Tim Burton - 2ème partie
- Détails
- Dossier par Nicolas Marceau le 29 février 2008
Corpse Burton
Suite et fin de notre grand dossier sur Tim Burton. Après une première partie consacrée aux oeuvres qui ont fait l'unanimité (avec parfois dix ans de retard de la part des adeptes du retournement de veste), place à celles qui ont profondément divisées. Il va y avoir du sang !
3. AUTEUR OU ILLUSTRATEURÂ ?
Mars Attacks!
Si Ed Wood fut à sa sortie le plus gros bide du cinéaste (ou le plus petit succès, à vous de voir), les scribouillards gardiens du bon goût culturels s’étaient cependant enfin décidés à reconnaître le talent de Tim Burton et son statut d’authentique artiste. Quelques nominations aux Oscars plus tard et voici le marginal de Burbank encensé à tout bout de champ dans un retournement de veste magistral, comme si son mordant et son sens remarquables de l’esthétique était soudainement tombé du ciel. La mode Burton se met en marche et ce qui était autrefois dénigré devient brusquement réévalué. Pas encore devenu un label qualité/prix apposé sur des produits cinématographiques, le réalisateur évite de se vendre au système en proposant le démentiel Mars Attacks!, farce méchante où toute sensibilité est jetée aux orties. Après avoir disserté sur le cinéma Z avec le brillant Ed Wood, place à la pratique.
Alors que le logo de la Warner apparaît à l’écran, une soucoupe volante sortie tout droit de Plan 9 From Other Space flotte maladroitement, comme pour nous annoncer que nous allons assister à une série Z ringarde mais financée par une grosse major. Un second hommage à l’auteur de Glen Ou Glenda en même temps qu’un véritable pieds de nez à un système de production alignant les gros blockbusters idiots et bourrés d’effets spéciaux tendances.
A l’origine de cette grosse blague sur pellicule, il y a une histoire déjà existante : celle des cartes à collectionner Topps qui ont bercé l’enfance de Burton. Ces cartes sorties en 1962 racontaient en images une invasion martienne fantaisiste à la fois drôle et monstrueuse inspirée en partie de la Guerre Des Mondes de Wells et des tensions de la Guerre Froide avec les Russes. La deuxième vignette montre d’ailleurs que les vilains approchent des Etats-Unis munis d’armes redoutables (leurs effets ne sont pas sans rappeler la menace nucléaire) et qu’ils doivent certainement être communistes (après tout, ils viennent de la planète rouge).
De cette série de 66 cartes (54 à l’origine plus une pour le générique, puis 11 nouvelles ajoutées en hommage en 1994), le scénariste Jonathan Gem a tiré un script permettant de compiler les situations les plus délirantes en proposant une intrigue cohérente et une galerie de personnages forts. Les robots géants sont toujours là , le look des martiens est identique, l’introduction avec les vaches en feu renvoie à la carte 22, le rayon laser rétrécissant un soldat permet cette fois-ci de réduire la taille du ministre des Armées, la mort des êtres humains avec leur squelette pourrissant est toujours là , l’extermination du parlement aussi (ou plutôt le Sénat) et la destruction de monuments historiques est à peine modifiée (Big Ben remplace le pont de San Francisco, le Taj Mahal fait office de Time Square). Un vrai best-of en somme même si certaines des meilleures images ont été mises de côté, vraisemblablement pour des questions de budget. Exit par exemple le raz de marée sur des buildings, exit les rayons réfrigérants mais surtout, exit les insectes géants dans la lignée de Tarentula ou de Them!Â
Mais ces quelques manques forts regrettables ne font pas pour autant dévier Tim Burton de sa ligne directrice : Mars Attacks! est un grand FUCK méchant face aux produits formatés américains. On l’a beaucoup dit depuis, mais il représente l’anti-Indépendance Day (sortis quelques mois auparavant), piétinant absolument TOUTES les institutions et les bonnes valeurs morales. Rien ni personne ne réchappe de ce jeu de massacre orgasmique. L’armée est totalement impuissante face à ces créatures équipées de pistolet en plastique (même le soldat patriote sera carbonisé en brandissant la bannière étoilée !), les sénateurs sont transformés en squelettes rouges et verts fluos (il y a du Beetlejuice là dedans !), les gros financiers symbolisant le rêve Américain se font exploser la tronche, le président US est poignardé dans le dos après s’être lancé dans un gros discours niais sur l’humanisme et l’amour des peuple, les symboles de la paix sont réduits en cendre (bye bye la blanche colombe !), la First Lady est une pétasse qui finira écrabouillée par un lustre, l’hymne Américain est massacré par un groupe de musiciens Mexicains, les beaufs Texans ne pensent qu’à honorer leur fils militaire et leur télé, les monuments historiques sont détournés (le Mont Rushmore) ou atomisés (la Tour Eiffel), la force nucléaire est ridiculisée par un petit ballon rouge permettant aux martiens de se faire des shoots, le scientifique bêta ("ils ont une technologie plus avancée que nous, c’est qu’ils sont forcément pacifistes !") finira décapité mais toujours vivant avec ses membres éparpillés tout autour… Un carnage monumental, une ode au cynisme, une date historique où Burton se cache derrière les martiens pour dire ce qu’il pense de l’Américan Way of Life. Pas de doute, le réalisateur de Beetlejuice s’éclate à filmer des monstres à grosses têtes vertes détruisant le monde avec des objets kitchs ! Derrière les rires des méchants extra-terrestres se cachent le plaisir d’un gosse qui a reçu de beaux jouets pour Noël (un gros budget, des belles maquettes) et qui décident de tout détruire juste pour le plaisir, en s’offrant au passage Godzilla en guest star ! Et après ça, que restera-t-il ? Ben rien ! Juste un monde gouverné par une mémé à moitié folle et un jeune baba cool faisant un discours devant personne et éventuellement la promesse d’un monde paradisiaque totalement ridicule où Tom Jones serait un Dieu ! Mieux : en cas de nouvelle attaque martienne, la riposte est toute trouvée : il s’agit d’une chanson ringarde capable de filer de gros mal de crâne aux monstres de l’espace ! Autant dire que la conclusion du film est bien plus réjouissante que celle des cartes Popps dans lesquelles les forces Armées de la Terre parvenaient à atomiser la planète rouge ! Mars Attacks! est une vaste farce et bon sang ce qu’elle est drôle !!Â
Finalement, on est pas si loin de la démarche du premier Batman : Mars Attacks! est un gros blockbuster perverti à chaque instant où les gros moyens mis en œuvre ne servent qu’à piétiner la bienséance et où l’on rit de choses horribles (les martiens sont très proches du Joker, s’éclatant à foutre la bordel dans un musée par exemple). Le plaisir est d’autant plus grand que le casting est tout simplement un des plus riches qu’on est vu depuis belle lurette : Jack Nicholson revient dans deux rôles de pouvoir (le Président des Etats-Unis et un milliardaire hystérique), Annette Bening joue les bouddhistes à la ramasse, Michael J. Fox prouve qu’il est un des comiques qu’on aimerait voir plus souvent sur grand écran (le brillant Fantômes Contre Fantômes de Peter Jackson n’allait pas tarder à débarquer et être snobé dans les salles), Glenn Glose excelle en First Lady matérialiste et superficielle, Pierce Brosnan trouve sûrement ici son meilleur rôle à ce jour en scientifique glamour, Sarah Jessica Parker (déjà divine dans Ed Wood et pas encore star de Sex And The City) se lâche totalement en nunuche amoureuse de son chien, Danny De Vito vient faire coucou à Burton (qui l’avait déjà dirigé dans Batman Returns et qui le réemploiera dans Big Fish) et Lisa Marie, partenaire du réalisateur à l’époque, nous gratifie d’une apparition étrange, macabre et sensuelle.
