Cloud Atlas

Six plots and a movie

Affiche Cloud Atlas

"Mon expérience en tant qu’éditeur m’a conduite à mépriser les flash-backs, les flash-fowards et tous ces artifices faciles d’écrivains. Mais je pense que si vous êtes capables de suspendre votre patience quelques instants, vous réaliserez qu’il existe une logique à ce récit de fou."


Pouvait-on désigner plus limpide note d’intention que cette phrase prononcée dans le prologue de Cloud Atlas ? Avec ses six intrigues séparées dans le temps, le nouveau film des Wachowski - associés sur ce coup avec le cinéaste allemand Tom Tykwer - aurait en effet de quoi effrayer plus d’un spectateur. Pensez donc : comment relier le parcours d’un notaire rencontrant des aborigènes en 1850 avec celui d’un musicien homosexuel se mettant au service d’un compositeur autrichien ? Comment faire côtoyer l’enquête d’une jeune journaliste des 70’s pour déjouer le complot d’une centrale nucléaire avec le récit contemporain d’un éditeur enfermé à ses dépends dans une maison de retraite ? Et comment rattacher tout ceci avec l’émancipation d’un clone dans un Neo-Séoul futuriste avant qu’une apocalypse n’entraîne l’Humanité vers la régression ?

Basé sur un roman de David Mitchell, Cloud Atlas avait tout d’un authentique cauchemar d’adaptation. La structure en pyramide montante puis descendante ne pouvait décemment pas supporter une retranscription littéraire, les connexions thématiques entre chaque intrigue n’apparaissant qu’à fortiori, une fois le livre reposé sur la table de chevet. Largement inspiré des travaux de Friedrich Nietzsche sur l’Eternel Retour et par le concept d’Ame Supérieure de Ralph Waldo Emerson (le poème Brahma était ouvertement cité), La Cartographie Des Nuages ne pouvait qu’attirer l’attention des auteurs de Bound tant sa dimension transcendantale trouvait déjà un écho dans Matrix Revolutions (Thomas Anderson faisant don de son humanité au dieu des machines dont la forme de Soleil symbolisait le savoir platonicien) et la course finale de Speed Racer (l‘art comme moyen de recréer le Monde).

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"Les conventions sont faîtes pour être transcendées." Cette phrase, déclamée par un personnage de compositeur musical, résonne comme une synthèse des ambitions des Wachowski. Après avoir réinventé le langage cinématographique via les délirantes expérimentations d’Art Dynamique de Speed Racer, les voici se pencher sur une nouvelle manière de raconter des histoires en plaçant le montage comme composante essentielle d’une authentique symphonie. Au lieu de raconter six histoires différentes, Cloud Atlas en racontera une seule, dont les fragments se répercutent à travers le temps et l’espace. Gardien de la sagesse primordiale, le narrateur qui ouvre le récit nous contemple tel un cyclope de son unique œil, comme une invitation à plonger dans le miroir de l’Humanité. Le voyage formera une boucle (Tom Hanks déterrant les vestiges de festins cannibales au XVIIIème siècle / Tom Hanks tuant les cannibales d’un monde post-apocalyptique où l’Homme a régressé) et sera relayé par plusieurs voix n’en formant au final qu’une seule.
"Truth is singular. Its versions are mistruths" énonce le personnage du clone Somni-451 en prélude de son interrogatoire. Une réplique qui renvoie directement à Nietzsche et sa conception de la philosophie comme art : "Il n’y a pas de Vérité, seulement des interprétations". Ces interprétations prendront la forme d’un journal intime, de lettre épistolaires ou d’un roman transformé en long-métrage. Chaque récit inspirera le parcours personnel d’un autre personnage, chaque trajectoire individuelle est susceptible de trouver son prolongement dans celle d’une autre passée ou à venir.

