A.C.A.B.

L'ordre et la matraque

affiche ACAB

Bon sang ne saurait mentir ! Stefano Sollima se montre digne de son père Sergio Sollima, une des figures phares du ciné de genre transalpin, en signant en guise de premier film un bel uppercut.


Jusqu’à présent, le fiston Sollima s’était avant tout illustré dans la réalisation d’épisodes de séries italiennesdont celle tirée du film de Michele Placido Romanzo Criminale. Ici, il adapte un roman de Carlo Bonini, écrivain-journaliste qui y exposait les dérives policières et le fascisme rampant en navigant alternativement entre les points de vue des policiers et des hooligans. A.C.A.B. (acronyme utilisé par les ultras et signifiant "All Cops Are Bastards") le film procède à un resserrement narratif et nous plonge quasi exclusivement dans le quotidien d’une brigade anti-émeute italienne, autrement dit des C.R.S, où l’on suit plus particulièrement l’intégration d’une jeune recrue idéaliste parmi le groupe soudé autour des tronches burinées de Cobra, Negro et Mazinga.
Trois figures emblématiques marquées par l’ambivalence et ce dès la séquence pré-générique où leur présentation semble les cantonner dans un premier temps du mauvais côté de la loi avant que leur appartenance à la caste policière ne nous soit dévoilée. Un premier choc que le reste du métrage va s’évertuer à perpétuer en s’ingéniant à déstabiliser les sentiments, voire le jugement moral, des spectateurs. Des flics ne faisant pas que flirter avec l’extrémisme qu’ils combattent sur tous les lieux de manifestations, que ce soit dans les rues ou les stades mais qui pour eux est un mal nécessaire à employer s’ils veulent vraiment être efficace. Une frontière ténue, donc et parfaitement symbolisée par le personnage de Cobra (fantastique Pierfranciso Faveli au charisme troublant) qui sifflote régulièrement l’hymne anti-flic des hooligans ("Flics anti-émeute, fils de putes") comme pour se moquer et tout à la fois se motiver. Une manière également de défier de manière ironique les positions morales de la société puisque leurs actes semblent donner raison à ce chant.

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L’ambivalence des protagonistes va également se répercuter sur le spectateur car si la condamnation en bloc de leur violence est une réaction logique, elle sera pourtant tempérée par les difficultés auxquelles ils sont confrontés (sur le terrain comme dans leurs foyers). Non pas que les contre-champs proposés minimiseraient ou excuseraient leur comportement mais permettent de saisir des motifs de compréhension à leur basculement.
Ainsi, Sollima rejette tout manichéisme primaire pour s’évertuer plutôt à traiter sur un pied d’égalité la nouvelle recrue "innocente" et les "affreux" censés le former, chacun étant ainsi capable d’un geste répréhensible comme de bienveillance.
Plus fort, le réalisateur travaille à flouter les différences entre les groupuscules fascistes attisant la haine des étrangers et ces policiers d’un genre particulier dans leur représentation, que ce soit dans leur accoutrement ou vie de groupe. Ainsi, Mazinga sera amené à assister à un pogo endiablé de ces crânes rasés et que reproduiront plus tard ses propres co-équipiers pour fêter l’acquittement d’un des leurs.
De plus, Sollima accentue le malaise et la compassion conjuguée en montrant ces trois vétérans éprouvant les pires problèmes avec leur famille (séparation et problème de garde d’enfant pour l’un, fils fricotant avec le milieu qu’il combat pour un autre…), ce qui aura tendance à leur faire perdre un peu plus pied, mais en montrant également à quel point ces soldats sont méprisés par la population instrumentalisés par les institutions politiques et juridiques. Dès lors, ils vont s’investir un peu plus (un peu trop ?) dans la famille de substitution que constitue leur unité. Des hommes capables des pires bassesses ou ignominies mais également des sentiments les plus nobles (solidarité, sacrifice,…).

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Un film d’une âpreté et d’une intensité dramatique allant crescendo et qui se montre d’autant plus remarquable qu’il ne sacrifie pas les codes du genre au profit d’un réalisme à tout crin. Au contraire, Sollima se focalise avant tout sur la cinégénie et la dramaturgie de son récit et au passage bonifie sa fiction en l’appuyant sur des événements réels (manifestations durement réprimées durant la réunion du G8 de 2001, morts d’un policier et d’un supporter en 2007) ce qui a pour conséquence d’en accroître la portée tout en questionnant habilement, par le biais de ces personnages, le recours à des mesures répressives et leur acceptation ou dénonciation. On échappe ainsi à un film-tract limité à sa charge critique grâce à une puissante caractérisation et donc implication émotionnelle du spectateur (ça change des blockbusters se donnant des grands airs de noirceur chaotique). Ainsi, impossible de rester de marbre, notamment devant la séquence d’expédition punitive qui cristallise leurs frustrations et ressentiments ou lors de la conclusion durant laquelle nos ordures feront face à leur destin. Aucune rédemption possible certes, mais aucun soulagement non plus à attendre.

7/10
 


A.C.A.B: ALL COPS ARE BASTARDS
Réalisateur : Stefano Sollima
Scénario : Daniele Cesarano, Barbara Petronio, Leonardo Valenti, Stefano Sollima, Carlo Bonini (livre)
Production : Giovanni Stabilini, Riccardo Tozzi, Marco Chimenz, Gina Gardini,…
Photo : Paolo Carnera
Montage : Patrizio Marone
Bande originale : Mokadelic
Origine : Italie / France
Durée : 1h52
Sortie française : 18 juillet 2012




   

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