Pitch Black
Black is beautiful
Sous le feu de météorites en vadrouille, un équipage hétéroclite et peu soudé s’écrase en catastrophe sur une planète exotique, perpétuellement terrassé par la chaleur de trois soleils. Mais, la magie du cinéma aidant, les étoiles s’éclipsent afin de laisser place à la nuit et à une meute d’aliens noctambules.
Dépassant ce simple script de série B, Pitch Black va aller en s’interrogeant : Comment survivre tout en se distinguant de la barbarie ?
De la série B, le film a beaucoup d’attributs : un budget modeste pour le cinéma américain - 23 millions de dollars, de quoi réparer l’accélérateur de particules du CERN -, des acteurs peu ou pas connus et un scénario peu engageant au sein d’une réalisation indépendante. Le réalisateur lui-même n’a qu’un film à son actif, The Arrival, traitement assez original d’une invasion extraterrestre, s'étant surtout fait connaître pour les scénarios de Waterworld ou Le Fugitif. Bref, les conditions n’étaient pas particulièrement réunies pour laisser place à une  franche réussite. Pourtant, David Twohy a su réunir une équipe de qualité et offrir une réelle performance cinématographique à partir d’un scénario tout simple, et Pitch Black a été ainsi reconnu comme un film commercial réussi, divertissant et distillant une ambiance prenante. C’est pourtant omettre une bonne partie du contenu.
Déjà , c’est négliger une réussite ponctuelle et d’autant plus remarquable dans la carrière de Twohy et Vin Diesel. Reprenant le même univers avec Riddick (joué par Vin Diesel) comme personnage principal, Twohy connaîtra pourtant un gros bide malgré l’appui cette fois considérable des studios Hollywoodiens. De même pour Vin Diesel, ce film prend des airs de chant du cygne puisqu’il y est révélé aux yeux du grand public, mais ne connaîtra jamais plus un tel succès d’estime. Aujourd’hui, il a atteint le stade pré-mortem de la comédie infantile : Baby Sittor. Autant dire que sa carrière va mal.
NOIR C'EST NOIR, IL N'Y A PLUS D'ESPOIR
David Twohy s’amuse à prendre le spectateur par surprise en lui présentant à la suite des menaces différentes, sans que l’on sache finalement ce qui est le pire. A la suite de l’atterrissage contraint s’écoule la présentation d’un paysage désertique, où des squelettes gigantesques et des cheminées sortant du sol font songer à un vaste corps désormais mort. La menace semble plutôt venir du ciel, sous le poids des trois soleils qui s’enchaînent et délivrent sans cesse une couleur et une atmosphère différente. Un travail de postproduction a ainsi eu lieu sur le négatif afin d’accentuer les contrastes, renforçant la sensation de chaleur extrême, mais aussi de modifier le ciel en fonction du soleil en présence. On passe du rouge au bleu ou encore au verdâtre.
L’enjeu de survie n’apparaît pas encore clairement, puisque la promesse d’un vaisseau situé dans une base proche et surtout la technologie futuriste dont les rescapés disposent compensent largement la menace. En fait, leur seule véritable peur s’incarne dans Riddick, fugitif dangereux et nyctalope.
Pourtant, en suggérant une présence de vie hostile sensible à la lumière et en délivrant des teintes de plus en plus sombres, le film inverse complètement le tableau initial. L’ombre n’est plus un refuge face aux soleils, bien au contraire. De même, la paroi du vaisseau qui semblait assez robuste pour arrêter les rayons solaires fait pâle figure devant les nuées qui s’y jettent. Le crépuscule glisse lentement en un superbe plan où une planète surgit à l’horizon alors que le ciel est encombré par les monstres. L’image est cette fois assombrie pour délivrer des formes obscures et angoissantes. Ce crépuscule et cette perte d’horizon reviennent régulièrement au sein même du petit groupe de survivants.
Le film tranchait nettement les rôles lorsque la lumière était présente. Il y avait le croyant et l’incroyant, le gardien et le fugitif, la copilote qui commande. La perte de repères lumineux implique une redistribution des cartes. "Ce n’est pas moi qui suis le plus à craindre", n’hésite pas à affirmer un Riddick pourtant meurtrier. De manière méthodique, tous les personnages oscillent entre plusieurs caractères, chacun ayant une part d’ombre qui éclatera sous la tension ou devra être révélée pour que le groupe survive. Par exemple, l’Imam conserve absurdement sa foi dans le destin alors que tous ses proches meurent, tandis que l’antiquaire désespère et s’enfuit, provoquant la rupture d’un câble et la perte d’un générateur électrique éclairant toute l’équipe. Je reviens sur l’antiquaire car c’est lui qui connaît la fin la plus éloquente : perdu dans le noir, il chuchote un espoir pathétique de se rendre à Paris et crache une ultime flambée d’alcool, éclairant tant son dénuement que la présence d’aliens alentour. Le symbole est évident - ne parle-t-on pas d’une lueur d’espoir ? - mais dans le film cette corrélation ne fonctionne pas lorsque cet espoir est basé sur la confiance individuelle ou la technologie.  En effet, comme dans Alien ou surtout Predator, celle-ci n’est pas suffisante et doit être dépassée. Pourtant, il ne suffit pas non plus de transformer l’environnement ou de s’y fondre pour changer les règles du jeu, comme dans le film de McTiernan. La lumière passe forcément par un outil en l’absence d’étoiles, aussi rudimentaire soit-il, et donc le maintien de la lueur dépend à la fois de lui et de la foi des hommes entre eux. Or justement, le futur de Pitch Black présente des hommes qui ont oublié l’humain.
