Le Treizième Guerrier
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- Analyse par Nicolas Zugasti le 13 janvier 2012
Vini, vidi, vikings
Jamais une œuvre finalisée, proposée au public n’aura suscitée autant de ferveur, de controverse, de spéculations et de fantasmes que Le Treizième Guerrier de John McTiernan.
Mais cela n’a finalement rien d’étonnant étant donné l’aura particulière du cinéaste, la genèse contrariée du projet et une première bande-annonce datée de 1998 (époque du modem à pédales), mettant en transe les cinéphiles épris des épopées barbares et épiques et du maître de l’action. La sortie repoussée par deux fois du film, le clash entre McTiernan et Crichton, les images des deux bandes-annonces officielles non reprises dans le métrage ont ainsi alimenté le mystère et instauré un statut d’œuvre maudite au film et qu’il faudrait exorciser en traquant les images fantômes, les scènes coupées, en recueillant des témoignages divers. La précipitation avec laquelle débute et se termine le film semble légitimer ce véritable travail de reconstitution.
A ce titre, le site Eaters Of The Dead constitue une impressionnante base de données mettant au jour toutes les pièces du puzzle et permetant aux fans du film d’entretenir l’espoir, le rêve d’un director’s cut. Cet engouement pour cette œuvre en particulier provient en partie de l’absence de film majeur d’Heroïc Fantasy ou du moins de film s’ébrouant dans un cadre mythologique et légendaire. C’est en tous cas ce que laissait présager un teaser aux images puissamment évocatrices : ombres fugitives et menaçantes, Banderas apeuré, ambiance aux tons crépusculaires, des inserts rouge sang et une accroche méchamment intrigante "Prey for the living" précédant le titre du film envisagé à l’époque, Eaters Of The Dead… Il n’en fallait pas plus pour faire décrocher la mâchoire.
Certes, le premier volet de la trilogie de l’Anneau par Peter Jackson embrasera les écrans quelques mois plus tard, rattrapant la frustration, mais au moment de la sortie du Treizième Guerrier, on n'avait rien vu dans le genre d’aussi excitant depuis le Conan de Milius en 1982. Mais les plus fols espoirs quant à une éventuelle restauration de la vision originale de McT resteront à l’état de fantasme inassouvi pour les cinéphiles et ses fans, le réalisateur lui-même ayant renoncé à une telle entreprise. A ce propos, le Blu-ray du film édité en octobre 2011 par Metropolitan permet, grâce à ses documentaires précieux, de mettre un terme à des rumeurs ou vérités infondées en recontextualisant remarquablement cette œuvre.
On se contentera donc du film en l’état qui, malgré les retouches, défauts, guerres intestines, etc., demeure un jalon incontournable de l’œuvre de McTiernan et du cinéma en général. Preuve que le talent de ce génie de la composition visuelle est irréductible à tout interventionnisme intempestif.
DU SILENCE ET DES OMBRES
Initialement classé R (public très averti !) et intitulé Eaters Of The Dead, le film a été remonté par Crichton lui-même afin d’être classifié PG-13 et se voir retitré Le Treizième Guerrier, moins agressif. Tout laissait pourtant penser que la collaboration entre l’écrivain à succès et le réalisateur de Piège De Cristal serait fructueuse et harmonieuse. L’approche anthropologique du roman, puisque principalement basé sur les faits observés précisément retranscris par l’arabe érudit Ibn Fahdlan, sied à merveille à la propre approche du cinéma de McT, principalement attaché à révéler l’humain qui se cache sous les oripeaux de l’homme d’action. Ce dernier va même plus loin dans son étude anthropologique de l’homme d’action, observant comment il use de son corps pour agir, ce qu’il exprime.
De même, la transformation du cérébral Fahdlan en héros physique correspond parfaitement aux "mutations" des héros mctiernanien qui doivent en outre en passer par un retour à un comportement primaire. Leurs actions se dessinent d’abord au travers de l’observation et de la réflexion jusqu’à ce que la dureté de l’environnement et l’enchaînement des péripéties les contraignent à recourir, à revenir, à un comportement instinctif.
La volonté de Crichton de dépouiller le mythe de ses attributs fantastiques pour en déceler l’essence correspond à la volonté de McTiernan de dépouiller ses personnages de toute aura mythologique, les faisant passer d’icônes invincibles à personnage faillibles (la trilogie du réel Die Hard / Last Action Hero / Die Hard 3). Et puis, la dualité à l’œuvre dans le roman (civilisation avancée / guerriers barbares et vikings – les vikings / les primitifs Wendols) implique une transmutation individuelle afin de trouver un équilibre (Fahdlan devenant un guerrier érudit) trouve un écho chez McT où l’on observe la même dualité qui est une prémisse à la recherche, au retour d’un équilibre.
