Princesse Mononoké

Hime à la nature

Affiche Princesse Mononoké

En cette période de succès de film avec gros arbres et filles sauvages, dire qu’un film est "écologique" équivaut à ne rien dire du tout. Depuis quelques temps ce qualificatif concerne plus ou moins tout œuvre incluant dans son scénario un bégonia ou un hamster.


Souvent accolé au mot "fable", il sous entend donc soit de la moralisation basse du front façon La Belle Verte, soit une jolie histoire pour enfant qui nous montre combien la nature est gentille belle et qu’il faut la protéger. Dans les deux cas être écolo relève, selon ces même schémas de pensés, de l’effet de mode et cela même pour des films ayant été mis en projet avant cette vague verte qui nous fera aimer le soja aux algues et le vélo sous la pluie, (certains oublient qu’un film ne se prépare pas en dix minutes).

Le problème est qu’une fable, si elle délivre en effet une morale, n’est pas, à la base destinée spécialement aux enfants et autres esprits limités, bien au contraire. L’ami La Fontaine se retournerait dans sa tombe s’il savait que ses petits bijoux sont aujourd’hui appris à des enfants qui n’en comprennent pas le quart. Une fable, quand elle est réussie doit pouvoir se lire sur plusieurs plans. Dans le film qui nous intéresse le plan écologique existe, mais il n’est, ni le plus important, ni le plus intéressant. En effet pour le cas précis de Miyazaki, la nature n’est pas un enjeu mais bien un protagoniste. Penser qu’un shintoïste considère la nature comme une simple toile de fond qui ne peut que subir l’influence et la "folie des hommes" relève soit d’un contre-sens absolu, soit d’une grande paresse intellectuelle.


Princesse Mononoke, chef-d'œuvre du maître qui le fit découvrir dans nos contrées, et qui du même coup fit comprendre à certaines personnes (à coup de tatane dans la face il est vrai) que le Japon ne se limite pas à des travailleurs serviles et des mangasses de mauvaises qualités. Miyazaki, notre vert fabuliste, livre ici une œuvre complexe, ou l'histoire peut être vue avec un nombre impressionnant de niveau de lecture. Celui sur lequel nous allons nous attarder se situe en dessous de la ceinture. D'une par ce que ce film est un récit initiatique, qui nous parle du passage d'un stade de la vie à un autre, et plus précisément du passage de l'adolescence à l'âge adulte. D'autre part parce que ça fait toujours plaisir de parler de cul.

Le film débute dans un petit village coupé de tout. Un peuple qui vit en autarcie, sans aucun contact avec le reste du japon depuis que le pays à tenter de les décimer. A mon sens on se trouve ici au sein même du cocon de l'enfance. Dans ce village il n’y a aucune femme. Ces dernières sont soit plus jeunes que lui (des sœurs) soit beaucoup plus vieille (des mères), le prince ne perçoit pas encore les filles comme des êtres sexués.

Mais cet univers protecteur ne peut durer éternellement et le premier passage, de l’enfance vers l’adolescence doit s'opérer. La mort, sous la forme d'un dieu rendu fou par la douleur, pénètre ce sanctuaire. Il brise, littéralement, les murailles de l'enfance. Le Prince, pour défendre son village doit accepter sa propre mortalité, sa malédiction, celle que nous portons en chacun de nous. La marque sur son bras est un signe d'impureté, de souillure, il ne peut rester dans le village de l'enfance, car il n'y a plus sa place. N'ayant pas d'endroit précis où aller, il est dans ce qu’on peut appeler une période de marge. N’ayant plus de foyer, il doit chercher à se purifier avant de pouvoir à nouveau trouver un chez lui.


Princesse Mononoké
 

La mort (simulée), suivit d'une période de marge, où le mort est considéré comme impur, avant qu'il ne puisse réintégrer le monde des vivants une fois purifié est un mode opératoire présent dans pratiquement toutes les sociétés, et pour tous les stades où l'individu vit un changement (naissance, mort, accouchement, mariage). Van Gennep dans Les Rites De Passage décrit très bien ce phénomène
C'est donc sur cet entre deux que se concentre le film.

Le moyen de se purifier se trouve dans la fameuse phrase : "Porter un regard sans haine sur le monde". Magnifique pléonasme qui n'est pas sans rappeler le "Va je ne te hais point" de Chimène à Rodrigue. C'est donc en regardant le monde sans haine, c'est à dire avec amour qu’Ashitaka pourra retrouver son statut de vivant. La période de marge correspondant à l'adolescence commence pour lui et ce n'est qu'en trouvant l'amour qu'il pourra devenir un adulte.


Après la découverte du monde extérieur, la violence, l'argent, le pouvoir, il pénètre dans la forêt. Nous reviendrons sur la symbolique des lieux plus tard.

