PIFFF 2012
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- Dossier par Guénaël Eveno le 3 décembre 2012
Ze rookie horror picture show
Du 16 au 25 novembre dernier, le Gaumont Opéra Capucines a ouvert ses portes au Paris International Film Festival pour la deuxième année consécutive.
Crée à l’initiative de l’association Paris cinéma Fantastique en partenariat avec le magazine Mad Movies en 2011, le PIFFF a bénéficié d’une bonne réception pour son premier volet. Ce qui lui a permis de revenir en doublant la mise cette année. Plus de jours, plus de films et une organisation efficace pour un événement aussi jeune. Au total dix jours à se balader dans le cinéma MAD, à cotoyer fantastique, SF et horreur parmi une sélection plus ou moins inspirée et quelques classiques indétronables. Les noctambules auront ainsi pu profiter d’une nuit Clive Barker lors de laquelle fut diffusé le très attendu director’s cut de Cabal. Dario Argento et Peter Jackson furent également à l’honneur avec les diffusions du giallo Quatre Mouches De Velours Gris et de l’irremplaçable Bad Taste dans des copies plus qu’honorables.
Nous pûmes visionner une poignée de courts-métrages fantastiques talentueux en prélude à certaines séances, auxquels vinrent s’ajouter ceux de la compétition française et internationale.
Coté longs, la sélection fut d’une diversité qui valida néanmoins une tendance à la sclérose du genre, engoncé dans le maniérisme et dans des thèmes trop récurrents. Entre le très couru cinéma fantastique hispanophone et la présence de pas moins de trois anthologies, les bonnes surprises auront été trouvées quelque part entre le passé et le futur, par le retour de réalisateurs confirmés et l’arrivée des vertes terres d’Irlande d’une nouvelle garde qui pourrait tenir la dragée haute à celle qui nous vint d’Angleterre lors des années 2000. Sans plus attendre, voici quelques impressions du PIFFF de cette année 2012.
LA FIN JUSTIFIE LES MOYENS
Le festival s’est ouvert sur le très attendu John Dies At The End de Don Coscarelli. La rareté et la qualité des pelloches du réalisateur des Phantasm et de Bubba Ho-Tep ainsi que le roman adapté ne pouvaient que rendre fébrile l’attente d’amateurs de fantastique inventif. John Dies At The End est à l’origine un webserial écrit par David Wong, publié en 2004, qui trace l’histoire de l’homonyme de l’auteur et de son pote John, embarqués dans des histoires rocambolesques par le biais de la soy sauce, une drogue qui ouvre leur perception sur l’univers paranormal qui les entoure. Comme dans le récit original, le film voit Dave conter ses aventures au reporter Arnie (Paul Giamatti). D’une after de concert qui dégénéra en massacre annonciateur de l’apocalypse à sa découverte d’un monde parallèle en passant par son lien avec l’étrange Dr. Marconi (le génial Clancy Brown, qui semble attirer les rôles de prédicateurs illuminés), la charmante Molly et Bark Lee, canin au destin exceptionnel, Dave tente de convaincre un interlocuteur non dénué de cynisme que son histoire n’est pas seulement de la fiction rentable à la publication.
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Coscarelli parvient à retranscrire avec grande aisance des aventures improbables tout droit sorties de la crête d’un mugwump qui empruntent autant au Festin Nu de Cronenberg / Burroughs qu’à L’Antre De La Folie de John Carpenter, tout en suivant le chemin de la comédie horrifique. Si on peut regretter de ne pas retrouver dans ce délire le coté attachant de Bubba Ho-Tep, Don Coscarelli lie le vraisemblable et le "démoniaque" avec la même maestria qu’il avait fait cohabiter cauchemar et réalité dans la série des Phantasm. Il nous réserve également une poignée de créatures qui feront dresser les poils. On se retrouve entraîné dans un ride imprévisible dont la cohérence se construit au fur et à mesure du visionnage et qui emporte l’adhésion du spectateur dans une euphorie communicative. Pari gagné.
VERTS DE PEUR
D’ordinaire en retrait sur le fantastique, l’Irlande frappe fort cette année avec deux films dans la compétition officielle, et pas des moindres. Un slasher et un thriller fantastique urbain qui en remontraient aux aînés.