Cependant, rien n’alla entre les deux fortes personnalités Pourtant, John McTiernan et son scénariste William Wisher avaient à cœur de respecter un ouvrage qu’ils aiment profondément. Ainsi, dans la preview de Frédéric Lelièvre pour le n°79 d’Impact, étaient rapportés ces propos de Wisher : "Il nous a fallu changer des évènements, condenser certains passages." "Mais aucun d’entre-nous n’a eu la volonté de réinventer l’histoire. Nous nous sommes vraiment efforcés de rester fidèles à l’épreuve que Michael Crichton entendait nous faire vivre avec son roman."
Quant à la note d’intention du film (et de toute l’œuvre de McT, finalement !), elle est donnée par le même Wisher, toujours dans le même numéro d’Impact : "Ce que nous apprenons des monstres, nous le devinons dans les yeux d’Ibn et des vikings." Une approche qui a toujours été au cœur de l’œuvre du réalisateur et qui, véritablement achevée, aurait encore plus décuplé le récit conté par Crichton. Ce qu’il reste de cette volonté d’exprimer par les outils cinématographiques les raisonnements et sensations des personnages est tout de même assez phénoménal. Dans sa critique dithyrambique du film dans le n°120 de Mad Movies, Rafik Djoumi précise ce qui est ici en jeu : "Si l’Histoire est la mémoire intellectuelle de l’Humanité, le cinéma pourrait bien être sa mémoire sensorielle. Ce que Spielberg cherchait déjà à faire avec l’ouverture d’Il Faut Sauver Le Soldat Ryan, McTiernan l’érige en projet total de mise en scène."
Dans le n°37 (juin 1986) de Starfix, à l’occasion de la sortie de Nomads, McTiernan exprimait déjà cette résolution : "Une personne qui compte beaucoup pour moi, au niveau de sa pensée, est française. Il s'agit d'Antonin Artaud. Il a développé une théorie selon laquelle, pour faire ressentir une histoire à un public, il faut éviter les centres logiques du cerveau, et par là même s'adresser au « cerveau reptilien » des individus, celui qui ressent les choses. C'est en touchant émotionnellement les gens qu'on les fait penser. En essayant d'atteindre le cerveau, on se heurte aux filtres des opinions reçues, des interdits sociaux, des morales. Le contraire en somme de ce que soutient Berthold Brecht sur la distanciation du public."
Cette réalisation confinant à l’abstraction pour atteindre un état purement sensitif vaut bien évidemment pour toute la filmo du maître mais trouve sans doute son plus bel accomplissement avec le présent film. Et pour parvenir à ce résultat, il faut mettre en exergue le superbe travail du directeur photo Peter Menzies (déjà  à l’œuvre sur Die Hard 3), tout en lumière naturelle ne craignant pas la sous-exposition. Une tonalité qui démontre une double intention et pas seulement un pari esthétique de toute beauté. Le rejet de sources lumineuses artificielles immerge encore plus profondément et intensément dans le récit, dans ce monde crasseux, nous en faisant ressentir toute le puissance organique (boue, sang, terre). De pus, lors des séquences nocturnes, les personnages semblent presque complètement s’effacer, comme absorbés par les ténèbres environnantes ou menaçant leurs âmes. Illustrant justement l’enjeu primordial du film, la lutte contre l’obscurantisme pour ne pas disparaître en tant qu’entité collective ou à titre individuel.
NOMADS OF THE DEAD
Le statut d’œuvre culte rapidement conféré au Treizième Guerrier n’a sans doute pas permis d’appréhender l’importance de ce film dans l’œuvre de McTiernan et à quel point son affliction a pu être aussi importante. Ce genre de film, bien avant l’écriture du livre par Crichton, McT l’avait déjà ancré. En 1974, son premier film non officiel est déjà une histoire de vikings, The Demon Daughter. En 1986, son premier long est Nomads avec Pierce Brosnan en anthropologue français débarquant sur un territoire inconnu et menaçant, Los Angeles, où il sera confronté à un groupe de marginaux (émanation de ses propres démons ?) dont l’étude comportementale deviendra une obsession. Nomads porte en lui les germes du Treizième Guerrier, comme une version plus éthérée. Dans les deux, on retrouve cette plongée d’un intellectuel homme de sciences / homme de lettres) au cœur d’une culture étrangère fascinante. Plus que le reflet inversé de Nomads, Le Treizième Guerrier en représente une incarnation physique. Comme si les esprits inuits tourmentant Pommier acquéraient une certaine consistance pour être désormais figurés en tant que Wendols.
