Inglourious Basterds
Hitler d'un con
Une "série Z indigne qui ne soucie même plus de son public" pour certains, un mauvais téléfilm en carton-pâte pour d'autres. Vraiment ?
DU DÉTAIL AU PLAISIR
Pendant la majorité du film, on regarde paisiblement des personnages parler entre eux, assis à une table. L'impression qu'il ne se passe rien, qu'il n'y a rien à voir. Une impression. Car évidemment, Tarantino exploite les détails pour mieux révéler des informations sur les personnages, et le changement d'état au cours de l'action parlée. Et puis, c'est aussi l'occasion d'ajouter des petits touches d'humour, jouer avec les repères présentés aux spectateurs. À l'exemple de la pipe, qui se retrouvera opposée à celle du colonel un peu plus tard dans la scène. D'un côté, un objet modeste, de l'autre, une trompette farfelue.
CECI EST UNE ELLIPSE
Comme à son habitude, Tarantino nous propose une galerie variée de personnages. Bien sûr, la difficulté c'est d'arriver à nous les présenter clairement sans alourdir le rythme/la durée de l'histoire. C'est pourquoi il va directement à l'essentiel
Pour cette fresque, Tarantino se concentre directement sur les points essentiels de l'histoire, sans tenir compte des limites temporelles ou spatiales. D'une scène à Londres, on passera directement à une petite taverne perdue dans un coin paumé d'Allemagne. Sans perdre en fluidité, on sait ce qu'il se passe. C'est encore plus frappant quand il doit nous présenter sa galerie de personnages, ce qui l'amène à jouer parfois sur deux ou trois espace-temps différents sans jamais alourdir le récit.
Autre exemple, on vient à peine de découvrir les basterds qu'une ellipse nous fait passer à Hitler, fou de rage d'apprendre ce qu'ils font à son armée. D'ailleurs, la coupe introduit un champ/contre-champ parfait où tout s'oppose, de la place du perso dans le cadre à son environnement. Et encore une fois, l'humour apparait tout naturellement (bien amplifié par les "non" de Hitler).
LE TÉLÉFILM DE LA MORT
On a peut-être tendance à l'oublier mais une réplique n'est rien sans sa mise en scène, son contexte. Heureusement pour nous, Tarantino connaît les différentes échelles de plans et leurs apports émotionnels, narratifs, nécessaires pour faire exister un dialogue. Dans la plupart des scènes du film, l'action est filmée en plans rapprochés pour être au plus près des personnages, assis autour d'une table. Se faisant face au cours de discussions parsemées de mouvements circulaires traduisant l'évolution des rapports.
Cet aspect intimiste et calme se retrouvera pourtant bousculer par des gros plans, que ce soit des détails apparemment anodins (mais offrant un repère visuel important, voir le premier paragraphe), ou alors des visages. C'est par exemple à partir de ces plans-là qu'on quittera un Landa, courtois et sympathique pour découvrir le terrible colonel "chasseur de Juifs". À noter que jusqu'alors, seul LaPadite avait eu le droit au traitement gros plan, soulignant sa frayeur. Et lors des contre-champs sur Landa, Tarantino affirme bien la domination du colonel sur le fermier français, qui de dos, est littéralement écrasé.
Plan qui sera achevé quelques minutes plus tard par celui-là (zoom lent) :
TARANTINO LAPADIT
Il n'y a pas que dans les dialogues que Tarantino interpelle (subtilement) le spectateur, l'amenant à comprendre de lui-même certains aspects ou détails de l'histoire. Voici une autre facette de la mise en scène de papy Tarantino, celle où les dialogues font place à une autre musique…
"Une jeune femme lève le voile sur l'horreur à venir, l'escorte d'un officier SS au loin, Vroom, Vroom"
"Un nazi écoute l'Ours Juif chantonner de la batte de baseball, Poum, Poum"
DU PLAISIR AUX DÉTAILS
Dans la continuité du paragraphe précédente, il faut aussi ajouter l'importance d'un geste, d'un regard, d'un accent, d'un habit… Autant de petits détails qui vont souvent tenir une place très importante au coeur de la narration. Et par extension, de la mise en scène.
• Le verre de lait : Shoshanna s'impose comme l'héritière directe de LaPadite.
• Trois verres, trois doigts, la manière allemande : moment décisif de la scène.
L'ABYME EN MISE
Comme on vient de le voir, Tarantino sait tirer avantage de la suggestion, de l'intelligence (émotionnelle) de son audience. C'est pourquoi il finira par nous interpeller violemment sur notre plaisir coupable. La suite après les images :
Dans la même idée, vous remarquerez que le film de propagande est le seul moment où l'on voit effectivement des Nazis massacrer des soldats alliés (le mexican stand-off du bar ne compte pas, situation lose-lose par excellence) tandis que les basterds sont les seuls à massacrer des Nazis violemment (les scalps, batte de baseball...).
C'est-à -dire que la fiction (Inglourious Basterds) fait écho à la fiction du film (La Nation Du Peuple), ce cercle infernal vient interroger le spectateur au coeur même de son expérience de spectateur - son plaisir, sa morale, son camp. Une expérience qui reste gravée dans (sur) la tête du spectateur, première véritable victime des basterds.
CECI EST DU CINÉMA Z…
La mise en scène de Inglourious Basterds fait donc intervenir l'intelligence du spectateur en passant par des détails, des répétitions, des non-dits amenés par l'image. Le film vient aussi titiller les émotions du spectateur, de la comédie à la peur, en rythmant soigneusement les scènes, exploitant les possibilités de la caméra. Tout en amenant le spectateur à (re)considérer son rapport au Cinéma, par le cinéma.
Mais bon, faut pas trop en demander non plus à une série z méprisant son audience...
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