Code Name Geronimo
- Détails
- Critique par Nicolas Zugasti le 4 mars 2013
Attack the block
La mort de Ben Laden n’aura pas seulement entraîné la redéfinition du scénario de Mark Boal pour sa belle, la réalisatrice Kathryn Bigelow, mais également engendré un ersatz découlant directement de leur projet. Deux films pour une même histoire mais c’est peu dire que la manière de la raconter diffère dans les grandes largeurs.
Le téléfilm de John Stockwell, Code Name Geronimo (ou Seal Team Six: The Raid On Osama Bin Laden selon les versions) est ainsi né du schisme entre Boal et certains des autres producteurs de Démineurs, également parties prenantes du nouveau film de Bigelow, quant à l’approche narrative choisie pour illustrer la traque du leader d’Al-Qaida. Tandis que Boal et Bigelow convolaient de leur côté, forts du soutien du Département de la Défense et de la C.I.A. pour la collecte de précieuses informations, le projet concurrent, s’il ne bénéficie pas d’un tel soutien et d’un budget conséquent, va recevoir un appui indéniable puisque Harvey Weinstein entre dans la danse en tant que producteur et distributeur. Son engagement n’a rien de fortuit et n’est pas seulement une énième marque de son flair pour dénicher le projet capable de le mettre sur le devant de la scène. S’intéressant depuis longtemps aux affaires politiques et, s’il soutient financièrement aussi bien le camp démocrate que républicain, il s’affiche néanmoins plus proche de Barack Obama et voit dans ce film un vecteur politique d’envergure. Même si ce petit poucet pâtit de l’ombre de Zero Dark Thirty et qu’il est seulement promis à une diffusion quasi confidentielle sur la chaîne National Geographic.
Qu’à cela ne tienne : tandis que la sortie du film de Bigelow est repoussée après les élections, Code Name Geronimo sera lui diffusé deux jours avant.
Bien évidemment, dans ces conditions, la polémique recherchée ne tardera pas à gonfler telle un soufflet (même si le seul fait d’un récit de l’opération ayant mené à l’élimination du cerveau du 11 Septembre soit suffisant pour que les républicains suspectent une manœuvre pro-Obama), notament par l’intervention de l’O.P.S.E.C, un groupe d’anciens membres des forces spéciales et d’agents de la C.I.A., qui a appelé aux dons afin de financer un spot anti-Obama durant la diffusion du téléfilm. Une agitation qui aura mis en lumière un projet jusque là condamné à l’anonymat et dont la mise en scène et l’articulation ne lui aurait pas permis de sortir de l’ornière.
Réalisateur sans grande envergure (Bleu D’Enfer, Paradise Lost), John Stockwell met en boîte une histoire à la structure rappelant celle du Bigelow sauf qu’il se focalise principalement sur la préparation de la Seal Team Six, reléguant au second plan le travail des analystes de la C.I.A emmenés eux aussi par une femme à la forte présence. On ne parlera pas de forte personnalité dans le cas présent tant le personnage de Kathleen Robertson, Vivian Rollins, se distingue avant tout par un sex-appeal relevé par le port de tailleurs épousant délicieusement ses formes. Elle a beau prendre des moues concernées, on a du mal à percevoir ou ressentir une réelle implication. Des agents qui ne quitteront jamais leurs bureaux ou les couloirs de l’agence et dont les affligeants et indigents dialogues ont tendance à précipiter le spectateur dans un profond ennui.
En contrepoint, pour tenter de stimuler un peu les rétines, nous avons droit à des séquences d’entraînement pétries de clichés (rivalité entre deux membres à cause de la femme de l’un, communications via Skype avec les familles restées au pays…) et dont les séquences d’intervention simulées (dans la reproduction de la maison où est retranché Ben Laden) ou réelles (l’embuscade dans laquelle est prise l’escouade dans la pampa pakistanaise et l’assaut proprement dit) peinent à instaurer une certaine tension. Le découpage se montrant alors parfois assez aléatoire et, surtout, la mise en scène de l’attaque à Abbottabad en vision subjective et embardées agitées à la manière d’un FPS en déréalise complètement la portée et neutralise toute possible immersion.
Il est aussi question de la traque du messager de Ben Laden, menée ici par deux agents pakistanais conduisant inlassablement dans les rues armées de leur iPad et de mini-caméras sans que l’on ressente la moindre urgence. Très premier degré, versant dans un triomphalisme plutôt marqué, Code Name Geronimo n’a pas d’autre intérêt qu’être intrinsèquement lié à Zero Dark Thirty.
Il a en tout cas le mérite d’annoncer son programme dénué de toute confrontation dérangeante avec les évènements, car si l’ouverture du film, comme celle du Bigelow, est une scène de torture, elle est ici extrêmement soft puisque le prisonnier interrogé est soumis à une simple "agression" verbale censée lui foutre la pression et le secouer psychologiquement. On a connu de grosses engueulades beaucoup plus traumatisantes.
SEAL TEAM SIX: THE RAID ON OSAMA BIN LADEN
Réalisateur : John Stockwell
Scénariste : Kendall Lampkin
Producteurs : Nicolas Chartier, Tony Mark, Harvey Weinstein, Bob Weinstein…
Photo : Peter Holland
Montage : Ben Callahan
Bande originale : Paul Haslinger
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h40
Sortie américaine : 4 novembre 2012