McT va plus loin que le simple fait de passer d’une représentation intangible à une réalité physique. Il troue le voile de la dimension fantastique créé pour parvenir au cœur du mythe et en apprécier la teneur. C’est éminemment le cas ici avec Ibn s’aventurant en terres vikings soumises aux superstitions et aux croyances magiques (vieilles oracles mettent sur les héros sur la voie par la constitution du groupe des 13 puis les interpellant sur l’existence d’une grotte abritant la mère des Wendols) et qui en dévoile les artifices (c’est lui qui découvre que le dragon de feu n’en est pas vraiment un et que les Wendols ne sont pas des créatures fantastiques mais des hommes) et contempler la grandeur cachée. Ce travail se manifeste dans les relations de l’émissaire arabe avec Buliwyf et la manière dont ce dernier va peu à peu devenir le pôle d’attraction. L’asymétrie caractéristique de la composition des cadres de McT pour optimiser le Scope prend ainsi une signification toute particulière dès lors qu’elle est appliquée à Buliwyf. En effet, s’ilest toujours cadré en bord cadre, c’est aussi pour montrer qu’il est l’objet d’étude de Fahdlan et inversement, ce dernier étant à son tour observé par le guerrier viking. Les deux hommes vont peu à peu reléguer leur méfiance mutuelle pour apprendre à se connaître et ainsi, à mesure que Buliwyf va prendre de l’imprtance dans le récit (par ses actions, son commandement, son charisme), sa stature va s’imposer d’elle-même et permettre au viking de réintégrer le centre du cadre lors du magnifique plan funèbre final.
LA SOMME DE TOUTES LES PEURS
Tandis que Die Hard With A Vengeance mettait en scène des être mythologiques (les demi-dieux Simon Gruber, John McClane accompagné de Zeus…) pénétrant, intégrant le monde réel, celui de l’homme de la rue, Le Treizième Guerrier formalise l’interaction du monde réel des lettres, de l’intellectuel, avec l’univers mythologique des vikings, plus sensitif. Le chant épique de McT poursuit même les expérimentations de Die Hard 3, voire les complète, par la fluidité des mouvements d’appareils (la course, derrière les barricades, de Fahdlan et Herger pour rejoindre un autre point du fort) perturbée par les heurts d’un reportage documentaire s’intensifiant à mesure que l’histoire plonge dans le chaos. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls renvois du Treizième Guerrier aux autres œuvres de McTiernan et plus que comme un film somme, on peut ainsi le considérer comme un film charnière.
On retrouve ainsi le primitivisme de Predator, la tonalité terreuse, boueuse, du final muet, qui recouvre cette fois-ci tout le métrage. Ce même affrontement des propres démons des héros mctiernanien. C’est exactement le sens de la plongée dans la grotte des Wendols puis de l’antre de la Mère pour Buliwyf.
On retrouve également la propension de McTiernan a formalisé un monde à la fois immense et clos. Et où la réduction de l’espace, d’action, vital, confine à une réduction de l’humanité : la tranchée où s’affronte le Predator et Dutch, les conduits de Piège De Cristal, la grotte des Wendols.
Comme tous ses films, on retrouve l’arrachement à son milieu naturel et son corollaire indispensable à la survie, l’intégration à cet univers étrange et étranger. Et cela passe par un regard anthropologique valable pour tous les héros de ses films : l’action, pour être décisive doit découler de l’observation. Plus qu’un choc des civilisations, de cultures, il s’agit avec Le Treizième Guerrier de faire cohabiter ces cultures.
On a vraiment le sentiment que McT avec cette œuvre somme concluait un premier cycle où tous ses thèmes de prédilection trouvait une forme d’accomplissement dans l’étude du Héros, comme un point d’orgue à la mort progressive du héros surpuissant : de Predator avec un Schwarzy hagard à Last Action Hero où on le voit agoniser, Le Treizième Guerrier montre le conan blond Buliwyf mourir sur son trône. Pas seulement figé dans sa magnificence mais totalement intégré à la trame que McTiernan a méticuleusement tissé. A l’instar du chant entonné chacun à leur tour par les frères d’armes avant l’assaut décisif, constituant une véritable communion de cœur et d’esprit, Le Treizième Guerrier fait résonner en un grandiose poème élégiaque toutes les spécificités du héros mctiernanien mises à jour par ses précédents métrages.
THE THIRTEENTH WARRIOR
Réalisateur : John McTiernan
Scénario : Micahel Crichton, William Wisher, Warren Lewis
Production : Lou Arkoff, Michael Crichton, John McTiernan, Andrew G. Vajna
Photo : Peter Menzies Jr
Montage : John Wright
Bande originale : Jerry Goldsmith
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h42
Sortie française : 18 août 1999