Habemus Papam
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- Critique par Nicolas Zugasti le 9 octobre 2011
Le discours d'un pape
On pensait la messe finie mais 25 ans après, Nanni Moretti revient dans le giron de l’Eglise. Il a certes troqué la soutane pour le costume trois pièces mais il porte toujours le même regard acéré et compassionnel.
S’il ne s’agit pas ici d’un bégaiement maladif perturbant la naissance d’une parole comme dans le carton des derniers Oscars, Le Discours D’Un Roi de Tom Hooper, l’enjeu pour le personnage principal du film de Moretti sera également d’être capable de se tenir à la tribune et s’exprimer devant le peuple / ses fidèles. Suprême plaisir, Habemus Papam s’avère être une satire férocement drôle portée par de très belles idées de mise en scène.
Le précédent pape vient de mourir et il faut donc en élire un nouveau, il en va de l’unité de l'Eglise catholique. Aussi, les cardinaux de tous les continents se réunissent-ils en conclave pour s’exécute. Mais le nouvel élu, le cardinal Melville (Michel Piccolli) est pris d’un horrible doute quant à sa capacité à assumer les plus hautes fonctions de guide suprême d’un milliard de pratiquants. Il refuse donc d’apparaître au balcon du palais du Vatican, plongeant les croyants réunis place Saint-Pierre ou devant leur poste de télévision et les éminences du Vatican dans une fébrile inquiétude : que faire si la parole de Dieu ne trouve personne pour l’incarner ?
Plutôt que de s’adonner à une remise en cause de cette foi, de questionner sa légitimité, Moretti fait de ce contexte iconoclaste une formidable étude de la lassitude gagnants les tenants du pouvoir religieux (le pape, donc mais également les cardinaux), informationnel (journaliste, communicant / attaché de presse du Vatican) ou intellectuel (psys, experts en tous genres). Une lassitude qui semble avoir étreint Moretti le premier. En effet, le réalisateur délaisse sa verve politique pour s’orienter vers un versant plus intimiste dans laquelle il excelle aussi (Journal Intime, La Chambre Du Fils). De par son cinéma (La Palombella Rosa ou La Cosa se confrontent frontalement au pouvoir politique et la notion d’engagement) et son engagement personnel, on peut considérer le cinéaste comme un représentant de la conscience politique et citoyenne de l’Italie.
La tiède réception en 2006 du Caïman dans lequel il s’opposait ouvertement à Berlusconi n’est pas la seule en cause, les rondes citoyennes dont il fut un des fers de lance n’ayant pas non plus suffisamment enflammé la prise de conscience des foules pour empêcher son retour au pouvoir. Et la lassitude de son personnage de psychanalyste renommé chargé de remettre la tête du futur pape à l’endroit semble être aussi un peu la sienne. Cependant, il parvient à la diriger pour nourrir le propos de son film et lier des protagonistes qui n’agissent plus par conviction mais par tradition. Il n’y a plus de pape, il faut donc bien en élire un nouveau, il faut bien couvrir l’évènement.
L’élection constitue le premier acte de l'histoire mais il faudrait plutôt parler de déréliction tant le début pose d’emblée les jalons d’un comique burlesque qui va se propager. Ce conclave exceptionnel va ainsi être tourné en dérision à travers ce reporter télé commentant l’arrivée des favoris à la succession comme d’autres présenteraient des chevaux s’alignant sur la ligne de départ (une analogie réaffirmée plus tard lorsque le psy communique aux cardinaux leurs côtes auprès des bookmakers et les compare), la pièce où ils se retirent afin de procéder au vote qui est plongée dans l’obscurité à cause d’une panne de courant ce qui provoque la chute d’un des leurs ou ces cardinaux retrouvant des comportements d’écoliers pendant les délibérations. Mais ce traitement ne sera pas exclusif aux représentants de la foi puisque tout le film s’ingéniera à révéler le caractère dérisoire des habitudes qui rythment la vie.