Comme s’il souhaitait rendre hommage à une époque dépassée et tombée dans l’oubli, Tim Burton s’offre en prime la présence de Pam Grier, icône de la blaxploitation à qui Quentin Tarantino offrira ensuite le rôle de Jackie Brown ainsi que de Tom Jones, ancienne star de la chanson qui était sur le point d’effectuer en 1999 un come-back fracassant avec Sex Bomb. Un bonheur de chaque instant décuplé par une direction artistique remettant le rétro au goût du jour avec délice : les décors de Wynn Thomas sont à la fois simples et immenses, la photographie de Peter Suschitzky permet aux couleurs d’exploser les mirettes à chaque instants, les effets spéciaux numériques d’ILM se bornent à ressembler à de l’animation image par image (Burton souhaitait au départ animer ses monstres à la manière de Ray Harryhausen mais dut abandonner pour des raisons pratiques, de temps et financières) et la musique composée par Danny Elfman (de retour avec le cinéaste après la brouille sur L’Etrange Noël De Mr Jack qui avait obligé Burton à engagé Howard Shore sur Ed Wood) transpire les années 50, avec un générique de toute beauté et un ajout de chÅ“urs féminins déchaînés offrant une puissance supplémentaire aux images.Â
Mars Attacks! manque juste d’un soupçon d’émotion qui pourrait le hisser au niveau des plus grandes réussites du maître. La profusion de personnages empêche un certain attachement, surtout que le montage ne sait parfois plus quoi faire d’eux et les oublie en cours de route (Nathalie Portman parachutée à la fin, le retour soudain de Jim Brown…). Une broutille en regard des 90 minutes de spectacle anarchiste que nous offre le réalisateur de Pee Wee ! Une référence dans la méchanceté et une des plus grande comédie jamais vue sur un écran ! Un grand défouloir qui marque, hélas, le début de la fin du Burton poil à gratter (il suffit de revoir Mars Attacks! pour comprendre ce qui cloche dans le bien-pensant Big Fish). Raison de plus pour chérir ce film-ci !  Â
Sleepy Hollow
Un cavalier qui surgit hors de la nuit, s'en va faucher des têtes au galop.
Tout le monde sera d'accord pour reconnaître que l'adaptation cinématographique du conte de Washington Irving revenait de droit à Tim Burton. Un univers gothique, des morts macabres, une romance entre un type bizarre et une fille bienveillante... Après une irrévérencieuse déclaration d'amour aux vieux films de science-fiction des années 50 via l'incontrôlable Mars Attacks!, le réalisateur d'Ed Wood était tout désigné pour rendre hommage au charme d'antan des productions Hammer en signant un récit envoûtant, violent et romantique. Du grand spectacle dans toute sa splendeur !Â
Mars Attacks! ayant été un joli plantage au box-office américain pour cause de cynisme anti-patriotique, Tim Burton avait besoin de revenir dans la course Hollywoodienne sous peine de disparaître rapidement du système. Trop sarcastique, trop sombre, trop décalé, trop bizarre, le bonhomme avait besoin de se fondre un peu plus dans le moule des studios pour regagner un peu d'estime de la part du public yankee. Sa locomotive se présentera sous les traits de Superman, le grand super héros en collant bleus que la Warner tente de ressusciter depuis quelques années. Réticent au départ, Tim se laisse finalement séduire par le projet Superman Reborns (rebaptisé Superman Lives) et envisage une sorte de cross-over entre Superman et Batman, dans un esprit proche de celui des Watchmen. Le cinéaste s'investi corps et âme dans le projet en dépit des exigences de Nicolas Cage tenant le rôle titre, et se retrouve confronté aux mêmes problèmes que durant la préparation de Batman. Il n'aime pas le script trop gentillet qu'on lui propose, la Warner n'aime pas celui trop audacieux qu'il rédige. Il souhaite reprendre Michael Keaton dans le costume de Batman, la Warner tient impérativement à George Clooney. Les mois s'écoulent rapidement sans que le tournage puisse commencer et les producteurs ont déjà investi 50 millions de dollars pour rien. Anéanti par ce catastrophique développement, Burton se retire. "Je crois avoir été confronté à toutes les aberrations qu'Hollywood ait inventées au cours des vingt dernières années. Le plus probable aujourd'hui est qu'ils montent directement une adaptation sur glace à Broadway". Â
Par bonheur, Burton reçoit rapidement un script de Scott Rudin inspiré de La Légende Du Cavalier Sans Tête, une nouvelle de Washington Irving écrite au début du XIXème siècle. Enthousiasmé par le potentiel du récit mais aussi par le dessin animé que Walt Disney en avait tiré en 1949, le réalisateur décide se sauter sur l'occasion pour recouvrer une certaine liberté tout en étant à la tête d'un lourd budget. Avec l'aide d'Andrew Kevin Walker (auteur de Se7en : respect), il améliore le scénario pour injecter une dose d'Edgar Poe à l'ambiance générale et s'en va tourner le métrage en Angleterre, dans de somptueux décors gothiques. Des prises de vue en décors réels se mêlent à des séquences en studios sidérantes d'étrangeté, largement inspirées par Le Masque Du Démon de Mario Bava, donnant instantanément l'impression de plonger dans des peintures vivantes. Â
De toute évidence, Sleepy Hollow est un film qui porte l'empreinte de Tim Burton. Du début à la fin, le réalisateur ne cesse en effet de recycler l'imagerie de ses précédentes œuvres pour délivrer un splendide rêve éveillé empreint de sexe et de sang. L'épouvantail du début et l'architecture du village nous renvoient à l'Halloween Town de L'Etrange Noël De Mr Jack, l'effrayante sorcière de la forêt semble surgir tout droit de Beetlejuice, le vieux moulin est carrément repris du court-métrage Frankenweenie (flammes incluses)... D'une certaine manière, Sleepy Hollow marque la naissance de l'expression "Burton fait du Burton".