C'est donc par hasard qu'il tombe sur la princesse (ouais, un prince ça tombe amoureux d'une princesse !). Dans cette scène, une des plus marquantes du film, Ashitaka tombe amoureux de San. En même temps on peut le comprendre, même couverte de sang elle n’est pas moche la petite. Mais ce qui est décisif, c'est que San est le premier être réellement sexué qu'il rencontre.

Tout d'abord, malgré le fait qu'elle vive dans la forêt elle sait rester coquette et exercer son pouvoir de séduction (même inconsciemment). Pour une fille louve elle est d'une grande féminité, comme en témoignent les divers bijoux, même rudimentaires, qu'elle porte. Diadème, bracelet, robe et surtout boucles d'oreilles luisant au soleil, dont le bruit marque le premier regard entre les deux individus.

Après que la mère louve ait débusqué Ashitaka (les mamans ça voit tout !) San  se redresse, et montre qu'elle est une femme fière, qui ne se laisse pas apprivoiser. Comme l'indique ses vêtements d'un blanc immaculé elle est une vierge-guerrière dans la plus pure tradition. Cependant elle n'est plus une enfant, et elle tient à le signifier en crachant une gerbe de sang maternel. La symbolique est encore une fois extrêmement forte.


Cependant, lorsque le prince se présente, visage découvert, la jeune fille est déstabilisée. Lors du champ/contre-champ où les deux adolescents s'observent en silence, le regard de San semble distant mais également fasciné. De plus un détail la trahit, une tache de sang est apparue sur l'épaule. Elle n'est plus la vierge guerrière qu'aucun homme ne peut atteindre, symboliquement elle n'est plus pure. Elle rejoint Ashitaka dans son statu d’impur.

Mais San se trouve déjà dans la marge symbolisée par la forêt. Elle hait le monde des adultes que représente la forge. Elle n'aura pas à être bannie. Au contraire c'est Ashitaka qui devra l'enlever à sa famille pour en faire sa femme. Pour cela il devra convaincre ses frères et surtout sa mère.


Princesse Mononoké
 

Le prince est tombé amoureux, cependant il s'est pris un gros vent, et puis ce n’est pas facile de draguer une fille quand sa mère et ses frères sont présents (surtout quand ce sont les loups géants). Il continue donc sont voyage. Dans ce métrage seul trois lieux sont importants : le village dont nous avons déjà parlé, la forêt et les forges. Le récit se base sur une opposition entre ces deux décors. La forêt est l'espace de la magie, de l'entre-deux, là où se mêlent réalité et fantasme. Elle représente la période de marge, ceux qui la subissent n'étant plus totalement vivant ils peuvent en voir plus que le reste des humains. La forge, elle, est le monde des adultes, de ceux qui ont dépassé cette marge, qui on rasé leur forêt. D'ailleurs il est intéressant de constater qu'entre la forêt et les forges se trouve un lac. Pour passer vers les forges il faut se purifier. Attention, je ne dis pas que la forêt est impure, mais ceux qui la traversent passent du monde de l'enfance à celui des adultes, pour changer de monde il faut mourir puis renaître symboliquement. Cette mort entraîne forcement une souillure qu'il faut ensuite purifier, en traversant le lac.

C'est donc ce monde qu'Ashitaka devra rejoindre un jour, mais pour l'instant il ne fait que passer. Dans ce lieu la sexualité est plus forte, moins symbolique que dans la forêt (les femmes sont d'anciennes prostituées assez délurées). Et puis la forge représente le foyer et, à la mode japonaise, l'homme ramène de quoi manger, mais une fois entre les murs ce sont les femmes qui dirigent. Ce monde-là est grouillant, bruyant, mais en s'y enfonçant on peut y trouver la sagesse et la paix, côtoyant la mort (les lépreux).

Le personnage de Dame Eboshi représente la femme, la vraie. Celle qui sait gérer son foyer et être féminine en même temps. Un fois de plus Miyazaki nous montre son amour pour le beau sexe, à qui il donne toujours un rôle exceptionnel dans ses films. Elle est ainsi le pendant adulte de San.

Ces deux femmes représentent une même réalité sous deux angles différents. Elles sont de la même essence. Ce sont des guerrières, elles refusent toute domination et sont prêtes à se battre pour ce qu’elles estiment juste ; leurs vision du monde étant parfaitement opposées elles sont vouées à s’affronter.

Mais Eboshie à plus d’expérience, et notamment une expérience des hommes. Derrière la volonté farouche de cette femme d’être maitre de sa vie, sans qu’aucun homme ne lui impose sa volonté on peut sentir une blessure. Peut être à t’elle elle-même était une prostituée. Toujours est t’il que ce principe féminin, voir féministe, que représente la maitresse des forges s’exprime également par la compassion et la volonté de contrecarrer ce qu’elle estime être une règle masculine : la loi du plus fort. Que ce soit en soignant les lépreux, en armant les femmes, où en luttant contre le seigneur local elle désire mettre les faibles et les forts sur un pied d’égalité.