L’enjeu pour Melville, cet homme qui ne voulut pas être roi, sera non pas de redonner un sens à sa vie mais plus sûrement de renouer avec des aspirations étouffées par ses obligations. Retrouver des versants de sa personnalité qu’il semblait avoir oublié, notamment sa passion pour le théâtre. Pris de panique, Melville va donc fuguer et fureter dans les rues de Rome et s’intégrer naturellement à une petite troupe de théâtre jouant une pièce de Tchekhov, un auteur que le pape connaît par cœur. Melville rencontre ainsi l’étrange comédien devant interpréter le rôle clé de Serebriakov dans Oncle Vania, un personnage que Voïnitski (l’oncle Vania du titre) jalouse car il pense avoir gâché sa vie à exploiter le domaine. Une jolie et subtile mise en abyme sur la propre condition de Melville et qui se répercute également au niveau du psychiatre puisque Serebriakov est un intellectuel vieillissant qui se sent comme exilé dans cette propriété campagnarde, soit peu ou proue la situation du personnage joué par Moretti isolé parmi les cardinaux dans leur palais.
Toute aussi subtile est la manière de Moretti de remettre en cause les positions de chacun et notamment de les déloger de leur piédestal. Ainsi, il fait descendre de son balcon et déloge même carrément le pape tandis que le psy exprime clairement qu’il est le meilleur dans sa partie, racontant que sa femme, également psychiatre, l’a quitté car elle ne supportait pas d’être la deuxième (une petite vanité aussi drôle que touchante).
Mais si le doute étreint aussi fortement Melville, il aurait pu frapper n’importe quel autre élu, aucun cardinal ne se sentant à la hauteur de la lourde tâche comme le montre la séquence hilarante où, dans l’attente des résultats du vote, chacun psalmodie pour soi une prière intimant Dieu de ne pas le choisir. Ces prières sourdes n’agitant au départ que quelques uns s’intensifient et se propagent à l’ensemble.
La force de ce film n’est pas seulement de mettre en évidence et de se moquer du brouillage communicationnel entourant la couverture de cette élection par l’intermédiaire du journaliste télé présent sur les lieux et qui pourtant doit vérifier la couleur de la fumée (blanche ou noire) sur un écran de télévision, le responsable de la communication du Vatican usant d’un stratagème pour cacher au monde et aux autres la fuite du pape fraîchement élu (soit la propre faillite du système) ou encore cet expert pris en flagrant délit d’interprétation sur un plateau télé. Habemus Papam est surtout remarquable dans sa manière de réinsuffler la vie dans des milieux sclérosés. La première étincelle intervient juste au moment où Melville, le nouveau pape sans nom, doit être présenté au balcon et que sa brutale prise de conscience l’amène à pousser un cri comparable à celui d’un nouveau-né.
Ce ne sera pas la seule renaissance puisque grâce au principe des vases communicants le psychiatre va lui aussi en bénéficier. Alors que celui-ci pénètre dans ce lieu aux antipodes de ses croyances et déstabilisant sa méthodologie (le face à face avec le pape s’effectue dans la confidentialité en présence de tous les cardinaux !), il va devoir revoir son mode de pensée au contact des ecclésiastes.
Dans le même temps, Melville va peu de temps après s’échapper et reprendre contact avec la populace (superbe image du nouveau pape place Saint-Pierre au milieu des fidèles, levant comme eux la tête vers ce balcon désespérément vide de sa présence). Et tandis que le psy va secouer ce qui apparaît sous la caméra de Moretti comme un hospice, Melville va s’ébrouer au contact d’une troupe théâtrale, créant ainsi de formidables appels d’air qui permettront la circulation des sentiments. A l’image de cette superbe séquence où la musique diffusée depuis la chambre du pape entraîne la communion des hommes d’église et de l’homme de science avant de se propager à l’extérieur où la chanson sera reprise par les voix féminines de fidèles croisées par Melville et devant lesquelles il stoppe sa marche, complètement subjugué.
Au final, le plus important n’est pas de savoir si Melville trouvera la force de s’exprimer en public ou ce qu’il dira. La filmographie de Moretti s’agrège autour de choix de l’individu quant à sa place dans la collectivité, comment allier ouverture aux autres et réconciliation intime. Habemus Papam en propose un palimpseste magnifique et mélancolique où finalement le salut provient d’un exil volontaire.
HABEMUS PAPAM
Réalisateur : Nanni Moretti
Scénario : Nanni Moretti, Francesco Piccolo, Federica Pontremoli
Production : Jean Labadie, Nanni Moretti, Domenico Procacci
Photo : Alessandro Pesci
Montage : Esmeralda Calabria
Bande originale : Franco Piersanti
Origine : Italie
Durée : 1h42
Sortie française : 07 septembre 2011