Le Vilain

Sale gosse

Affiche Le Vilain

Albert Dupontel fait figure d'exception dans le paysage audiovisuel français : après des débuts à la télévision à Canal+ puis chez l'inénarrable Patrick Sébastien, il traumatise à grands coups de pelle le milieu du cinéma français en 1996 avec Bernie, conte trash social d'une noirceur inouïe nommé aux Césars dans la catégorie "meilleur première œuvre".


Produit en partie par Kasso Inc, Bernie est, avec La Haine de Matthieu Kassovitz, Seul Contre Tous de Gaspard Noé et  Dobermann de Jan Kounen, un des représentants de la nouvelle génération d'artistes "sales gosses" principalement issue de la cellule d'agitation d'idées Canal+ Ecriture, structure montée pendant la transition entre l'ère Rousselot (garant, grâce au soutien de François Mitterand, de "l'esprit Canal" et poussé vers la sortie par Édouard Balladur en 1994) et l'ère Lescure.
La trajectoire des sales gosses déviera de leurs débuts tonitruants, laissant mourir le mouvement contestataire qu'ils ont, peut-être malgré eux, crée dans le cinéma français, pour se consacrer à leurs obsessions respectives
.

Véritable électron libre, Dupontel apporte son soutien en tant qu'acteur aussi bien dans le film d'exploitation que dans le film dit d'auteur, se foutant des chapelles et de la bienséance, à l'image de la polémique lancée par son départ fracassant du plateau de Laurent Bignolas lors de la promotion du Vilain.

Nous aurons le droit, pour notre part, à un "en gros vous voulez que je fasse votre boulot c'est ça ?"en départ de notre interview (Cf. ici). Quand il s'agit de cinéma, Dupontel est passionné (et passionnant).

Le Vilain
 

Le Vilain commence sur des chapeaux de roue avec une course-poursuite entre le Vilain, un braqueur de banques sans foi ni loi joué par Albert Dupontel, et une fourgonnette  qui semble sortir tout droit des studios Hanna Barbera, canardant tout ce qui bouge à la mitrailleuse.
Ce dernier n'aura d'autre choix que de se réfugier chez sa mère (Catherine Frot sous plusieurs couches de prothèses), qu'il n'a pas revu depuis vingt ans et qui n'a aucune idée de la situation ni du véritable métier de son fils. Lorsqu'elle s'en rendra compte, un combat sans merci s'engagera entre le Vilain, sa mère (et Pénélope, la tortue revancharde qu'on jurerai sortie d'un kaiju eiga).


En s'enfonçant dans la veine cartoonesque de son cinéma, Dupontel y livre son film le mieux rythmé (et de très peu le plus court). La mise en scène de Dupontel n'a jamais été meilleure, ménageant ses effets pour provoquer l'émotion chez le spectateur : les travellings astucieux atteignent leur but, le découpage est d'une précision redoutable, spécialement lors des séquences détaillants les pièges maléfiques du Vilain.

Les aficionados nostalgiques de la violence trash d'un
Bernie ou d'un Créateur y dénonceront un assagissement de son cinéma, après un Enfermés Dehors burlesque revendiqué tout public. En effet, le pitch du film promettait un nouveau fleuron de la comédie trash. : à l'arrivée, le spectacle s'avère être une comédie tout public qui éteint toute sa subversion par le biais d'un humour et d'une imagerie cartoon. Le personnage de Catherine Frot se trouve ainsi dotée d'une malédiction qui la protège de tous les mauvais coups du sort (et de son fils). Un élément narratif astucieux qui désamorce également la noirceur des tentatives de matricide du Vilain, en même temps qu'il justifie l'aspect physique déviant de Catherine Frot sous son maquillage, donnant un étrange contraste dans les scènes où le personnage est confronté à de vrais vieillards.

Mais le cartoon n'empêche pas une violence sous-jacente : la chambre sur-dimensionnée, où se joue la première partie du film, est l'endroit où prennent source les conflits (tirer la quéquette du Christ dévoile les secrets les plus inavouables en faisant rouler un globe terrestre jusqu'à un panier de basket !) et à la fois l'endroit où une partie  d'entre eux se résolvent, non sans faire de dégâts. Cela sera l'occasion pour l'excellent Nicolas Marié d'entrer en scène avec son personnage de médecin alcoolique en quête de rédemption.

L'évolution de l'histoire amène par la suite la confrontation en dehors de la chambre, où le Vilain fomentera son meurtre et affrontera un entrepreneur véreux incarné par Bouli Lanners (en accord avec le casting très soigné du film), qui ne trouvera sa résolution qu'après une ultime étape particulièrement ignoble où le masque du Vilain tombera littéralement.


Le Vilain
 

Le point de départ de Dupontel, "on n'est pas les enfants que nos parents croient et nos parents ne sont pas ceux que l'on a cru", apparaît alors comme autobiographique, même si le cinéaste s'en défend. Ainsi, Le Vilain est dédié au père du réalisateur décédé récemment. Ce médecin de formation aurait voulu voir le jeune Albert prendre la relève, mais ce dernier quitta les études de médecine en cinquième année (après avoir assommé son interne à coups de poing et de dictionnaire). Le personnage de Nicolas Marié apparaît alors comme l'écho d'une profession abandonnée, et cette histoire de sale gosse quittant le foyer familial pour mener une vie réprouvée par l'autorité parentale a beaucoup à voir avec la vie de Dupontel (un soir son père, le voyant à la télé, dit qu'il était dommage d'avoir quitter des études pour "ça").

Malheureusement, si Albert Dupontel situe son histoire dans la fable, la fin, qui confronte soudain le héros a un étrange paradoxe, est surtout en porte-à-faux avec le genre car dénuée de toute morale et laisse le spectateur perplexe sur le spectacle auquel il vient d'assister. Si on pouvait jusqu'alors situer le film au niveau autobiographique (et psychanalytique), la conclusion qu'en tire le Vilain s'en écarte dans un twist tombé comme un cheveu sur la soupe et qui recadre tout le film dans des questions d'ordre métaphysique en forme de pied de nez. Peut-être une technique héritée de
Deux Jours A Tuer, où le final n'avait pas son pareil pour détruire tout le film qui avait été entrepris... Comme une réminiscence du sale gosse.

6/10
LE VILAIN
Réalisateur : Albert Dupontel
Scénario : Albert Dupontel
Production : Chantal Pernecker
Photo : Pierre-Yves Bastard
Montage : Christophe Pinel
Bande originale : Christophe Julien
Origine : France
Durée : 1h26
Sortie française : 25 novembre 2009




   

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