Frost/Nixon, L'Heure De Vérité
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- Critique par Guénaël Eveno le 19 mai 2009
Natural born winners
Les hasards de la programmation font que deux films de Ron Howard sortent dans nos salles en moins de deux mois. Pour beaucoup, il n’y en aura eu qu’un.
Tandis que Anges Ou Démons, sorti la semaine dernière, bénéficiait du buzz inusable de Dan Brown, ce Frost/Nixon, L'Heure de Vérité connut une courte carrière dans un circuit relativement fermé, pourtant précédé de cinq nominations aux Oscars et d’un accueil critique pas avare en éloges. Auto-adaptation d’une pièce de Peter Morgan, scénariste connu pour avoir écrit Le Dernier Roi D’Ecosse et The Queen, Frost/Nixon relate l’interview de Richard Nixon par David Frost suite au scandale du Watergate, un face-à -face qui nourrit un but précis pour chacun des interlocuteurs : pour l’un le retour au devant de la scène politique, pour l’autre un coup médiatique inespéré. Le sujet était casse-gueule. Il pouvait paraître américano-américain et anecdotique comparé aux pérégrinations mystico-policières de Tom Hanks. Le tout mis en image par l’académique Ron Howard laissait augurer une sympathique rétrospective, sans soulever des montagnes. Le résultat est un film qui sort pourtant des sentiers du politique, peu marqué visuellement par son époque (à part une concession sur les coupes), qui ne se gêne pas pour venir fouiller plus loin dans la psyché de ses deux personnages, incarnations de deux idées du pouvoir.
L’ouverture situe l’accueil télévisuel du Watergate, résumant clairement et succinctement l'enjeu par écrans interposés : Nixon a trompé, Nixon ne sera pas jugé et il ne demandera pas pardon. Si bien qu'avant la révélation du héros devant son écran, on sait que le jugement de l'homme public par l'Amérique se fera par la lucarne. On pourrait dès lors penser à un film politique basé sur la fondation d’un réquisitoire contre un homme politique (le meilleur représentant récent étant Goodnight, And Good Luck avec qui il entretient de nombreux points communs). Mais l’enjeu officiel de l’interview s’efface pendant une bonne partie du film pour se concentrer sur les personnalités des deux opposants. Ce n’est donc pas un film politique, et encore moins un film sur la politique. Le but médiatique de David Frost est opposé à celui de l’idéaliste James Reston Jr. qui est de voir Nixon rendre des comptes au pays qu'il a trompé. Ce dernier personnage ne restera que secondaire car à mesure que l'on avance, on s’oriente vers une guerre d’égos entre les deux personnages titres.
Pour ce faire, Ron Howard a habilement dramatisé les faits. Ce n’est pas un galop d’essai pour lui et il n’y a pas besoin de remonter à ses films de plus de dix ans pour noter dans la schyzophrénie du John Nash de Un Homme D’Exception l’élément qui fait glisser la réalité dans le rêve du fait de la subjectivité d’un homme. Ici il y’en a deux qui façonnent la réalité à leur gré. Un nombre idéal pour emprunter les chemins balisés du film de boxe (défi lancé au champion / face-à -face avec avantage / préparation des boxeurs avant le match / clash / perte de confiance / renaissance / victoire) pour le transposer au niveau de l’interview télévisée. Les jours de duel sont filmés comme des rounds (trois au total), chaperonnés par les coachs (l’équipe), laissant des séquelles morales visibles physiquement sur chacun des adversaires. Le Nixon du film n’est motivé que par le challenge. Il s’est fait dans les batailles et il ne sera complet que dans la reconnaissance. C’est un personnage tragique, un animal blessé qui refuse de plier, parfois pathétique mais qui s’éloigne de la représentation cabotine habituelle grâce à l’interprétation du charismatique Frank Langella qui excelle dans la déclamation de longues tirades. David Frost est un homme d’image qui possède un talent inné pour les relations humaines. Dragueur et fêtard, il représente tout ce que n’est pas Nixon, et certainement ce qu’il aurait voulu être. David Frost n’est-il pas l’ombre de ce Kennedy qui l’avait mis autrefois en échec face aux médias ? (lorsque l’équipe de Frost imite Nixon, elle fait référence à cet affrontement). Nixon a appris à maîtriser les coups durant sa longue carrière à force de les avoir pris, mais il ne possède pas naturellement ce que Frost possède. Celui-ci aura des difficultés à se mettre à la hauteur de l’ancien président, dans l’organisation de l’affrontement et la prise d’avantage à cause de son absence de crédibilité journalistique mais surtout car à aucun moment dans la première partie du film il ne se met en position d’attaque.