Il faut dire aussi que le cinéaste s'est entouré d'une équipe de fidèles qui ont largement contribué à sa renommé, à commencer par le compositeur Danny Elfman qui livre encore ici une partition ensorcelante où les chœurs occupent une large place. L'introduction est mystérieuse, le thème d'une beauté macabre, les scènes d'action sont balayées d'un souffle épique et d'une déferlante de violons... On pense souvent au score de Batman Returns, ce qui n'est pas le moindre des compliments (ni le moindre des hasards, Christopher Walken tenant une place importante dans les des films). Burton qui n'oublie pas au passage d'offrir à Lisa Marie un nouveau petit rôle enchanteur, laissant filtrer un amour démesuré pour sa dulcinée de l'époque à chacune de ses apparitions.
Mais Sleepy Hollow, c'est aussi et surtout une vibrante réactualisation moderne des fleurons de la Hammer Films, studio mythique spécialisé dans l'horreur gothique dont le réalisateur reprend tous les codes pour les distordre et les ajuster à son propre univers. Rien ne manque à l'appel, qu'il s'agisse de la créature vedette, du vieux cimetière brumeux à la vieille forêt aux arbres tordus en passant par l'église, dernier rempart contre le Mal. Burton aime ces vieux films et le prouve en embrassant une photographie proche du noir et blanc ou en utilisant de nombreux trucages à l'ancienne pour retrouver l'esprit de ces bandes horrifiques. Il offre même à Christopher Lee, devenu célèbre pour son interprétation de Dracula, un sympathique caméo en juge assimilé à un ange de la mort.Â
Ce début avec le juge marque par ailleurs le point de départ de la thématique principale de Sleepy Hollow : l'opposition entre la science et le fantastique. En pointant du doigt le spectateur et en le regardant droit dans les yeux, le personnage nous invite à nous débarrasser de notre vision rationnelle du monde pour pénétrer dans l'univers des ténèbres et de ses monstres. Preuve en est : le scénario s'est largement éloigné de la nouvelle de Washington Irving en modifiant entre autre la profession d'Ichabod Crane (le professeur est devenu détective) et en conférant une origine surnaturelle au Cavalier sans Tête là où le conte littéraire offrait une résolution à la Scooby-Doo (une scène employée dans le film mais bien plus tôt et en tant que gag). Au fil du récit, les certitudes du héros vont voler en éclat, les illusions vont semer le trouble jusqu'à un final sidérant où une main de cadavre nous invitera à plonger en Enfer (notons que c’est le même épouvantail de L’Etrange Noël qui nous accueillait au début du film). A bas les certitudes, vive les croyances ! Cédons à l'appel des morts-vivants !
Tim Burton applique la recette employées sur Batman et Mars Attacks! : par petites touches subtiles mais réelles, il pirate un divertissement classique (avec tout ce que cela suppose de défauts, comme un rythme haché et précipité ou encore une absence d'émotion face aux deux tourtereaux) pour offrir une Å“uvre subversive et profonde. Le village de Sleepy Hollow porte bien son nom : il est un monde endormi où les rêves prennent le dessus, où l'inconscient triomphe du conscient. Dans un sens, cette histoire est un prétexte à une psychanalyse des traumas du héros. Témoin ce flash-back de l'enfance d'Ichabod où le père, un fanatique religieux, tue la mère avant de disparaître en tournant le dos à la caméra, prenant l'apparence du cavalier sans tête. Témoin également ce final où la mauvaise mère et le mauvais père (incarné par l'Allemand) retournent dans les ténèbres d'où ils viennent. La famille en prend pour son grade. Elle est baignée dans les mensonges et le meurtre, liée par le sang, comme l'indiquent les touts premiers plans du film où la cire d'un testament est assimilées à de l'hémoglobine. Ce n'est qu'une fois qu'il sera débarrassé de ses fantômes que le couple pur formé par Johnny Depp et Christina Ricci pourra revenir dans le monde réel plongé sous la neige. Quand on connaît la symbolique de la neige dans la filmographie du cinéaste, il est facile d'en tirer la conclusion que Burton a vaincu ses démons passés et qu'il envisage l'avenir plus serein et apaisé.Â
Avec Sleepy Hollow, le grand Tim confirme la nouvelle orientation de sa carrière : il fait de moins en moins des films sur Burton mais plutôt des films de Burton. L'auteur devient progressivement illustrateur. Avec cette petite touche de génie en plus qui fait toute la différence. La reconnaissance du public et de la critique est enfin arrivée, achevant de rendre l'artiste de Burbank appréciable aux yeux de tous. Le marginal est accepté, le déclin peut réellement commencer...  Â
La Planète Des Singes
Si Mars Attacks! et Sleepy Hollow étaient des oeuvres qui semblaient taillées sur mesure pour Tim Burton, il n’en va pas de même pour le remake de La Planète Des Singes de Shaffner (parler de seconde adaptation du roman de Pierre Boule serait très exagéré, même si la fin est cette fois plus ou moins respectée). Passé entre les mains de réalisateurs aussi divers que Michael Bay, Chris Colombus, Ridley Scott ou Oliver Stone, le projet n’a jamais paru être autre chose qu’un prétexte de blockbuster mainstream, de ceux où un réalisateur n’est engagé que pour apposer une vague caution artistique à un produit étouffé sous les mémos des producteurs. Â
Il était donc inutile d’attendre une œuvre de la trempe d’Ed Wood ou Edward Aux Mains d’Argent. Burton, depuis ses deux précédents films, ne cherchaient déjà plus tant à parler de Burton qu’à faire du Burton, pliant des univers impersonnels (adaptation littéraire, cartes à collectionner) à ses propres obsessions. On pourra arguer que cela ne datait pas d’hier (Pee Wee et Batman étaient aussi des commandes que l’auteur avait su se réapproprier) mais les circonstances étaient alors différentes, Burton ne possédant pas à ses débuts la reconnaissance dont il jouit en 2001. On peut alors se demander ce qui a bien pu le tenter dans l’expérience de La Planète Des Singes, si ce n’est un désir d’offrir un divertissement estival friqué, parachevant ainsi son acceptation totale par un système qu’il reniait jusqu’alors.