Avant d’atterrir au Gaumont Capucines, Citadel a déjà fait forte impression au marché du film de Cannes et à l’Etrange Festival. Le premier long de Ciaran Foy narre le calvaire de Tommy, jeune homme devenu agoraphobe depuis l’agression de sa femme par un gang de son immeuble. Il doit élever seul sa fille et se préparer à une nouvelle attaque des jeunes capuchards, bien décidés à enlever le bébé pour achever ce qu’ils ont commencé. Film d’auto-justice avorté baigné dans la paranoïa, Citadel glisse dans un raid flippant qui combine une ambiance à la Silent Hill et un contexte urbain étouffant et délétère. Transportés dans la psyché du jeune père, la menace sans visage se mue en des hordes d’enfants monstres, anciennes victimes devenus bourreaux qui reconnaissent leurs propre victimes en flairant leur peur. On tremble pour le futur de son enfant et on appréhende la tournure des événements, comme il suit bon gré mal gré la voie d’un prêtre aux idées radicales et de son étrange gamin miraculé. Mûri par Ciaran Foy suite à sa propre agression, Citadel traite de l’insécurité urbaine et de la peur de l’autre d’une manière aussi évidente qu’inédite, au point qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé auparavant. Les meilleurs films d’horreur ne sont-ils pas ceux qui parviennent le mieux à retranscrir les peurs contemporaines ? A ce niveau, Ciaran Foy signe un coup de maître et parvient à présenter avec ce premier effort un des seuls films vraiment malsain de ces dernières années.
Dans un tout autre genre, Stitches de Connor MacMahon (réalisateur de Dead Meat, avec ses vaches carnivores) voit un clown lubrique et paillard revisiter la grande tradition du slasher 80’s. Bien décidé à se venger des têtes blondes qui ont entraîné sa mort lors d’un anniversaire, le joyeux drille décide de s’inviter à la teuf d’anniversaire du même gamin quelques années plus tard pour en finir avec la mauvaise troupe. Le groupe de jeunes (qui est joué par de vrais adolescents, dont Tommy Knight, le gamin de la série Sarah Jane Adventures) a bien grandi, n’entretient plus les mêmes liens et chacun s’est trouvé traumatisé à sa façon par la mort du clown.
Il ne faut pas se fier aux apparences, Stitches n’a qu’une lointaine parenté avec le très bon Il Est Revenu de Stephen King, offrant des cotés bien plus divertissants et clairement tournés vers le décimage de la jeune garde qui a fait la gloire du slasher. Connor MacMahon fait des allers-retours entre fantastique horrifique franc du collier (une étrange cérémonie, une résurrection très visuelle) et burlesque lié à la condition de clown d’un boogeyman qui rivalise d’ingéniosité pour rendre le spectacle macabre divertissant. Pour ne rien gâcher, la campagne irlandaise fait un beau décor et la petite bande de pote en sursis parvient à retenir l’intérêt par de petites caractéristiques. On se surprend à anticiper les morts avec un intérêt qui dépasse le simple bodycount, comme cela n’était plus arrivé depuis les débuts de Destination Finale.
DES BONS, DES BRUTES ET DES TRUANDS
Derrière son titre pompeux, Dragon Gate : La Légende Des Sabres Volants n’est rien de moins que le nouveau film de Tsui Hark, adaptation de L’Auberge Du Dragon, déjà porté à l’écran par Raymond Lee (et Tsui Hark !) en 1992 et plus anciennement par King Hu en 1966. Après le très bon Detective Dee qui marquait son retour en Chine, le réalisateur nous livre un encore meilleur wu xia pian, bien plus libre et anarchique que l'adaptation des aventures du juge Ti. Chevaliers, ennuques et truands s’y allient ou s’affrontent dans un contexte politique instable et se retrouvent sur la trace d’un trésor. Tsui Hark ne peut pas s’empêcher de faire marcher la parité. Pour chaque catégorie, un homme renvoie à une femme et les personnages féminins de Dragon Gate sont le premier point fort du film. L’humour, l’aventure, la romance et l’épique y sont parfaitement dosés et garantissent un divertissement haut de gamme que quelques CGI voyants ne parviennent pas à gâcher.