"Son intelligence était lucide, mais son âme était folle."
Au Cœur Des Ténèbres - Joseph Conrad
De cette nouvelle considérée comme son chef-d’œuvre, l’écrivain distingue Kurtz, un diamant noir, mélange de folie brute et de culture, révélateur d’une dérive grave des idéaux des lumières. Alors que la raison était censée guider les hommes et bâtir la civilisation, ce voyage au Congo nous fait visiter un processus de destruction planifié et terriblement cohérent de l’être humain. "Le futur n’est plus ce qu’il était" s’amusait à dire Paul Valéry, et ça semble vrai autant dans ce livre que dans sa reprise par Coppola dans Apocalypse Now. Dans les deux cas, le héros tente péniblement de garder son humanité tout en assumant ses responsabilités face à la sauvagerie de la nature et la barbarie des hommes dits avancés ou "éclairés".
Pitch Black reprend ce discours de façon plus nuancée. On retrouve le héros conradien dans la personne du copilote Fry (Radha Mitchell), une femme qui a hésité à sacrifier le groupe pour sauver son vaisseau et maintenant assume jusqu’au bout son refus de le faire en s’exposant régulièrement. Twohy la met face à des purs produits de la culture humaine, comme l’Imam (Keith David) qui refuse d’agir au nom de sa foi en Dieu, ou surtout John le mercenaire junky. Lui affirme au nom d’un froid réalisme que le groupe ne peut conserver que les individus utiles, et se montre prêt à sacrifier une jeune fille qui aurait ses règles, le sang attirant les bestioles de même que le drogué avec sa dose.
Kurtz symbolisait un dépouillement de toutes considérations morales, de tout respect de l’humain et une plongée consciente dans une logique quasi animale, du moins primale. Reprenant ce concept à l’extrême, il est alors logique que Riddick soit une bête humaine, voyant dans le noir et se servant des autres. Il est presque suggéré une dimension de surhomme, que ce soit dans son indifférence face à l’adversité ou cette capacité à se dépasser sans cesse, mise en scène par un spectaculaire double déboîtement d’épaules afin de s’évader. D’un face à face avec John, où la lumière verte d’une fusée éclairante diffuse une teinte malsaine, le réalisateur donne l’impression d’une similitude entre les deux hommes. Mais leur attitude face au groupe n’a que peu à voir. Riddick est dans une recherche d’absolu et de cohérence, et en cela on peut le rapprocher d’un Caligula. C’est d’ailleurs pour cela qu’il respecte la copilote Fry et sa fragile tentative de rester intègre jusqu’au bout, mais aussi qu’il respecte les barbares aliens. En quelques combats et plans d’actions, Pitch Black place Riddick toujours plus près de la bête, jusqu’à aboutir à un climax proche du ballet, où les deux êtres communiquent par yeux et gestes uniquement. Le regard de l’alien aux teintes grises et confuses est mis en relation avec la vue nocturne de Riddick exhibant le spectacle splendide et désolée de la bestialité les entourant. Il faut souligner le travail de conception de Patrick Tatopoulos, aussi connu pour son Godzilla ou les créatures de Stargate, offrant ici des aliens au visage en demi-lune à la fois originaux et inquiétants.
David Twohy inverse le schéma classique de Conrad du triomphe d’un héros humain mais fragile grâce à la disparition de Kurtz l’extrémiste. Pour autant, le message final demeure sensiblement identique.
"Si on te le demande, dis que Riddick est mort, mort quelque part sur cette planète."
C’est du cœur d’une caverne obscure – sacré Platon - que surgit un groupe largement diminué mais beaucoup plus concentré sur la vie de chacun de ses membres. De cette solidarité retrouvée, de cet altruisme évident naît une lumière "naturelle" puisque par un merveilleux deus ex machina, la petite troupe met la main dans la plus sombre des cavités sur une colonie d’insectes phosphorescents, assez pour survivre à l’extérieur. Face à l’inhumanité de Riddick, qui n’est même pas un salaud, juste un être adaptable et instinctif, le groupe oppose sa détermination forcenée à demeurer humain jusqu’au bout. Pour cela, il ira même jusqu’à l’intégrer de manière violente, peut-on dire, puisque Fry succombe involontairement en aidant Riddick, le plaçant dans un certain embarras.
Pour lui, c’est toute sa vision qui apparaît comme déficiente. Malgré sa connaissance du danger, ses propres forces et sa volonté ont failli. Littéralement, il n’a pas vu la menace venir et s’est trouvé aussi vulnérable que ceux qu’il raillait peu de temps auparavant. Mais Fry l’a empêché de subir la sanction attendue. Riddick l’individualiste meurt donc à double titre devant ce don complètement gratuit, puisque Riddick était devenu inutile. Reprenant la pensée de Marcel Mauss, David Twohy fait de l’altruisme une donnée essentielle de l’humanité.
Le film n’est pas exempt de défauts, mais parvient ainsi à délivrer un message efficace sur la fragilité de l’intégrité humaine. Véritable manifeste contre les dérives du libéralisme et du rationalisme, Pitch Black s’empare des ténèbres de la barbarie pour mieux leur opposer un humanisme perfectible mais sincère.
PITCH BLACK
Réalisateur : David Twohy
Scenario : Jim Wheat, Ken Wheat & David Twohy
Production : Tom Engelman
Photo : David Eggby
Montage : Rick Shaine
Bande originale : Graeme Revell
Origine : USA
Durée : 110 min
Sortie française : 19 juillet 2000