Aide-toi, le ciel t'aidera
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- Série TV par Clément Arbrun le 23 janvier 2014
The F world
Aide-toi, le ciel t’aidera est un cap. Délaissant le cadre de la grosse caricature aux traits visuellement appuyés, ce premier épisode de la deuxième saison transcende le concept originel (la satire de l’american way of life) pour mieux imposer la spécificité même du divertissement à la Groening : se centrer sur les personnages.
N’oublions pas que Futurama se concluait non pas par un délire démesuré de Science-Fiction, mais par une romance émouvante entièrement consacrée au "couple" du show. Une note d’intention.
Les Simpson se concentre en permanence sur le rapport entre la qualité humoristique d’un personnage et ce que cache cette façade, à savoir la facette humaine (le défaut) et la compréhension de ce défaut par le personnage. Homer fait rire parce qu’il est gros, bête et méchant. Marge est la mère au foyer bougonne et perfectionniste. Lisa est la petite je-sais-tout qui parle trop. Bart est le rebelle dans l’âme, dont le degré d’attention est aussi fuyant que son skateboard lors du générique de début. Et l’objectif sera alors de délaisser ne serait-ce qu’un temps le potentiel humoristique de ces caractéristiques pour mieux se consacrer à l’auto-analyse et à l’enrichissement des personnages, en les rendant plus complexes.
Et c’est là toute l’histoire de Aide-toi, le ciel t’aidera.
Petit résumé : Bart doit valider sa prochaine interrogation s’il ne veut pas redoubler. L’insouciant semi-délinquant devient alors fataliste : malgré le miracle qu’il demande (une journée supplémentaire pour réviser), et qui finalement se réalise, Bart Simpson devra affronter… l’échec. Effectivement, lors d’une scène particulièrement réaliste, le cancre se voit, après tant d’efforts, accoucher d’un F. Bien sûr pour ne pas trop brutaliser le spectateur (qui s’est attaché à Bart tout au long de l’épisode, assimilant ses soucis, son stress, son incapacité à travailler), une fameuse happy end à la Capra suivra. Mais l’essentiel, ce que retient le plus le public, c’est le message de l’épisode : là où Bart le génie (première saison) ne faisait que jouer de l’archétype Bart, il s’agit ici de définir le personnage pour mieux finalement contester son statut.Â
Tout au long de l’épisode, Bart sera alors rabaissé. Qualifié de minable "bête comme ses pieds", humilié par la réussite de sa sœur et par son rival Martin Prince ("Un chimpanzé avec les yeux bandés et un crayon entre les dents aurait plus de chance que toi de réussir ce contrôle."), le parcours qu’il suit aboutit qui plus est à un cinglant échec. Comme s’il était impossible de réécrire Bart Simpson (après tout, même les épisodes futuristes de la série peignent en Bart un loser indécrottable). Comme s’il n’était qu’un personnage-cliché, prévisible, fini, une blague de sitcom, dont l’unique rôle serait de tout foirer en amusant la galerie, malaise s’il en est de la caricature sur pattes dénuée de toute substance émotionnelle. Certitude surlignée quand Edna Krapabelle lui annonce ceci : "J’aurais pensé que tu t’étais habitué à l’échec, que ça ne te toucherait plus.". Réplique qui pourrait être celle du spectateur, habitué aux frasques du simili Tom Sawyer, et surpris par le climax sentimental de fin.
Opter pour le revers de la médaille (la popularité de Bart provenant de son inadéquation avec le système scolaire, et le système tout court), c’est ne pas douter de l’intelligence du même spectateur, qui sera par la suite habitué à voir de tels personnages se complexifier. Tout comme l’habituellement impertinent Bart se retrouve finalement dans la peau d’un simple gosse pathétique (pleurant sa médiocrité), le rigolo Ned Flanders deviendra une figure tout aussi dramatique dans Adieu Maude.
De manière tout à fait pertinente, le critique Doug Walker analyse, non sans digressions touchant à son propre vécu (preuve en est alors du pouvoir d’identification inhérent à la série), la spécificité de cet épisode ("A mon avis, c’est l’épisode le plus dramatique qu’ils aient jamais fait"), qui mêle de la "bonne comédie" à du "bon drame" et met de côté l’humour énorme pour mieux traiter d’un sujet grave : l’inéluctabilité de l’échec. Cet échec prend la forme d’un problème d’ordre psychologique. Le Bart rebelle est en fait un loser conditionné par son mental, qui semble condamné à vivre ainsi, comme Bart Simpson, c'est-à -dire comme un perdant :Â
"Je pense que nous sommes confrontés à un cas classique de ce que le profane appelle la peur de l’échec. Cette peur fait de Bart un cancre notoire et cependant il semble en être…. Comment dirais-je ? En être fier."
Or, le but de Bart Simpson semble désormais se modifier en se résumant à cela : transcender le cliché Bart Simpson (en révisant, en souhaitant réussir), nier les paroles préconçues l’immortalisant comme un crétin, lutter contre le poids de cette image pesante, celle que l’on a tous de Bart Simpson, à savoir, un raté sympathique et sans avenir, dont les cheveux hirsutes symbolisent d’emblée la mise au ban sociale (le désordre).
Fait intéressant, et inédit jusqu’alors dans la série : un personnage semble lire son propre descriptif scénaristique, le synopsis lui étant attribué, et s’en morfondre, en énonçant : "Je suis qu’un raté, un minable." (or, icône de la culture pop, Bart représente la régression à l’état pur). En-dehors de l’universalité des propos (chacun a été, un jour, paralysé par la peur de l’échec), c’est un sous-texte autoréflexif qui se dégage. Bart Simpson ne veut plus être Bart Simpson, et comprend que tout le monde le perçoit de façon limitée et uniforme, comme si le scénario était déjà écrit d’avance. C’est en dépassant ses faiblesses, et en dépassant le cadre du "Bart Simpson pour les nuls" (feignant, farceur, perturbateur), que le fiston Simpson parvient à s’offrir sa fin heureuse. Aide-toi, le ciel t’aidera use du sentimental (avec un ultime penchant pour le mélodrame) afin de donner chair à des êtres animés et traiter des liens qu’entretiennent les personnages entre eux, et de la relation entre les personnages et les spectateurs. C’est là l’ambivalence d’une série qui passe du gag parodique à l’humanisme (il suffit d’observer le traitement réservé à la mort tout au long des saisons).
Si Bart restera un cancre tout au long des saisons qui suivent (et, détail comme un autre, demeurera toujours dans la même classe !), il aura tout de même, à l’occasion d’un épisode, grandit aux yeux des fans. Le concept propre d’un show comique, où le personnage ne doit pas changer (puisqu’il plaît au public) tout en le devant (l’enrichissement étant indispensable à la survie artistique). Un exemple similaire, à ce titre, serait la série Community, où la question du changement n’est pas tant "comment faire les mêmes actes différemment ?" mais "comment évoluer en restant le même ?".
A partir de la deuxième saison, Les Simpson ne sera ainsi pas seulement plus rigolote, mais également plus audacieuse et subtile, jouant de notre perception des caractères et de ce qu’ils évoquent, introspection précieuse s’il en est pour une des rares séries à être immédiatement devenue "culte".Â
PS : pour ceux qui n’ont pas encore eu la bonne idée de visionner les nombreuses vidéos du Nostalgia Critic, voici la fameuse chronique qu’il consacre à Les Simpson :
Et la seconde partie où il est question de Aide-toi, le ciel t’aidera en fin de vidéo :