The Artist

La parade est revenue

Affiche The Artist

Tout le charme de The Artist ne tient pas seulement à la qualité d’interprétation du duo formé par Bérénice Béjo et Jean Dujardin ou au soin méticuleux apporté à la reconstitution de l’époque du muet.


Faire un film muet, en noir et blanc, au format d’image carrée à une époque où la moindre pub sucrée fait péter les watts, s’étale en 3D et bave sur toute la longueur de l’écran pourrait passer comme un pied de nez tonitruant, voire affirmer une certaine tendance passéiste rejetant toute forme d’évolution technique. Au contraire, The Artist de Michel Hazanavicius réaffirme la puissance du 7ème art.

Après La Classe Américaine (dit aussi Le Grand Détournement) et les deux opus de l’agent très spécial OSS 117 (Le Caire Nid D’Espions et Rio Ne Répond Plus), on aurait pu penser que Hazanavicius se spécialiserait dans le pastiche, genre qu’il maîtrise. Mais c’est occulter le fait que, déjà, par l’entremise de doublages délirants plaqués sur des extraits des films du catalogue Warner ou le subtil déraillement des films d’espionnage des sixties, il exprimait une appétence certaine pour la reformulation d’images cinématographiques pour jouer avec leur signification première et en livrer, comme avec OSS, un commentaire enjoué et moqueur mais où l’on ressentait un profond et sincère attachement. Autrement dit, aucun cynisme à déplorer.
Certes, il était secondé par la vision de ses acolytes du moment, Dominique Mézerette pour La Classe Américaine et Jean-François Halin pour les OSS (on retrouvait la verve caricaturale et incisive de ses textes pour les Guignols) dont il épousait les principes, mais on sentait tout de même poindre une patte singulière.

The Artist vient confirmer cette impression en accentuant cette capacité à recréer un monde de cinéma aussi bien récréatif que sensitif. De fait, le film s’éloigne sensiblement du simple pastiche où l’on s’amuse des ficelles mises en exergue ou de l’hommage appuyé, où l’on s’émerveille de la reprise de plans et séquences représentatifs (le récit fonctionne même sans connaître les références sur lesquelles il s’appuie). Le film est tout entier voué à la progression linéaire de son intrigue et les références qui foisonnent ne sont pas là pour uniquement activer un jeu de reconnaissance cinéphilique mais bien pour enrichir le propos.
En ce sens, l’histoire est particulièrement simple et édifiante : George Valentin est une star du muet qui refuse d’accepter l’évolution de l’art cinématographique par la technologie. L’arrivée de la parole sonnant pourtant le glas de l’ultra expressivité dont faisait preuve ces films sans paroles. Alors qu’il s’enfonce de plus en plus dans un orgueil aveuglant, la jeune Peppy Miller va peu à peu prendre sa place sur l’écran et dans le cœur des gens. Une classique histoire de descente aux enfers pour l’un et d’ascension fulgurante pour l’autre, balisée, et qui ne manque pourtant pas de multiples intérêts. Comme la remarquable direction d’acteurs, des rôles principaux au plus secondaires, chacun donnant de la consistance à son personnage. Et si Dujardin reçu un prix à Cannes, il convient de souligner l’aisance de Bérénice Bejo dans la peau de la pétillante Peppy Miller. La justesse de l’interprétation est un des éléments clés de la réussite de cette intrigue au premier degré que l’on suit avec plaisir même si l’on en devine l’issue. Les nombreuses séquences de pure poésie cinématographique renforcent l’attrait pour cette histoire au charme désuet. On retiendra particulièrement deux séquences notables, celles de la séduction opérant entre George et Peppy au long des multiples prises d’une même scène, la succession des rush voyant les comportements des deux acteurs se modifier imperceptiblement, transformant les mini échecs de finition en idylle naissante. Et puis la séquence chaplinesque en diable où, dans la loge de George, Peppy vient se lover dans les bras du costume de la star pendu au porte-manteau, la jeune femme passant son propre bras dans la manche pour figurer l’enlacement de deux amants.

The Artist
 


SUNSET REDEMPTION
Tandis que l’un s’enlise dans les marécages de l’oubli progressif – extra mise en abyme prodiguée par le film dans le film produit grâce aux derniers fonds d’un Valentin au bord de la ruine et où il met lui-même en scène sa disparition de l’écran via ce personnage d’explorateur avalé par les sables mouvants (de la notoriété ?) – l’autre s’impose peu à peu en haut de l’affiche. L’illustration de cette nouvelle donne est parfaitement rendue lorsque Hazanavicius nous montre les deux personnages se croiser au milieu de l’escalier (de la gloire ?), Valentin le descendant, Miller le gravissant. Les rapports de force ont changé. C’est désormais l’actrice qui occupe une position dominante dans l’espace, et les deux discutent de chaque côté de l’axe de cet escalier partageant exactement le cadre en deux. Le film ne sera pas que l’histoire d’une rédemption ou d’une reprise en main du destin de George Valentin. L’enjeu primordial sera de parvenir à faire cohabiter les deux acteurs dans le même espace, à la même hauteur et sur un pied d’égalité.