Vu sous cet angle, cette nouvelle Planète Des Singes a tout du grand spectacle formaté pour ne pas défriser un public peut enclin à assister à une nouvelle farce cruelle à la Mars Attacks! ou à une réflexion trop dérangeante sur la frontière entre l’homme et l’animal (Batman Returns). Bien que bénéficiant d’un production design de toute beauté et de maquillages hallucinants signés Rick Baker, le film souffre d’une narration particulièrement molle qui revisite chaque étape du film de Schaffner (chasse aux humains, évasion, fuite jusqu’au lieu interdit) sans jamais proposer d’enchaînements logiques (pourquoi diable l’armée de singes ne pourchasse-t-elle pas le groupe d’humains après le sacrifice du père de la poupée Barbie de service ? Et d’où sortent tous ces gens autour des vestiges de l’Oberon ? Comment la rumeur a-t-elle pu gagner si vite les villages alors que le héros vient à peine de s’échapper ?).
Le souffle épique qui aurait pu se dégager de l’ensemble est également anéanti par une absence totale d’implication émotionnelle, la caractérisation des personnages humains flirtant avec le néant intégral. Entre un héros fadasse ne semblant jamais s’étonner de rien, une potiche de service amoureuse de Mark Wahlberg, un black qui ne sert à rien juste pour les quotas, un jeune mioche héroïque qui fait chier son monde (très à la mode cette année-là avec Le Retour De La Momie et Jurassic Park 3) et un papounet qui se sacrifie tellement il est gentil, impossible de trouver un quelconque intérêt à cette quête initiatique qui transcendera le monde entier (il est tout de même question d’un héros sauveur retournant à la Source située dans le "berceau de la Vie").
Conventionnelle, cette Planète Des Singes souffre également d’une mise en scène passe-partout qui ne laisse jamais exploser la bestialité des séquences d’action. Bien sûr, les millions de dollars du budget sont présents à l’image, le spectateur étant clairement convié à un voyage sur un autre monde guerrier et mythologique (voir le somptueux générique d’ouverture sur la musique tribale de Danny Elfman), peuplé de créatures à la démarche simiesque respectée. Mais la mise en scène de Burton se contente globalement de suivre platement l’action sans jamais transcender son sujet, sans jamais magnifier la nature hostile ni épouser de réel point de vue. On regarde passivement le beau mais froid héros tenter de rejoindre sa planète sans vraiment s’inquiéter pour lui. Là où l’artiste bataillait autrefois pour imposer ses choix artistiques, on sent ici une forme de renoncement voir une certaine paresse qui empêche constamment le film d’accéder au niveau de fureur et à la profondeur thématique dont il avait le potentiel. Â
Il n’est cependant pas interdit de penser que Burton a volontairement accentué la transparence du casting d’humains pour mieux laisser les singes voler la vedette. Impossible en effet de retenir une seule réplique de Mark Wahlberg après la séance, tout comme il est impossible de retenir un rire nerveux face à une Estella Warren aux lèvres gonflées qui s’en va bouder dans son coin à la fin. Deux heures durant, notre sympathie se porte logiquement sur les singes, véritables miroir d’une humanité qui se veut civilisée alors qu’elle demeure un prédateur redoutable pour elle-même. Cette idée de miroir apparaît dès la séquence d’ouverture, lorsqu’un astronaute se révèle être un singe en pleine simulation de vol avant de regarder son reflet (Mark Wahlberg) à travers la vitre du cockpit. Ce trompe-l’oeil est repris à la fin du film à l’occasion d’un clin d’œil au mauvais Le Secret De La Planète Des Singes, avec la venue messianique de ce même singe venant rappeler aux deux espèces qui s’affrontent qu’elles descendent toutes de l’animal et sont donc par essence sauvage. C’est ce que semblent indiquer les images de la Seconde Guerre Mondiale renvoyées par onde à la station orbitale du début. C’est également ce que tend à souligner l’épilogue où la métaphore sur la nature bestiale de l’Homme (le héros revient sur Terre et voit les hommes tel qu’ils sont vraiment) prend presque le pas sur le rebondissement SF facile. Enfin, comment ne pas reconnaître toute l’ironie jouissive de l’auteur quand celui-ci confie au Président de la NRA, Charlton Heston lui–même (héros charismatique mais antipathique du film original, rappelons-le), le rôle d’un vieux singe mourant dénonçant la barbarie stérile des armes à feu ?Â
Le lifting subit par La Planète Des Singes est certainement un rendez-vous manqué, gâché par des impératifs commerciaux (les humains qui parlent par exemple) vidant la moelle substantielle du récit au profit de jolies images trop lisses. Reste néanmoins une romance passionnante entre Léo et Ari (résurgence de la Sally de L’Etrange Noël qui acceptera d’être marquée au fer rouge pour revendiquer son humanité), questionnant avec subtilité la frontière entre l’homme et l’animal, entre l’amour et la haine. Une romance sabordée par les producteurs, certes, mais qui trouve la même conclusion que celle entre Batman et Catwoman : au final, quelque soit l’espèce dominante et l’Amour dont elle est capable, c’est l’animal – Thade – qui l’emportera toujours. Â
4. LA NORMALITÉ ENFIN A PORTÉE DE MAIN ?Â
Big FishÂ
Bien qu’il demeure son film le plus impersonnel, La Planète Des Singes fut le plus gros succès de Tim Burton à sa sortie. Un triomphe forcément rageant pour tous les fans du cinéaste l’ayant soutenu depuis ses débuts mais un triomphe sans grande gloire pour le cinéaste qui admit rapidement ne pas avoir apprécié cette expérience. Le besoin de revenir à une Å“uvre plus intime et à moindre échelle était indispensable et le résultat ne se fit pas attendre avec Big Fish. Et là , c’est le drame.Â
Pour comprendre ce qui cloche avec Big Fish, il faut tenir compte des bouleversements qu’a connu le réalisateur dans sa vie privée après son remake simiesque. Suite au succès rencontré (critique, public, professionnel), Burton a changé de compagne, remplaçant sa muse Lisa Marie par Helena Bonham Carter (est-ce vraiment un hasard si la passage de relais se fit sur le plateau de La Planète Des Singes dans lequel les deux femmes jouaient des créatures sensuelles ?). On se rappellera ainsi une photo promotionnelle qui circulait à l’époque et montrant Burton posant avec sa future femme maquillée et portant un singe dans les bras. Symbole d’une jolie petite famille vaguement décalée ? Que oui puisque le couple a effectivement eu un enfant, preuve ultime que le marginal de Burbank avait atteint à son tour ce joli petit bonheur tout à fait dans la norme sociale. Par ailleurs, la mort de son père à la même période va littéralement précipiter le bonhomme à s’interroger sur sa fonction de conteur, et plus particulièrement sur la transmission de l’imaginaire aux futures générations. Big Fish, ou l'auto-analyse d’un artiste s'engageant dans un nouveau cycle de sa carrière.
