru dans le Charlie Hebdo du 1er avril synthétise ce que la lutte contre le "piratage" induit :
"Derrière l’attaque contre la "gratuité", il y a le combat de Microsoft et Apple contre les logiciels libres qui sont meilleurs que leurs logiciels propriétaires et dont ils veulent faire la peau. Car Linux est fondé sur la coopération, l’altruisme et le plaisir de la recherche, avant l’appât du gain. On ne me fera jamais dire qu’il ne faut pas défendre les créateurs. Il n’y a qu’eux à défendre."
Non seulement cette loi ne permettrait pas aux artistes de gagner un kopeck mais elle priverait les consommateurs de découvrir des pans entiers de culture non autorisée aux heures de grande écoute.
Le téléchargement, une alternative indispensable
Le DVD est un fantastique support qui permet l’édition de films peu ou jamais diffusés mais un support également soumis à des diktats économiquesque le téléchargement est à même de briser. Avec les bons codecs et de la patience, il est possible de bénéficier de films seulement édités dans une certaine zone économique (1, 2 ou 3). Lorsque l’on ne possède pas d’un budget illimité pour acheter des imports, de platine toute zone couplée à des connaissances linguistiques pointues et variées (en effet, en l’absence de sous-titres, mieux vaut maîtriser le cantonais, l’anglais ou l’italien…), le téléchargement du film et de ses sous-titres est une véritable aubaine pour apprécier des œuvres jusqu’ici invisibles et dont la confidentialité les condamne à terme à l’oubli. Le téléchargement est donc carrément indispensable si l’on souhaite enfin visionner Sorcerer (Le Convoi De La Peur) de Friedkin, Danger Diabolik de Bava ou Inglorious Bastards de Castellari, seulement disponibles en DVD zone 1. Des films qui perdureront, quoi qu’il arrive, dans la mémoire de cinéphiles avertis alors que leur finalité demeure d’être visibles par le plus grand nombre. Un problème qui ne concerne pas que les pellicules anciennes. En effet, le cas de Johnnie To est particulièrement emblématique. Ses films ont beau être régulièrement sélectionnés dans des festivals européens (Cannes, Venise, Berlin…), faire le ravissement des critiques, son réalisateur faire l’objet d’une rétrospective / hommage à la Cinémathèque Française, ils ne sont pourtant distribués que dans un parc réduit de salles. Là encore, téléchargement indispensable. D’autant plus lorsque ces films ne sont même pas édités en DVD. Ou seulement disponibles sur des sites spécialisés pour le diptyque Election. Mais rien pour Exilé (sorti en 2006), Filatures(en 2008) et Sparrow (en 2008 également). Un coffret réunissant ces cinq films, à paraître le 4 juin prochain, va rattraper ces oublis mais aurait-il vu le jour si To n’était pas en compétition à Cannes avec Vengeance mettant en scène Halliday ?
A travers ces quelques exemples, on s’aperçoit que le téléchargement permet de pallier l’absence de support physique, de compenser les contraintes économiques afin de faciliter l’accès à des cinématographies occultées par des médias de plus en plus généralistes.
Ceci dit, le téléchargement a également des effets pernicieux (pour ne pas dire pervers) lorsque ce même procédé permet à des trucs comme Taken de s’ouvrir le marché américain. Rappelons juste pour goûter l’ironie de la situation que le principal défenseur d’Hadopi, Luc Besson, est le producteur du film. Dans le sens inverse, le buzz crée par un téléchargement massif a permis le débarquement des ineptes Heroes.
La cuillère n'existe pas
Hadopi se targue de lutter contre le téléchargement illégal, responsable d’un important manque à gagner. Non seulement cette assertion est fausse (rien que pour le cinéma, la fréquentation des salles ne cesse d’augmenter) mais elle est malhonnête dans la mesure où elle en masque le véritable enjeu. En refusant de s’adapter à une nouvelle façon de consommer qui se passe du moindre support physique, les maisons de disques, de production et autres distributeurs de culture (dit aussi agitateurs d’idées) dénient tout simplement le droit aux consommateurs-citoyens de se réapproprier la diffusion des œuvres. La dématérialisation étant synonyme pour eux de déréglementation et d’une perte de contrôle. Rappelons que le simple fait de prêter à un ami ou un collègue un DVD légalement acheté dans une grande enseigne est illégal. Réprimer le téléchargement est en fait le moyen de permettre aux industriels du divertissement de conserver la mainmise sur la diffusion. Déjà que nous lisons tous la même chose (merci les journaux "gratuits" distribués allègrement en sortie de métro), bientôt nous écouterons et verrons les mêmes œuvres. Autrement dit, à une pratique altruiste et désintéressée de partage et d’échange, il convient de substituer une uniformisation rentable.
C’est en toute logique que la légalisation du téléchargement par le biais de la licence globale soit tant redoutée puisque ce n’est pas la création artistique et leurs auteurs qu’elle mettrait à mal mais bien un modèle économique archaïque. Et l’on opèrerait de fait un glissement sémantique passant de téléchargement illégal à téléchargement libre.
