Invasion Los Angeles

Reagan de toi

Affiche Invasion Los Angeles

C'est la crise. Oui, encore, mais elle était déjà là en 1988 lorsque John Carpenter concocte cette Invasion Los Angeles (titre français bien réducteur de They Live), composant avec Prince Des Ténèbres le diptyque low budget faisant suite à l'échec cinglant des Aventures De Jack Burton Dans Les Griffes Du Mandarin.


L'incompréhension que suscita à Hollywood et chez les spectateurs son hommage détonnant au cinéma de Hong-Kong, arrivé une bonne quinzaine d'années trop tôt, laissa très amer un Carpenter qui s'était énormément investi dans le projet (jusqu'à se mettre en scène dans le clip de la chanson du film composée avec son groupe The Coup de Villes). Vénère, le père John se lança cour sur coup dans Prince Des Ténèbres (le fils de Satan arrive sur Terre, prend possession des pauvres hères et clochards aux alentours afin qu'ils le protègent) et cette Invasion Los Angeles avec laquelle le cinéaste explore plus encore la domination et manipulation des faibles par les puissants.


"En voilà un qui voit"
C'est dans une Amérique reaganienne qui se préoccupe fort peu des classes les moins aisées que déambule John Nada (le lutteur Roddy Piper), allant de villes en villes dans l'espoir de trouver du boulot. Engagé sur un chantier à Los Angeles, Nada intègre une communauté de sans-abris dans laquelle se dissimule un groupe de rebelles sur le qui-vive : ils viennent de mettre au point des lunettes qui permettent de voir ce qui se cache sous le vernis de la société.


Invasion Los Angeles
 

"Ne conteste pas les ordres", "Suis la mode", "Marie-toi et reproduis-toi". Les images, depuis devenues cultes, de ces panneaux et articles intimant aux citoyens de suivre les voies d'un mode de vie profondément attaché à l'idée de normalité provoquent chez le héros un violent sentiment de révolte. Au point de prendre les armes pour faire un carton dans une banque sans même attendre ou chercher le soutien du groupuscule révolutionnaire qui confectionne les lunettes. La nécessité d'agir, là, tout de suite, seul contre tous s'il le faut. Ce n'est rien d'autre que l'état d'esprit dans lequel était John Carpenter durant ces années de vache maigre : rien à foutre d'Hollywood et des cravateux, allons tourner dans la rue s'il le faut.
La rue, qu'a réellement connue Roddy Piper, où toute l'équipe vécut durant les deux mois que nécessita le tournage, est filmée par l'auteur de
The Thing avec son sens habituel du cadre en Scope hérité du western (arrivée des héros dans le bidonville en plan large et Louma, traversée de l'allée principale en panoramique écrasant les perspectives, etc.). En résulte, tout comme pour Prince Des Ténèbres, une ambiance anxiogène, notamment lors de la descente de police, et un sentiment de proximité avec les protagonistes (tout le premier tiers du film est consacré au bidonville sans qu'on ait l'impression de s'y attarder).

Invasion Los Angeles
 

En 1989 Invasion Los Angeles renouait dans un élan pamphlétaire avec la tradition d'une SF reflétant les angoisses sociales. Le propos est ici clair et n'a pas besoin de lunettes pour paraître au grand jour : dans un monde régi par l'argent et la réussite selon des critères sans valeur ni fondement, c'est de l'homme de la rue, de celui qui n'a rien à perdre, que viendra l'éveil de la population.
They Live est une mise à jour de l'allégorie de la caverne de Platon. Le héros, anonyme (Nada !), voit derrière les images projetées, prend conscience de son rang réel, se forcera à rester éveiller même s'il en souffre (le port des lunettes désoriente, rend malade…) et surtout tentera d'éveiller son prochain. C'est d'ailleurs pour insister sur la condition somnolente des contemporains de Nada que les visages des aliens ont été conçus de sorte à rendre leurs yeux exorbités, donc grand ouverts, tranchant avec les yeux mi-clos des humains.
Chez Platon l'homme libre finissait battu à mort par ses congénères enchaînés, qui ne pouvaient croire sa version du monde réel. Chez Carpenter, Nada devra se battre cinq longues minutes avec Frank, son compagnon de galères, pour qu'il accepte de porter les lunettes et enfin voir la réalité telle qu'elle est. Une bagarre crue et sans artifice dont la durée excessive véhicule l'idée que la prise de conscience est un effort long et laborieux, contrastant avec l'aisance du dialogue dans lequel Frank diffusait un discours déjà consenti par tout le monde. Et remis en question par Nada (i.e par rien, par personne).


Frank : "J'ai un boulot, et je tiens bien à le garder. Ma route est toute tracée, je suis mon petit bonhomme de chemin et je n'embête personne. Et je tiens à ce qu'on fasse pareil avec moi."

Nada : "
C'est le genre de raisonnement que je déteste. Parce que ça te retombe toujours dessus."

Invasion Los Angeles
  
Invasion Los Angeles
 


"Ne gâchez pas le bonheur de tous ceux qui ont pu s'enrichir grâce à eux"

Le procédé qui permet aux extra-terrestres de masquer aux humains la nature exacte de leur condition et celle de leurs dirigeants est un énorme réseau électronique projeté par des paraboles de télévision. Cette
Matrix avant l'heure (les Wachowski sauront se souvenir des lunettes de soleil pour symboliser les personnages conscients d'un simulacre) permet également de diffuser les messages subliminaux "Obéis",  "Ne pense pas", "Consomme". Une machine double fonction qui lisse les aspérités tout en s'assurant de couper les griffes du péquin trop curieux, pilotée rien de moins que par un studio de télévision.
Bien que Carpenter soit irrémédiablement pessimiste sur l'utilisation faite des networks pour discipliner les masses (en 1989 ils le font en scred, mais en 2013 ils ne se cacheront plus selon
Escape From L.A), il met malgré tout en scène l'idée qu'une fois assimilé le décodage de ce que l'on impose à nos yeux, alors l'éveil est perpétuel : lorsque Franck et Nada envisagent d'attaquer la station des yuppies de l'espace, les rebelles leur donnent des lentilles pour remplacer les lunettes. Ainsi le réalisateur instille visuellement ce sentiment que les personnages conscients ne pourront plus se faire berner par l'illusion. Manière de dire que rien n'est perdu...

La preuve : l'étonnante teneur visuelle de
They Live pour un budget d'à peine trois millions de dollars et sa très bonne réception permît par la suite à Carpenter d'être appelé par la Warner pour mettre en boîte Les Aventures D'Un Homme Invisible, redonnant un coup de fouet à sa carrière. Tandis que son imagerie inspirera par la suite de nombreux films (même The Wrestler selon Aronofsky), clips et jeux vidéo (Duke Nukem est le descendant de John Nada). Ainsi que l'artiste Shepard Fairey, qui créera plus tard le fameux poster de Barack Obama lors de sa campagne électorale. Avec le succès que l'on sait.


THEY LIVE

Réalisateur : John Carpenter
Scénario : John Carpenter d'après la nouvelle de Ray Nelson
Production : Larry J. Franco, Sandy King…
Photo : Gary B. Kibbe
Montage : Gib Jaffe & Franck E. Jimenez
Bande originale : John Carpenter & Alan Howarth
Origine : USA
Durée : 1h33
Sortie française : 19 avril 1989




   

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