Projeté en 3D, le film acquiert une dimension spectaculaire supplémentaire, qui prouve que la technologie peut tout à fait s’épanouir avec un réalisateur qui arrive à la penser. Taillé pour être vu au cinéma dans les meilleurs conditions, Dragon Gate ne sortira malheureusement pas en salles dans nos contrées.
SOUTH AMERICAN BAD TRIP
Il paraît qu’il se passe quelque chose dans le cinéma de genre sud-américain. Les années 2000 avaient confirmé ou révélé Guillermo Del Toro, Alfonso Cuaron et Fernando Meirelles, trois réalisateurs qui ont su frapper dans la bonne direction, alliant chacun à leur manière la brutalité à des élans romanesques, voire tragédiens, s’inspirant d’autres cultures pour les passer au crible de leur sensibilité. Ces auteurs ont pu s’exporter pour cette raison. Le Mexique, le Brésil, l’Uruguay ou le Pérou ont depuis livré une nouvelle relève versée dans les récits du quotidien se voulant authentiques et dont les films hantent les festivals.
Here Comes The Devil de Adrian Garcia Bogliano et The Cleaner d'Adrian Saba sont de nouveaux exemples de ce cinéma qui s’étire où la sinistrose côtoie la répétition, ne donnant parfois sur des dizaines de minutes qu’une seule idée et absolument aucun souffle. Dans Here Comes The Devil, un couple décide de faire justice pour venger ses enfants qu’ils croient avoir été violés par un pédophile après une virée sur la colline, mais le problème des bambins est autrement plus fantastique. Entre thriller, polar et film de possession avec une grosse tendance à ne rien vouloir choisir, le film n’explore que les territoires balisés. On ne retiendra qu’une scène d’auto-justice particulièrement horrible et l’étrange fascination exercée par une grotte qui rappelle vaguement les forces de la nature telles que Peter Weir les avait suggérées dans Pique-Nique A Hanging Rock.
The Cleaner conte l’histoire d’Eusebio, un homme apathique et peu loquace chargé de nettoyer les rues alors qu’une pandémie mortelle supprime un à un les habitants. Il rencontre un gamin dont la mère a succombé à l’infection. A la recherche de sa famille encore vivante, il va se lier d’amitié avec ce jeune compagnon aussi bavard que lui. The Cleaner n’a rien de fantastique, sauf si l’on considère une infection comme un élément surnaturel. On peut donc se demander quelle est sa place au sein de ce festival. Mais le nœud du problème est autrepart. Adrian Saba choisit de filmer l’ennui du quotidien par une succession de scènes ennuyeuses, comme si aucune autre méthode ne pouvait permettre de rendre ce sentiment. L’importance du langage corporel (à défaut de mots) et les quelques motifs visuels (le carton sur la tête du gamin) pourraient orienter le film vers le muet, le transportant vers les hauteurs du Kid de Chaplin ou certaines oeuvres de Takeshi Kitano (L’Eté De Kikujiro, A Scene At The Sea). Malheureusement, le surplus de retenue, l’aridité et l’absence de recul humoristique font que rien d’attachant ne ressort de cette relation avant la dernière partie du film. Les ultimes minutes, émouvantes, témoignent de l’affection du nettoyeur pour le gamin. Mais il aura fallu près d’une heure et demie pour faire naître ce semblant d’émotion.
HANTE AU LOGIS
Aux cotés des quelconques ABC’s Of Death et Doomsday Book, Horror Stories parvient à sauver la sélection d’anthologies horrifiques de ce PIFFF. Cette production sud-coréenne utilise de manière astucieuse la structure des contes des mille et une nuits.