C’était évident. Et même inévitable. Comment un marginal pouvait-il continuer à se morfondre dans son romantisme gothique alors qu’il vient d’être accepté par tous et qu’il est désormais père ? Comment conserver l’essence de son cinéma (des héros condamnés à la solitude acceptant leur place parmi les freaks et exprimant leur mélancolie par la poésie de leur art ?) quand on est désormais comblé à tous les niveaux ? Impossible. Et il n’y aura pas de miracles : en deux heures et un film, Burton va apparemment renier la totalité de son Å“uvre. Â
Inspiré d’un roman de Daniel Wallace (ce qui rend bien risible le slogan promotionnel "sorti tout droit de l’imaginaire de Tim Burton" sur l’affiche), Big Fish prend pour héros un jeune homme qui s’appelle Edward, prouvant d’emblée que le réalisateur parle bien de lui (Edward aux Mains d’Argent, Edward Wood et maintenant Edward Bloom). Pas un être solitaire cherchant sa place dans le monde, non. Juste un garçon du sud bien propre sur lui, un WASP hyper sociable, beau et joyeux en toute circonstance. Un garçon qui incarne à lui seul le rêve américain, celui où n’importe qui peut s’offrir une belle voiture rouge et faire fortune en vendant des gadgets stupides. Une incarnation éclatante du bonheur niais, avec une jolie femme qui attend sagement à la maison que son mari rentre de la guerre. Une maison avec une jolie barrière blanche si possible. Une maison de banlieue comme celles qui étaient critiquées dans Edward Aux Mains D’Argent.
Difficile de reconnaître le Tim Burton que l’on aimait en assistant à cette succession de vignettes se voulant oniriques mais qui ressemble surtout à un téléfilm de l’après-midi sur M6. Lumière cotonneuse à gerber, morale insupportable avec un héros aidant les marginaux à s’intégrer à la société (mais est-ce si surprenant que ça compte tenu du fait que Burton a lui-même était accepté par tous ?), chantage lacrymal… Signe des temps qui changent : Edward Bloom repoussera les avances d’une jeune femme étrange pour succomber aux charmes d’une belle blonde sortie tout droit d’un dépliant pour l’American Way of Life. Mais le symbole le plus détestable du reniement de l’auteur est sans aucun doute cette séquence dans laquelle une maison délabrée et penchée est littéralement redressée afin d’être transformée en petite maison proprette d’Américain moyen.
Baignant dans un merveilleux de pacotille, Big Fish fait peine à voir parce qu’il est un film terriblement personnel. Tim Burton parle de lui comme il ne l’avait plus fait depuis Ed Wood et Edward Aux Mains d’Argent. On sent à chaque seconde qu’il dédit son film à son père décédé. On ne peut pas s’empêcher de remarquer qu’il accepte son rôle de conteur pour faire rêver son fils. On ne remettra donc pas la sincérité de Burton en cause mais il est difficile pour tous ceux qui ont grandis avec Batman Returns d’accepter que le porte-drapeau des marginaux soit désormais rentré dans le rang et face l’éloge de la normalité.
Une lecture en profondeur offre pourtant un éclairage nettement plus intéressant sur ce mélodrame dont le plus gros crime est d’être d’une platitude visuelle navrante. Tout sonne tellement faux dans Big Fish qu’un doute survient : Burton est-il a ce point heureux d'avoir triomphé de ses démons ? En effet, au-delà des thématiques encore assez mal maîtrisées (Charlie Et La Chocolaterie sera nettement plus abouti dans sa réflexion sur la place que la famille occupe dans la création), il y a dans Big Fish la volonté indéniable de fuir la réalité. Maintenant que Burton a accédé à ce qu'il recherchait douloureusement, il semble s'apercevoir que ce bonheur est d’une banalité affligeante et tente de le fuir à travers des histoires plus folles tellement ressassées qu’on finit par envisager leur véracité. Bien entendu, cet éloge du triomphe de l’imaginaire sur la réalité est entaché par la nature de cet imaginaire (sentant le versant mièvre de Zemeckis à plein nez) mais difficile de ne pas envisager le film comme l’aveu d’un Burton s’ennuyant dans cette vie rangée et préférant la réécrire, seule manière pour lui de rester au contact des freaks. Des freaks qui se révèlent tous bien moins extraordinaires que prévu lors de l’enterrement final, comme si Burton sentait que son univers de marginal n’existait plus que dans son esprit.Â
Film désabusé, Big Fish ? Sans doute. L’espoir que le Tim Burton qu’on aimait revienne un jour n’était heureusement pas encore mort. Car même si la maison penchée finit par être redressée et retapée, les ronces et la poussière finiront par reprendre leur droit et la sorcière qui l’habite retrouvera sa place. Une parcelle du Burton d’autrefois subsiste, infime et noyée sous la guimauve mais avec un vaste champ d’exploration s’étendant à ses pieds.  Â
Charlie Et La ChocolaterieÂ
Deux films, deux échecs artistiques. Le Tim Burton de Batman Returns semblait tellement loin en cette année 2005 que ses plus fervents défenseurs (dont je fais partie) n’attendaient plus grand-chose de lui. Après un blockbuster bancal et un mélodrame placé sous le signe du reniement, l’ancien marginal de Burbank semblait être devenu ce qu’on redoutait tant : un adulte responsable et respectable. Devenu sage et consensuel, son cinéma était vidé de sa poésie macabre et de son ironie mordante au point qu’on pouvait légitimement craindre le pire d’un Charlie Et La Chocolaterie étalant sa vulgarité dans une bande-annonce hystérique et criarde.Â
La surprise n’en a été que plus grande puisque, sans atteindre les sommets d’ Edward Aux Mains d’Argent, cette nouvelle adaptation du roman de Roald Dahl a le mérite d’être à la fois fidèle à son modèle littéraire et de bénéficier d’apports magnifiques de la part du cinéaste. Qu’on ne s’y trompe pas : si Burton prolonge les nouvelles thématiques exposées dans l’horrible Big Fish, il le fait avec bien plus d’honnêteté et surtout avec bien plus de talent. Exit le héros ultra sociable incarnant le rêve américain, place à un Willy Wonka gentiment dérangé, authentique freak offrant du rêve aux gens via ses créations gustatives et en proie à des questionnements fondamentaux sur la finalité de son œuvre et son inspiration. Pas de doute, Burton parle à nouveau de lui avec une sincérité qu’on avait pas vu depuis Ed Wood. Preuve en est la présence dans le rôle principal de Johnny Depp, véritable alter ego du cinéaste scellant déjà avec lui sa quatrième collaboration.