A la fin de l’acte des forges Ashitaka sauve la vie de San, et retourne vers la forêt. Les deux ressortent affaiblis de cette épreuve, particulièrement le prince qui manque d'y laisser sa peau. Il n'était pas prêt à accomplir son passage. Sur le chemin du retour, juste avant de pénétrer dans les bois, il finit par s'écrouler, sans défense. C'est donc à San de l'aider. En lui sauvant la vie à son tour elle achève de tisser le lien qui unit les deux personnages. La scène où San nourri Ashitaka nous montre l'ambiguïté de ce lien. Le baiser sert à faire passer de la nourriture, à moins que ce ne soit l'inverse. Si le contact a lieu on ne sait pas encore de quelle nature est ce dernier. S'agit-il d'un rapport maternel ou amoureux ?


Princesse Mononoké
 

Il faudra attendre que San accepte et porte le pendentif de la sœur d'Ashitaka  pour que les "fiançailles" soient clairement explicitées. La famille de San accepte donc Ashitaka : le premier frère amène le cadeau, le second amène le fiancé. Et finalement la mère prononce ces mots : "Ashitaka, ne peux-tu sauver la fille que tu aimes ?". Elle passe le relais, ce n'est plus à elle de protéger sa fille et peut mourir en paix. C’est alors qu’arrive le dieu de la forêt, dieu de la fertilité (des plantes poussent sous ses pas). Il scelle en quelque sorte l'union, puisque c'est sous son regard que le prince  prend San dans ses bras pour l’amener dans l’eau purificatrice.

Princesse Mononoké
 

C’est à ce moment là que Dame Eboshi décapite le dieu cerf. Sa haine à l’encontre de la domination du plus fort, et plus particulièrement de la domination masculine s’exprime ici avec toute la rage de la vengeance. Lorsqu’elle tranche le coup de la divinité en pleine métamorphose, c'est à une véritable castration que l'on assiste. Le regard de la tireuse ne trompe pas, il s’agit d’une revanche, pas de l’exécution d’un contrat. En reniant le principe masculin Eboshi remet en cause l'équilibre qui permet l'union des deux sexes, la "punition" de la maitresse des forges sera d'avoir un bras dévoré par la mère louve, qui représente le principe féminin.
Mais la cérémonie qui doit unir San et Ashitaka ne peut continuer, il faut le Ying et le Yang. Au terme d'une course poursuite ils parviennent à reprendre possession de la relique et c'est ensemble qu'ils la rendent au dieu. C'est lors d’un plan serré sur les deux jeunes gens, enlacés et recouvert de toute par d'un liquide fertilisant et purificateur que se fait la restitution la purification et l’union tant spirituelle que charnelle.


Princesse Mononoké
 

Cela à un coût. La consommation de leur amour, qu'ils l'acceptent ou non, a provoqué la disparition de la forêt, de leur forêt. Ils en sont sortis, et appartiennent désormais à un nouveau monde.
Leur période de marge est terminée, Ashitaka est purifié, la marque de la malédiction a disparue. Au final la forêt n'existe plus et tout ce qu’elle représentait également, et même si elle repousse un jour, ce ne sera jamais la même. Cependant même si ce lieu si particulier n'est plus qu'un souvenir, il est impossible de totalement l'abandonner. Et Ashitaka promet de souvent y retourner. De retourner dans le domaine des dieux et des démons.


Ce film nous décrit donc la fin de l'enfance, la découverte de l'amour et le passage difficile à l'âge adulte. C'est évidemment sur la trame classique d'un récit initiatique, avec ses multiples morts et renaissances, que se fonde cette tentative d'analyse, qui ne porte que sur un nombre de scènes restreintes.
Je ne prétends pas avoir livré ici l'explication absolue du film, ce n'est qu'un aspect qu'il m'a semblé intéressant de traiter, même si certains de mes arguments peuvent sembler capilotractés. Des dizaines d’autres visions de ce film, de la plus littérale à la plus symbolique, peuvent être faite. Elles sont toutes aussi légitimes, voire plus, tant qu'elles restent argumentées. Mais limiter Princesse Mononoké à une "simple" fable écologique me donne envie de botter des culs.

Et ça vaut aussi pour bien d’autres.


MONONOKE HIME
Réalisateur : Hayao Miyazaki
Scénario : Hayao Miyazaki
Production : Toshio Suzuki
Photo : Atsushi Okui
Montage : Hayao Miyazaki
Bande originale : Joe Hisaishi
Origine : Japon
Durée : 143 min
Sortie française : 12 Janvier 2000




   

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