Les bandes de Moebius
- Détails
- Dossier par Nicolas Bonci le 12 mars 2012
Ruban noir
Une semaine après Ralph McQuarrie, un autre grand de la SF, Jean Giraud, alias Gir, ou Moebius, nous a quittés samedi à l'âge de 73 ans. Auteur de BD à l'immense talent, Moebius était également un illustrateur et designer de génie dont le travail irrigua un pan du cinéma de Science-Fiction des trente dernières années.
Dès ses premières publications le septième art devait tenir une place importante dans son oeuvre : Moebius n'a-t-il pas pris Jean-Paul Belmondo pour servir de modèle au lieutenant Blueberry ? Genre cinématographique s'il en est, le western allait lui permettre de développer un découpage clair et rigoureux que confirmera le sublime album Les Yeux Du Chat, première collaboration avec le mystique Alejandro Jodorowski. L'auteur chilien l'embarqua par la suite sur sa folle adaptation de Dune de Frank Herbert, qui ne vit jamais le jour mais dont certains travaux serviront par la suite pour L'Incal.
En 1979, entre deux mamours avec Fellini, Moebius commence à développer l'univers du Garage Hermétique, monde complexe et artificiel préfigurant le cyberpunk en devenir. Ses réalités structurées en plusieurs niveaux et quelques trouvailles seront utilisées à bon escient par les frangins Wachowski dans leur trilogie Matrix vingt ans plus tard.
A la même époque, le scénariste Dan O'Bannon fait appel au dessinateur français, qu'il rencontra durant le développement de Dune, pour concevoir les designs des costumes et vaisseaux de son nouveau projet, Alien, mis en scène par un Ridley Scott qui lui aussi saura se rappeler de Moebius en s'attaquant trois ans plus tard à Blade Runner : la cité futuriste de The Long Tomorrow, polar SF écrit par O'Bannon, est pris en exemple pour le Los Angeles de Deckard.
L'année de sortie de Blade Runner voit débarquer sur les écrans Heavy Metal sous l'impulsion de Leonard Mogel, l'éditeur de la version US de la revue Métal Hurlant créée par Jean-Pierre Dionnet, Philippe Druillet, Moebius et Bernard Farkas sept ans plus tôt. Film d'animation aux sketchs très inégaux, Heavy Metal transpose plusieurs histoires dans les univers des auteurs du magazine. Le segment le plus marquant, qui servira d'identité visuelle au film puis à la revue, est Taarna d'après la BD Arzach de Moebius.
Dans la foulée le dessinateur est appelé aux côtés de Syd Mead pour confectionner l'univers de Tron, pari fou que le jeune nerd Steven Lisberger parvient à vendre aux studios Disney alors en plein doute. Si le grand public ne suit pas, les light cycle, les combats de disques, le Maître Control Principal traumatisent une génération de gamins élevés à l'Atari et à la Vectrex.
Pendant ce temps en France, René Laloux développe Les Maîtres Du Temps, fable de Science-Fiction co-écrite avec Moebius d'après Stefan Wul et entièrement dessinée par le Maître. Sûrement le long-métrage le plus fidèle à son univers.
Après cette grande période d'activité, Moebius s'éloignera du monde du cinéma (un peu accaparé par un tsunami nommé Une Aventure De John Difool), se contentant de créer les costumes du nanar Les Maîtres De L'univers (1987) d'après le dessin animé du même nom, quelques concepts hélas peu utilisés pour un autre nanar, mais plus friqué, Willow (1988), et, comme beaucoup d'autres à cette époque, travaillera à l'adaptation de Little Nemo de Winsor McCay, co-production américano-japonaise qui verra finalement le jour en 1989 après intervention au scénario de Chris Columbus et Richard Outten. Le film, un échec, sortira en France en 1994, année où Moebius se libère de la frustration de voir son idole Winsor McCay maltraité en proposant sa propre interprétation du héros de Slumberland.
Entre temps James Cameron lui passe commande de croquis d'extra-terrestres aquatiques pour son chef-d'œuvre The Abyss et le jeune Mathieu Kassowitz se fait la main en adaptant en court-métrage sa bande-dessinée anti-raciste Cauchemar Blanc.
Kasso que l'on retrouve en guest dans Le Cinquième Elément de Luc Besson, bande SF fourre-tout imaginée par le peroxydé durant son adolescence et sur lequel il convoque ses idoles Mézières et Moebius.
Kasso, Besson, il ne manque plus que Jan Kounen du trio 1B2K, qui paiera son écot à Jean Giraud en 2004 avec Blueberry, L'Expérience Secrète, adaptation aussi folle que réussie qui ose travestir la BD originale pour mieux rendre hommage à la diversité et l'inventivité des travaux du Maître.
Après ce coup d'éclat, on ne recensera plus grand-chose au cinéma en rapport avec l'univers de Moebius. Tout juste le DTV foutraque Thru The Moebius Strip avec au cast vocal Mark Hamill. Bien que produit par un ancien de Sony Pictures Imageworks, ce film bénéficie de CGI d'un autre âge qui le condamnait avant même d'être exploité. On préfèrera se souvenir de la série animée Arzak Rhapsody, honnête transposition à l'écran de Arzach diffusée sur France 2 en 2003.
Longtemps fantasmée, l'adaptation de L'Incal refît parler d'elle lorsque ressurgit sur Internet il y a quelques années cette promo reel vraisemblablement conçue dans les années 80. Pas sourd, le producteur de cette bande se remit au travail et livra à l'automne dernier un nouveau trailer, bien plus impressionnant, destiné à vendre le projet.Â
Moebius ne sembla à aucun moment attaché à cette hypothétique adaptation. Pour lui vint le temps des honneurs et des expositions prestigieuses, notamment celle l'associant à Hayao Miyazaki en 2005. Les deux artistes, qui s'admirent depuis longtemps, en profitèrent pour faire plus ample connaissance.
Et depuis ce samedi 10 mars 2012, tous rendent au dessinateur l'hommage qu'il mérite : William Gibson, Neil Gaiman, Jan Kounen, Paulo Coelho, Mike Mignola, Stan Lee, Enki Bilal, la nouvelle génération… Chacun exprime à sa façon ce que Moebius leur offrit à travers ses oeuvres.
Ce que Joann Sfar résume en une phrase sur Twitter :
Demain va être long.