La note d’intention est affichée dès le logo de la Warner aux reliefs dorés évoquant les fameux tickets d’or du film, comme si l’invitation de Willy Wonka était aussi celle de Burton aux spectateurs. "Venez vous émerveiller de mon univers décalé et enchanteur" semble nous dire le cinéaste, conscient qu’une large partie de ses nouveaux fans n’a retenu que le côté merveilleux de ses images. Le générique nous plonge alors à l’intérieur de la chocolaterie où nous suivons la création d’une tablette de chocolat par une succession de machines bizarres. Ce monde d’inventions absurdes rappelle autant celui du Créateur d’Edward Aux Mains D’Argent que le monde coloré de Pee Wee et rassure instantanément sur les ambitions du cinéaste qui n’avait pas été aussi inspiré depuis bien longtemps.   Â
Burton ne cherche pas à mentir : les personnages du film visitent la Chocolaterie comme les spectateurs visitent l’univers du réalisateur. Le film est comme un parc d’attraction où l’on passe de décors somptueux (dont un fortement inspiré du Magicien D’Oz) en spectacles son et lumière (de délirants virages vers la comédie musicale pop) sans oublier quelques sensations fortes (une virée en bateau, une chute en ascenseur). Forcément, cela manque d’enjeux dramatiques solides (Charlie ne fait rien : il gagne) et l’ensemble s’apparente parfois à un succession de tableaux magnifiques. Mais Burton semble tellement conscient de ce qu’il est devenu aux yeux du public et de la critique que Charlie Et La Chocolaterie apparaît comme une œuvre intègre où prime d’abord le plaisir des yeux, dans une sorte de Disneyland sous acide où le kitsch le plus complet (comédie musicale, esthétique pop, style kawai) et le rétro futurisme côtoient le baroque le plus inquiétant.
Bariolé et apparemment trop sucré, le métrage de Burton laisse cependant vite deviner les réelles intentions de l’auteur lors d’un petit spectacle de marionnettes chantantes qui finiront carbonisées, symbole d’une enfance dégénérée. Dégénérée parce que quatre des enfants ayant gagné une visite dans la fabrique de Willy Wonka sont des petits monstres totalement façonnés par leurs parents les laissant faire tout et n’importe quoi. Il serait peut être exagéré de voir un propos réactionnaire dans les punitions que Wonka leur infligera car il ne fustige pas tant certaines qualités ou certains défauts (gourmandise, curiosité, ingéniosité) que leur absence totale d’imaginaire. Le glouton n’est puni que parce qu’il est incapable de savourer les créations de Wonka, Veruca est victime de ses caprices stériles (avoir un animal sans vraiment l’apprécier), le jeune adepte de jeu vidéo ne doit sa présence dans l’usine que parce qu’il est ingénieux et non à un rêve de gosse (il se fiche totalement de la chocolaterie et trouve totalement débile ce qu’il voit)… Â
Willy Wonka ne condamne d’ailleurs pas tant les enfants que leurs parents, principaux responsables de cet absence de rêve et qui semblent façonner leur progéniture à leur image. Le fait de transformer certains des gamins en freaks est-il vraiment une punition pour eux (les enfants transformés s’accommodent par ailleurs très bien de leur nouvelle apparence, seuls les parents étant réellement dérangés) ? Ne doit-on pas plutôt voir là une façon cruelle de transformer ces personnages antipathiques en authentiques créations bizarres les rendants plus intéressantes ? (le débat reste ouvert même si, pour ma part, j’opterai pour une troisième hypothèse, en rapprochant ces punitions au sort réservé à Pierce Brosnan et Sarah Jessica Parker dans Mars Attacks! ou à la détresse affective du Pingouin de Batman Returns).
La réponse se trouve sans doute dans l’ajout scénaristique le plus important par rapport au roman, à savoir le passé de Willy Wonka et ses relations avec son père. Un père castrateur qui interdisait à son jeune fils de découvrir les saveurs des bonbons et qui, par la punition et la privation, a permis à Wonka de développer un esprit créatif. On est donc pas loin de Sleepy Hollow dans lequel la figure du père d’Ichabod incarnait déjà l’ennemi de la magie et du merveilleux. La différence ici, c’est simplement que la réconciliation est désormais accessible. Burton est heureux dans sa nouvelle vie de famille et il semble vouloir remercier son père (ou plus largement ses parents) pour la vie banale qu’il a eut plus jeune, comme si son romantisme gothique n’aurait jamais pu naître sans un contexte social étouffant. La réconciliation finale arrivera d’ailleurs par l’intermédiaire de Charlie, seul gamin à savourer chaque morceau de chocolat (donc de rêve) et à apprécier les inventions de Wonka pour leur absence de logique ou de finalité autre que la créativité. De là à y voir l’aveu de Burton remerciant son fils pour lui avoir redonner l’inspiration artistique, il n’y a qu’un pas largement franchi par la simple présence d’Helena Bonham Carter dans le rôle de la mère de Charlie.Â
Le plan final du film ne trompe pas : Tim Burton a évolué mais Tim Burton va bien. Il n’est plus un individu totalement en marge du système mais il demeure cet artiste fou capable de nous émerveiller avec ses inventions farfelues et ses contes merveilleux. La différence, c’est qu’il a désormais une famille et que c’est grâce à elle qu’il a retrouvé l’inspiration. Le happy end n’est plus inaccessible. Un peu comme si Edward avait pu finir sa vie avec sa muse Winona Ryder. Et Charlie Et La Chocolaterie de s’achever sur l’image très Dickens d’une maison penchée autrefois marginale (coupée du reste de la ville) et intégrée à un monde fantastique sur lequel tombe une neige artificielle. La même neige qui clôturait Edward Aux Mains D’Argent ou Sleepy Hollow.  Â
Les Noces Funèbres
Lancée parallèlement à celle de Charlie Et La Chocolaterie, la production des Noces Funèbres avait de quoi soulever quelques inquiétudes auprès des fans de Burton de la première heure. Avec ses premières images semblant annoncer un Etrange Noël De Mr Jack 2, ce nouveau métrage en stop-motion pouvait aussi bien être le retour aux sources tant attendu que la preuve du manque d’inspiration d’un cinéaste condamné à ressasser son imagerie gothique. Au final, le film permet surtout de faire le bilan sur l’évolution de l’artiste en même temps qu’il sonne comme un "au revoir" assumé jusqu’à l’accolement du nom de l’auteur au titre du film. Â
Là où Charlie Et La Chocolaterie surprenait par une look bariolé riche en trouvailles visuelles, Les Noces Funèbres revient à ce qui guettait déjà Sleepy Hollow, à savoir un recyclage de poncifs esthétiques affadis par un profond désir d’acceptation par le système hollywoodien. Ce même système autrefois combattu avec hargne dans des films comme Batman.