On l’a dit, The Artist n’est pas qu’un décalque finement ouvragé, il ne singe pas les éléments constitutifs du muet pour en restituer la splendeur mais se les approprie pour former sa propre histoire. Le personnage de Dujardin, s’il renvoie aux stars de l’époque aussi bien phonétiquement (Rudolph Valentino) que physiquement (Douglas Fairbanks mais plus encore John Gilbert, dont la ressemblance avec Valentin est stupéfiante), son destin a pour horizon possible celui de Norma Desmond de Boulevard Du Crépuscule qui n’acceptait pas elle non plus, d’être supplantée par le parlant et qui vivait dans le souvenir perpétuellement matérialisé et alimenté de sa gloire passée. Valentin ne vit plus dans l’opulence mais son dénuement ne l’éloigne pourtant pas d’une certaine psychose, il se repasse, comme son aînée, les films qui ont fait son succès. Outre sa prise de conscience ultime et presque dramatique, Valentin peut compter sur son fidèle majordome qui, à la différence de celui de Norma Desmond, Max, n’entretient pas l’illusion d’un faste révolu et agit avec bienveillance et amitié quand bien même il n’est plus payé pour ses services.

LIP DANCE
The Artist
fonctionne comme une tragédie que le chien de Valentin atténue par son cabotinage désopilant mais il acquiert une profondeur magnifique de par son intertextualité prégnante et remarquable. Réemployant les artifices du muet, Hazanavicius les intègre superbement à son récit pour aller au-delà du simple mimétisme. Il s’adapte et surtout mise sur l’intelligence du public. Ainsi, remarque-t-on que les intertitres sont finalement peu nombreux. D’ordinaire utilisés entre deux plans de personnages en train de converser afin d’en expliquer les propos, le réalisateur les emploie avec parcimonie et seulement lorsque le jeu et les mouvements des acteurs ne permet pas d’éclairer avec précision la signification de ce que l’on nous montre. Aussi voyons-nous fréquemment des personnages "parler" mais la scénographie est suffisamment explicite pour que nous n’éprouvions pas le besoin d’un surlignage inutile. Et puis, cela permet au détour d’un panneau "BANG" de manipuler les attentes du public pour ménager le suspense.

The Artist
 

De plus, la raréfaction d’intertitres apparents évite la déconnexion des spectateurs de l’histoire en train de se jouer, occultant presque la nature muette du métrage. Et pour renforcer cette immersion, de nombreux intertitres sont directement intégrés à la trame de la fiction, témoignant d’une réelle intelligence artistique. Et des titres de journaux aux enseignes de cinéma, ces indications visuelles  révèlent la progression morale des protagonistes. Mais l’intertextualité va encore plus loin puisque le rejet du cinéma parlant par Valentin se voit mis en scène et en abyme aussi bien dans les fictions dont il est le héros que dans sa propre vie. Au début du film, son personnage d’agent secret de A Russian Affair est torturé afin qu’il parle mais il tient bon. Puis, ce sera sa femme qui l’invectivera sur son refus de parler. Si elle lui adresse ce reproche par rapport à leurs relations déliquescentes, cela prend une double signification de par le programme du film.
Enfin, relevons avec plaisir et enthousiasme que l’émergence du son ne concerne pas seulement l’univers fictif des films de Valentin mais affecte également son quotidien, voir ce fabuleux cauchemar aussi perturbant pour le personnage que pour les spectateurs, à ce moment là habitués au sevrage du moindre bruit. Film sur l’arrivée du parlant plus que sur la fin du muet, on peut ainsi estimer que The Artist réfracte le Chantons Sous La Pluie de Stanley Donen et Gene Kelly auquel on pense fortement, forcément, au cours du final.

Le film de Hazanavicius ne s’impose pas seulement comme une revivifiante plongée dans le muet (peut être qu’il aura donné envie de (re)découvrir certains classiques délaissés) mais comme une déclaration d’amour à cet art protéiforme au pouvoir de fascination incommensurable et vecteur de communication indéniable des émotions.
Ainsi, Peppy Miller, plutôt que de persister à tenter d’imposer Valentin à ses côtés mais dans un environnement auquel il est désormais inadapté, trouve un biais artistique par lequel il est possible de s’accorder. Au sein même d’un médium en pleine révolution du parlant, elle parvient à créer une nouvelle forme d’expression cinématographique. Ultime démonstration d’un art qui n’est pas prêt d’être à bout de souffle.
7/10
THE ARTIST
Réalisateur : Michel Hazanavicius
Scénario : Michel Hazanavicius
Production : Thomas Langman, Emmanuel Montamat, Jérémy Burdek, Nadia Khamlichi…
Photo : Guillaume Schiffman
Montage : Anne-Sophie Bion
Bande originale : Ludovic Bource
Origine : France
Durée : 1h40
Sortie française : 12 octobre 2011




   

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