Un tueur retient chez lui une future victime. Mais lorsqu’il confie à notre Shéhérazade moderne qu’il cherche à se faire peur pour pouvoir dormir, elle accepte de lui raconter quatre histoires terrifiantes, qui parlent toutes de prédateurs. Le premier segment, réalisé par Jung Bum-Sik, se déroule dans un immeuble où deux gamins livrés à eux-mêmes devront échapper à un vilain tueur et à une pénultième incarnation de la fille au longs cheveux sales. Le réalisateur sait où placer sa caméra et semble prendre plaisir à jouer avec les nerfs du spectateur, d'autant qu’il s’applique à dénoncer un type de prédateur social moderne dans un final qui ne manque pas d’ironie. Le second segment raconte l’affrontement entre un psychopathe et une hôtesse de l’air dans un avion. L'opus 3 nous introduit à une famille atypique : la fille, qui doit épouser un homme de pouvoir, est victime des complots de sa belle-mère et de sa demi-sœur qui vont tout faire pour lui ravir son prince charmant. Le quatrième segment se déroule dans une ambulance alors que le pays est la proie d’infectés. Si ils parviennent à transmettre la paranoïa et l’absence de repères qu’entraînerait une telle situation, les réalisateurs Kim Gok et Kim Sun se contentent de bouger leur caméra dans tous les sens à chaque attaque des rageux. Attention aux maux de tête...
Lorsqu’une famille de psychopathes rencontre une famille en apparence modèle, il y a des chances pour que la première veuille prendre la place de la deuxième. Jeremy Power Regimbal, représentant du Canada dans la compétition avec le très balisé In Their Skin, laisse le psycho mettre le pied dans la vie déjà compliquée du couple endeuillé. Le réalisateur apporte peu au film d’intrusion domestique (dont Funny Games de Michael Hanneke est un des plus célèbres représentants) mais sait se montrer convaincant pour faire monter la tension. Ainsi la première partie dévoile peu à peu le jeu des voisins, distillant un climat de doute et de malaise qui finit par exploser au cours d’un dîner très tendu. Puis il laisse les voisins jouer avec la peur du couple avant de se réintroduire au domicile et faire exploser la violence. In Their Skin est l’occasion de revoir Selma Blair et de profiter des talents de cabotinages de James d’Arcy dans le rôle du psychopathe mielleux à tendance bipolaire. Sans surprise, mais distrayant.
LA FIN JUSTIFIE LE MOYEN
Le PIFFF se sera ouvert et clôturé par deux films marquant la pénétration d’un monde étranger au sein du nôtre. Mais la suite directe du Silent Hill de Christophe Gans, chargée de porter un point final à cette édition, ne tient pas une seconde la comparaison avec la pochade de Coscarelli.Là où John Dies At The End trace sa route dans une anarchie logique, Silent Hill : Revelation emprunte jusqu’au bout les chemins les plus balisés. Ces routes sont celles d’une suite de jeux vidéos qui a posé sa marque sur ses créatures (preuve en est le mirobolant mais sympathique défilé d’infirmières que le distributeur a débauchées pour cette avant-première), d’un genre lui-même très défini ces dernières années et d’un premier volet qui a déjà raconté le principal. Le réalisateur Michael J. Bassett, auteur des sympathiques Wilderness et Solomon Kane, livre donc une série B d’action manichéenne plutôt rythmée, qui s’embarrasse d’une romance et met un coup de projo sur les différents motifs des jeux vidéo, quitte à les rendre grotesques et à privilégier l’imagerie à l’efficacité horrifique. Christophe Gans avait livré un premier film inégal mais enveloppé d’une aura malsaine qui rendait hommage à l’œuvre matrice. On ne retiendra de ce second volet que quelques scènes oniriques efficaces (dont un rêve impressionnant mettant en scène Alessa) et une poignée d’effets 3D réussis. Si vous n’en demandez pas plus, le film est sorti en salles ce mercredi.
Il ressort de cette édition que le PIFFF a certainement de beaux jours devant lui et va sans doute encore enfler sous la houlette prestigieuse de ses commanditaires et le poids du nombre grandissant de spectateurs. Un jury sous la signe du fantastique français (Pascal Laugier, Xavier Gens, Nicolas Boukhrief, Julien Carbon et Laurent Courtiaud) a décerné son grand prix à The Body d’Oriol Paulo, et une mention spéciale à The Cleaner. Le public a plébiscité Citadel de Ciaran Foy dans sa grande majorité. La compétition court-métrage fut marquée par le zombie de crise avec le Nostalgic Z de Carl Bouteiller, qui rafla pas moins de trois prix, laissant tout de même au dépouillé mais très efficace Exit de Daniel Zimbler un titre de meilleur court-métrage international amplement mérité.
Ainsi s’est clôt le PIFFF, deuxième du nom, déjà prêt à passer la troisième pour l'année 2013 à venir.