Bien sûr, Les Noces Funèbres n’a aucun mal à faire valoir ses arguments face à des produits numériques sans âme comme Shrek ou Chicken Little. L’animation image par image est remarquable de fluidité (les visages en silicone et les mécanismes placés à l’intérieur des têtes y sont pour beaucoup), la photographie est magnifique (superbe travail de Pete Kozachik sur l’opposition entre le monde monochrome des Vivants et celui, coloré, des Morts) et certaines séquences sont empruntes d’une puissante poésie macabre rappelant les grandes heures du cinéaste, notamment celle de résurrection de la Mariée. Pourtant, la magie ne prend pas. Car il y a quelque chose de trop lisse et trop propre dans ces Noces Funèbres, quelque chose qui l’empêche de faire pleinement vibrer le spectateur. Tout semble si calculé et si prévisible que le film ne suscite qu’une indifférence polie voire un certain ennui. Impression renforcée par l’inévitable comparaison avec L’Etrange Noël De Mr Jack, film d’animation infiniment plus fou et inventif et dont Les Noces Funèbres semble d’ailleurs être un remake. Il suffit de comparer la vision du Mondes des Morts dans les deux métrages pour mesurer à quel point Burton capitalise sur son imaginaire tout en l’appauvrissant (décors moins riches, personnages décalés moins nombreux, humour noir et mauvais goût constamment refreinés…).
Le scénario (inspiré d’une légende Russe évoquant des hommes déboulant dans des mariages pour enterrer la mariée dans l’Europe de l’Est antisémite) n’arrange guère les choses puisqu’il se contente de suivre un cheminement classique, dépourvu d’audace et de surprises. Le script se résume à une seule bonne idée (une mariée morte attendant un mari) et jamais le film ne prend de virage inattendu. Quand la Mariée découvre que Victor aime Victoria, elle entre dans une colère noire aussitôt balayée par une chanson mélancolique. Quand Victor décide finalement de s’empoisonner pour une femme morte ou que le vil méchant de l’histoire menace de tuer Victoria, on sent pointer des enjeux dramatiques aussi tragiques qu’excitants. Mais une fois de plus, ils sont avortés afin que la narration ne dévie pas des rails du conventionnel (le mariage arrangé entre Victor et Victoria ne semble pas si grave vu qu’ils tombent instantanément amoureux l’un de l’autre), la condensation de l’action sur une seule journée renforçant par ailleurs l’impression d’assister à un grand surplace général.
Signe des temps qui changent, Les Noces Funèbres ne soulève pas le même rejet que l’écoeurant Big Fish (détail amusant : les étouffants parents de Victor sont dans le commerce de gros poissons. Note d’intention consciente ?). Burton ne se renie pas, il nous montre juste qu’il a évolué. La construction en miroir avec L’Etrange Noël De Mr Jack ne fait d’ailleurs qu’appuyer les profonds bouleversements dans la vie du cinéaste. On prendra pour exemple une séquence présente dans les deux films : celle du héros rencontrant un monde magique. Dans les deux cas, nous avons un personnage principal au corps filiforme, rongé par des tourments, ne se sentant pas à sa place dans sa ville et se perdant dans une forêt où un arbre fait office de passage vers un monde qui confirmera sa nature de marginal. Deux séquences à priori identiques, donc, mais où la symbolique finale semble inversée : Victor parviendra à comprendre le Monde des Morts (Victor partage la même mélancolie autour d’un piano) là où Jack ne parvenait qu’à gâcher la Fête de Noël. De même, Victor tente d’échapper à un mariage (symbole de la norme sociale qui plus est imposée par ses parents) là où Jack tente de fuir son univers de monstres (donc de freaks) dont il se lasse. Â
A la mélancolie romantique du dénouement de L’Etrange Noël (Jack/Burton accepte de rester à sa place à Halloween Town où il ne s’amuse plus) succède cette fois un happy end : Burton se libère de certaines obsessions (la Mariée s’envolant dans une nuée de papillons) et les Morts redonnent de la couleur aux Vivants. Le réalisateur semble accepter la norme, sans regret, avec une épouse à ses côtés. Il y a si longtemps qu’il la recherchait qu’il était presque inévitable qu’il finisse par y accéder. Reste néanmoins à savoir s’il s’y plait tant que ça. En effet, l’opposition entre le monde festif des morts et celui, terne et plat, des vivants (opposition déjà présente dans Beetlejuice) n’aura échappé à personne et laisse songeur quand à l’avenir de la carrière de l’ancien marginal de Burbanks. D’autant plus si l’on prend la peine de relever à nouveau la présence symbolique de Johnny Depp dans le rôle principal. Â
Peut-on peut vraiment en vouloir à Burton d’avoir changé avec le temps ? Lui qui s’opposait autrefois au géant Disney est devenu Disney lui-même mais en semble parfaitement conscient. Dans L’Etrange Noël De Mr Jack, Halloween Town ne parvenait pas à comprendre ce qui faisait l’essence de Chrismas Town, entraînant une choc fracassante entre les deux mondes. Dans Les Noces Funèbres, les morts n’effraient pas longtemps les vivants et leur rencontre marque des retrouvailles heureuses. Les morts sont acceptés tout comme le cinéma de Burton l’a été par la critique et le public. De désespoir, de violence et de pulsions morbides, il n’en est plus question.Â
Dans un sens, c’est bien le cadavre (Corpse’s Bride) du cinéma de Burton que l’on contemple ici. Magnifiquement animé, certes, mais vidé de ce qui faisait autrefois sa force, à savoir l’émotion profonde, de celle qui change une vie. On regarde alors son film avec tristesse et tendresse, en repensant à cet univers qu’on a tant aimé autrefois, il y a bien longtemps. Si Les Noces Funèbres est loin d’être un navet infâme, il marque simplement la dernière étape du deuil pour les fans du cinéaste.