La démocratisation efficiente de la culture n’est pas encore pour demain. Hadopi, même mort-née, est là pour le signifier. Et le livre de Florent Latrive Du Bon Usage de la Piraterie est là pour le révéler. Extrait :
"Le milieu du xixe vit notamment des querelles récurrentes entre titulaires de droits et fabricants des premiers appareils de reproduction et de diffusion de la musique, affrontements dont les débats actuels portent encore l'empreinte.
…devant le succès croissant des appareils jouant de la musique, de l'orgue de barbarie au piano automatique en passant par les boîtes à musique, une brochette de compositeurs – Berlioz, Gounod et Rossini, entre autres – ont publié un manifeste radicalement anti-reproduction : "Ce serait une grande erreur que de croire que plus une musique est populaire, plus elle enrichit l'éditeur et ajoute à la renommée du compositeur. Lorsqu'une musique est trop connue, on s'en fatigue, on cesse de l'exécuter, on ne l'achète plus… Cette lassitude qui remplace l'empressement est surtout fatale lorsque le succès, au lieu de se maintenir dans la région du goût et parmi les classes plus élevées, descend et se vulgarise". Tout est dit : la reproduction mécanique, en facilitant la diffusion large et démocratique de la musique, la "vulgarise". C'est au nom d'une vision élitiste et profondément réactionnaire de l'oeuvre que les artistes et éditeurs réclament alors un droit de contrôle sur les modes de diffusion et d'enregistrement. Ils ne veulent pas seulement toucher une juste rétribution sur leurs compositions, mais exigent aussi de pouvoir choisir par quels canaux elles atteignent le public."
Un livre diffusé sous licence Creative Commons et téléchargeable librement et gratuitement. Vous êtes libres de le lire, l’acheter (publié par Exils Editeurs), le copier (!), le rediffuser (!!) à condition de respecter les conditions de la licence Creative Commons. Soit une aberration totale pour nos marchands.
Le japonisme, art du piratage
Admettre les vertus du piratage reste inconcevable pour les financiers. Chaque chose à un prix qu’il faut payer pour le posséder. Mais si l’on veut bien un instant écarter toute logique marchande, on observe que le piratage se révèle parfois une pratique inestimable pour le partage et la sauvegarde des arts. Et en premier lieu, le mouvement pictural européen, le japonisme, qui tout en relançant les carrières de ses pratiquants permit rien de moins de préserver et permettre la reconnaissance dans leur propre patrie des auteurs d’estampes tels que Hokusai, Hiroshige ou Utamaro.
Tout débute en 1856, lorsque les collectionneurs d’art japonais exposent les œuvres qu’ils possèdent et que Félix Bracquemond est alors le premier artiste à copier une œuvre d’Hokusai, ces actions précipitant un engouement pour l’art japonais qui va ainsi se déployer. Les voyages de collectionneurs et d’artistes à destination du Japon vont donc se multiplier et l’influence de leurs arts contribueront à une large diffusion des œuvres japonaises en Europe. Parmi ces fervents admirateurs et copieurs, figurent Monet, Van Gogh ou Manet.
Ces artistes japonais étaient très peu reconnus au Japon car produisant un art considéré comme léger et populaire par les élites japonaises de l'époque. Le japonisme a donc sauvé des oeuvres qui allaient disparaître et permis de développer une voie nouvelle de l'art japonais. En contrepartie, les artistes japonais s’inspirèrent de leurs homologues occidentaux, ce qui amena la création d’un courant artistique dit du Yo-ga (voie occidentale), qui développa les techniques et les motifs de la peinture à l'huile. Comme quoi, le piratage ou recopiage est loin d’être une action rimant avec barbare et peut même s’avérer salutaire dans l’expression d’une pensée et d’une forme d’art.
Le téléchargement non seulement devrait être légalisé mais il s’avère régulièrement légitime.
Mais bon, que vaut de passer des plombes à essayer d’étayer, de développer des arguments, montrer d’autres alternatives profitables à tous (créateurs et consommateurs) face au sempiternel refrain répété comme un mantra, pirater une œuvre est préjudiciable à son auteur et tous les intervenants dans le processus de création et de diffusion et internet c’est rien qu’un refuge d’irresponsables-pédophiles-psychopathes.
Et puisque nos dirigeants ne semblent comprendre et admettre seulement le langage des urnes, et puisque le certificat de décès d’Hadopi ne sera signé qu’en septembre au moment du vote du Paquet Télécom par le prochain parlement européen, il reste un moyen de faire entendre sa voix le 7 juin prochain…
PS : Profitez de ce lien pour remonter le temps jusqu’en 1996, époque où l’ADSL n’existait pas, où les perspectives de liberté d’un iIternet naissant suscitaient l’espoir de bénéficier enfin d’un espace totalement indépendant. En souhaitant que cette déclaration d’indépendance du cyberespace ne devienne pas son épitaphe…