Il y’a une grande isolation des adversaires que l’on ressent à travers la forme (ce sont les seuls qui ne témoignent pas), les présentations parallèles à chaque grand moment du match et dans sa préparation, la pression mise sur leurs épaules. Elle est sublimée dans la scène où Nixon appelle Frost à la veille de la dernière partie de l’interview, confiant dans une longue réplique surprenante toute sa solitude et l’épée de Damoclès constamment au-dessus de lui. Il compare son fardeau à celui du présentateur qui devient lui aussi de plus en plus conscient de ses difficultés à répondre aux attentes des autres. Dans les trente dernières minutes, la caméra d'Howard se pose hors de l'action, éludant les à -cotés pour se poser entre les deux hommes. Le réalisateur achève ainsi le voyage de l’image vers le réel et de la préparation vers l’instant qu'il avait amorcé. On retrouve alors un Nixon démuni et maladroit face à un Frost confiant en ses capacités d’animateur. Il lui aura suffi de faire tomber la garde de Nixon pour que le naturel prenne le pas à son avantage. Le Nixon d'Howard était destiné à cette scène, Goliath mourrant sous les coups du jeune loup par ce qui fut sa faiblesse.
Frost/Nixon démontre que la politique est passée des idées aux personnes, que cette guerre d’égos sera nécessaire à faire plier l’homme au centre du mensonge. Tout n’est qu’une affaire d’égos, pas d’idées, et il n’y a rien de noble dans la politique, comme dans la télévision. On en vient à comprendre pourquoi ces deux domaines se sont si subitement rapprochés, ce qui accroît nettement l’intérêt du film dont la conclusion aussi simple que prophétique est qu’un homme de télévision est un homme politique né. Autour des deux personnages s’agite le reste d’un beau casting (en particulier Rebecca Hall dans le rôle de la charmante Caroline Cushing) qui place au gré des scènes ses commentaires sur ce qu'on voit. Comme autant de points de vues différents, chaque personnage secondaire introduit la caution documentaire, rappelant de manière salvatrice la réalité des faits et un enjeu qui s’efface derrière le charisme de ses deux héros. Frost/Nixon n’est guère l’éloge d’un idéal de média. James Reston Jr. y déclare même que la télé simplifie à l’extrême et peut faire couler des carrières en un seul plan. Le film n'a pas manqué d'analyser les coulisses autant que la manipulation de ses outils : gros plans réducteurs et curseurs émotionnels (Frost lance une musique pathos sur des reportages du Viet-Nam) constituent autant de coups durant le match qui oppose l'animateur à l'homme politique.
En optant pour la démarche de coller au plus près de ces deux grandes figures de leur époque, Howard a réussi à rendre son sujet passionnant et remarquablement immersif. On pourra toujours grogner qu’il n’est qu’un faiseur sans personnalité, il montre toutefois de quoi il est capable lorsqu’il veut porter un sujet (le narrateur et producteur exécutif de Arrested Development ne peut pas raisonnablement être mauvais). Son film est très fluide, parfaitement interprété et il sait où il va. Il ferait de plus un excellent double programme avec Les Hommes Du Président, l’un montrant comment le travail de journalistes idéalistes réussit à faire tomber le président, et l’autre comment il a fallu ensuite un showman pour plier l’homme.
Frost/Nixon
Réalisateur : Ron Howard
Scénario : Peter Morgan d’après son oeuvre
Production : Eric Fellner, Tim Bevan, Brian Grazer, Ron Howard
Photo : Salvatore Totino
Montage : Daniel P. Hanley & Mike Hill
Bande originale : Hans Zimmer
Origine : Etats-Unis
Durée : 2h02
Sortie française : 1er avril 2009