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D’une finesse exemplaire, le montage et l’écriture scénaristique permettent d’établir les connexions entre chaque trames à priori antinomiques, le tableau général se dévoilant seulement à la fin. Il y est question de la révolte des minorités (les noirs, les homos, les vieux, les clones), de karma (l’âme d’un compositeur tyrannique sera enfermée dans une autre vie dans son château transformé en maison de retraite), de l’art comme moyen de se transcender… Chaque transition entre les époques se joue sur un motif esthétique (des trombes d’eau emportent des policiers à Neo-Séoul / Luisa Rey se réveille dans sa voiture en train de couler), narratif (un personnage lit le récit d’un autre), thématique (l’éditeur et le clone enfermés dans leur cellule respective) ou symbolique (la vision de la mort et sa porte qui s’ouvre) de sorte que la richesse de l’œuvre apparaît intuitivement au public. Cloud Atlas parle ainsi davantage au cœur que la trilogie Matrix qui, elle, nécessitait un vrai travail de l’esprit en exigeant parfois une prise de recul émotionnel.
Reposant un peu sur le même principe que le Holy Motors de Leos Carax dont il serait le pendant entertainment et moins nombriliste, le métrage grime ses comédiens pour leur faire interpréter différents rôles à différents époques, de différents sexes et de différentes ethnies. Ce procédé trouve sa justification première dans le concept d’Ame Supérieure symbolisée ici par une tâche de naissance commune à tous les esprits libérés. Un thème qui entre forcément en résonance avec le parcours de la réalisatrice Lana Wachowski, ex-Larry et première personnalité transsexuelle d’Hollywood à avoir affirmé ouvertement sa différence tout en rappelant, film après film, que l’essence de l’être ne réside pas dans une enveloppe charnelle.

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Mais ces maquillages sont aussi un formidable ressort ludique permettant d’établir des passerelles entre les différents récits pour n’en former qu’un seul, universel. Que l’on navigue entre la comédie burlesque, le polar ou la science-fiction, "l’esprit humain écrit son histoire et doit la lire" (Emerson).
Cloud Atlas est ainsi une œuvre charpentée entièrement autour de l’idée d’un récit comme miroir de l’inconscient collectif, les notions d’appel de l’aventure, de passage du premier Seuil (insert judicieux sur Somni quittant son restaurant entre deux séquences de Luisa Rey dont la vie va basculer) ou de combat contre le dragon (la figurine de St-George trônant sur la piano et que Frobisher détruira en rêve), étant tour à tour évoquées. La dernière partie du film sera quand à elle traversée par l’idée d’acceptation de la Mort comme figure d’éternité, notamment via la musique composée par Frobisher et reprise par les clones menés à l’abattoir
A travers le sort du personnage de Frobisher, c’est la notion d’une rupture sans regret ni remord avec le passé qui émerge, tandis que le parcours du notaire Adam se libérant de son contrat avec les colonialistes vient sonner le glas du fantasme de la cité idéale (le couple Adam / Tilda trouvant son devenir dans celui de Somni / Hae-Joo Chang). Auparavant, Zachary aura découvert le son creux de son idole divine au cœur d’un observatoire en forme de fleur de lotus (symbole de l’éveil chez les bouddhistes). La réconciliation avec l’Amor Fati peut enfin avoir lieu, l’amour du temps présent devenant un fragment d’éternité. Et le récit de revenir sur son narrateur, gardien de la sagesse dont la marque en forme de comète est enfin dévoilée à l’arrière du crâne.

Emerson écrivait que "si toute l’histoire est dans un homme, elle peut être toute expliquée par l’expérience individuelle." La grande force de Tom Tykwer et des Wachowski est d’être parvenu à incarner à l’écran cette idée complexe. Après tout, de la trilogie Matrix à Speed Racer, le cinéma des Wachowski a toujours consisté à rendre intelligibles et concrets des concepts philosophiques abstraits. Maintenant qu’ils ont dessiné la cartographie des nuages, ne leur reste plus qu’à atteindre Jupiter...
 
9/10
CLOUD ATLAS
Réalisateurs : Lana Wachowski, Tom Tykwer & Andy Wachowski
Scénario : Lana Wachowski, Tom Tykwer & Andy Wachowski
Production : Lana Wachowski, Tom Tykwer, Andy Wachowski, Grant Hill & Stefan Arndt
Photo : John Toll & Frank Griebe
Montage : Alexander Berner
Bande Originale : Tom Tykwer, Johnny Klimek & Reinhold Heil
Origine : USA / Allemagne / Corée du Sud
Durée : 2h52
Sortie Française : 13 mars 2013




   

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