5. SWEENEY TODD : LA RÉSURRECTION ?Â
Il faut parfois se perdre pour mieux se retrouver. Si Burton ne semble plaire depuis quelques années qu’à un nouveau public souvent interloqué d’apprendre que l’auteur de Big Fish s’est fourvoyé dans deux Batman, les admirateurs de la première heure n’avaient plus grand-chose à attendre du bonhomme, ses dernières Å“uvres ayant inspiré un rejet violent ou, pire, une indifférence totale. Aussi, mieux valait-il ne rien attendre de Sweeney Todd, tragédie musicale dont les premières images diffusées sur le Net n’évoquaient qu’un énième recyclage d’une esthétique gothique désormais chic et toc. Quand on attend plus rien d’un artiste, on ne peut qu’être surpris. Malheureusement, ce n’est pas forcément en bien.Â
A la vue de Big Fish et des Noces Funèbres, on pouvait légitimement se demander si Burton était réellement heureux de faire encore du cinéma. Sa mise en scène devenue étonnamment plate ne semblait plus que souligner l’opposition entre un monde des rêves/morts amusant et un monde réel/normatif ennuyeux. Comme si l’auteur semblait déjà se lasser de cette vie privée bien rangée et qu’il admettait que le succès avait eu tendance à la ramollir (seul Charlie Et La Chocolaterie proposait une vision plus inspirée et décalée). Aussi, il n’est guère surprenant de constater que Sweeney Todd débute exactement par le même générique que Charlie Et La Chocolaterie, en plongeant dans un décors factice (la 3D est remplacée par de l’After Effect assez laid) où l’on suit la fabrication d’une gourmandise (une plaquette de chocolat, une tarte) symbolisant un plaisir cinématographique crée par le réalisateur. La différence se situe simplement dans la perversion d’un univers, le monde savoureux et joyeux de Charlie laissant place aux tons dépressifs du Diabolique Barbier De Fleet Street. Après les délires colorés, retour à une photo délavée proche du noir et blanc. On pourra suggérer que Burton ne cherche jamais qu’à exploiter sans trop se fouler des codes visuelles affadis depuis bien longtemps. Pourtant, c’est surtout la sensation que Burton tente de redevenir Burton qui prédomine après les deux heures de film. On ne s’étonnera donc pas que le récit débute par un retour, celui de Johnny Depp (encore lui, éternel alter ego du cinéaste) dans un Londres ténébreux, comme si Burton évoquait son grand retour dans des territoires cinématographiques obscurs.    Â
Cette idée finira par s’imposer au fur et à mesure que l’on découvre le personnage de Sweeney Todd, barbier ayant autrefois vécu dans un parfait bonheur familial (le couple présenté dans les flash-back n’est d’ailleurs pas sans évoquer l’épilogue de Sleepy Hollow) et qui en aura été arraché jusqu’à devenir une bête de la nuit ne dormant jamais (voir les cernes constamment marquées). Une séquence ne manquera pas d’étayer l’hypothèse que Burton tente avec ce film de retrouver sa grandeur passée. Il s’agit de celle où Sweeney retrouve ses précieuses lames de rasoir, renvoie explicite à Edward Aux Mains D’Argent. "Désormais, mon bras est entier". Le jeu de massacre peut commencer. Impitoyable, implacable. Comme si le réalisateur éliminait un à un les poncifs dont il se sent prisonnier. Une sorte de film suicide où l’on sent véritablement le mal être d’un auteur voulant à tout prix retrouver la rage qui animait autrefois son cinéma et qui s’était étiolé depuis son engoncement dans une vie de famille.
La démarche est-elle consciente ? On peut se poser la question à la vision d’une séquence où Helena Bonham Carter (pour la quatrième fois dans le rôle de la tentatrice risquant d’écarter le héros de son véritable amour) fantasme sur une petite vie de couple niaiseuse sortie tout droit de Big Fish tandis que Sweeney ressemble à une tâche d’encre salissant le tableau idyllique. Comme si Burton admettait que sa nouvelle vie rangée et proprette l’avait plongé dans une profonde dépression et qu’il fallait qu’il en sorte. Quitte à employer la manière forte, à en juger le sort funeste réservé à sa femme à la ville. Notons par ailleurs un changement d’importance par rapport à la pièce d’origine : ce n’est plus un adolescent qui tuera Sweeney Todd mais un enfant. Enfant permettant au passage de renforcer l’instinct maternel de Mrs Lovett. La famille ne semble plus être ce nouveau berceau de l’imaginaire que vantait Charlie Et La Chocolaterie. Elle est (re)devenue un frein, un mensonge, une entrave au bonheur qu’il faut tuer avant qu’elle ne nous tue.Â
Si l’on pourra longuement disserter sur ce que Tim Burton semble nous dire de lui à travers l’histoire de Sweeney Todd (nul doute que certains d’entre vous ne manqueront pas d’alimenter le débat en me contredisant ou en offrant une lecture différente de ses derniers films), il est en revanche nettement plus difficile de nier l’extrême pauvreté visuelle de l’objet désespérément désincarné. Au-delà d’une bande originale difficile d’accès (aussi insupportables pour les uns que sublime et complexe pour les autres) et qui compose environ 90% des dialogues, il y a surtout une absence flagrante d’inspiration esthétique qui plombe une narration déjà peu excitante. A l’exception de l’étage où Å“uvre le barbier diabolique (avec une grande fenêtre évoquant la même ouverture dans le toit du château d’Edward Aux Mains D’Argent), strictement aucun décors ne marquent les esprits, tous ressemblant à des pièces vides avec quelques objets vaguement dispersés dans l’espace (une malle, une table, une chaudière…). Jamais les rues de ce Londres crépusculaire ne semblent vivre, aucun malaise ni magie typiquement XIXème siècle ne traversant les images. Pire : Burton semble incapable d’insuffler le moindre rythme à sa narration, les nombreux passages musicaux se résumant à des plans fixes cadrant les comédiens en gros plans. Le réalisateur ne sait pas quoi faire ses personnages dans ces espaces vides, renforçant la sensation d’assister à du théâtre filmé pour petit bourgeois. En comparaison, même Les Noces Funèbres paraissait plus vivant et inspiré alors qu’il n’était déjà que le fantôme de l’esthétisme de l’artiste. Si on ajoute à cela des effets numériques proprement dégueulasses (le générique d’ouverture, les vues sur les toits Londoniens, un plan séquence traversant les rues de la ville…), un recul constant vis-à -vis des égorgements très Grand Guignol (alors qu’ils sont censés traduire toute la folie et la douleur de Sweeney Todd) et une approche timide de certains évènements horribles (les années passée en prison par le personnage principal, le viol de sa femme, la préparation des tartes à la chair humaine…), on pourra arguer la résurrection artistique tant vantée un peu partout ne sera pas encore pour aujourd’hui. Â
L’émotion qui parvient à nous étreindre à la fin de la projection ne découle alors pas tant du sort tragique réservé au barbier aveuglé par la colère qu’à l’étrange impression d’avoir assisté à la mise à mort de Burton lui-même. Une mort qu’il semble accepter, à l’image de son alter ego cinématographique, et scellée par un baiser de sang identique à celui qui marquait le retour dans l’abîme du Cavalier sans Tête à la fin de Sleepy Hollow. La caméra s’éloigne alors du cadavre de Sweeney Todd comme si le spectateur quittait pudiquement la dépouille du cinéaste tenant encore les restes figés de son bonheur passé (Lisa Marie ?). Repose en Paix Tim Burton.