Dans quel état est le genre ?

L'appel et L'Assaut

Affiche L'Assaut

Alors que Julien Leclerq repart à L'Assaut des salles obscures après un Chrysalis oubliable, la rédaction de L'ouvreuse a voulu faire un petit topo sur la nouvelle génération des réalisateurs hexagonaux oeuvrant dans le genre.



NICO Z.
Pour moi, les meilleurs réalisateurs français de genre sont Florent Emilio-Siri, Fred Cavayé et Eric Valette. Ils ont compris que le plus important est le rythme généré par le découpage, la caractérisation des personnages et mettre ses capacités techniques au service de la narration. Autrement dit, pas d'esbroufe technique, de plans super chiadés ne servant à rien pour le récit et seulement là pour montrer que quand même, ils assurent grave. Oui, j'inclue Valette malgré Hybrid, véritable purge découverte dernièrement à Gérardmer. Mais franchement, et ce n'est pas pour le défendre coûte que coûte, après avoir vu Maléfique et Une Affaire D'Etat, la question de la paternité de ce film catastrophique à tous points de vue se pose.

Maléfique
Maléfique


Ces trois cinéastes se nourrissent clairement de leurs influences sans que celles-ci prennent trop d'importance. Elles demeurent diffuses. A la vision de leurs films, on ne s'amuse pas à dresser le catalogue des emprunts à telle oeuvre ou réalisateur.
Ils ne font pas de films "à la manière de", ils font. Ok, la référence majeure de Nid De Guêpes est le Assault On Precinct 13 de Carpenter mais ce n'est pas un remake servile, c'est plus une variation autour de figures communes. Tout le contraire du piteux remake officiel du même film de Big John réalisé par Richet. Il peut en tout cas avancer l'excuse de la machine hollywoodienne broyant la personnalité et étouffant le talent et la liberté. Cependant, Otage de Siri est très bon. Comme quoi, on peut se dépatouiller de nombreuses contraintes. Je pense que c'est une question d'envie, de chance aussi sûrement. Mais Letterrier ou Aja semblent se complaire dans cette profusion de gros moyens. Ils s'éclatent avec des énormes jouets et basta. Aucune autre ambition et c'est dommage. Aja était très bien parti pourtant avec Haute Tension et le remake de La Colline A Des Yeux, on sentait qu'il pouvait apporter du sang neuf et puis il y a eu Mirrors...


GUENAEL
A force de dire que le cinéma de genre français prend ses marques (déjà à l'époque du Pacte Des Loups, on parlait de renouveau), on ferait mieux de s'enthousiasmer sur les quelques perles qui sortent et oublier l'idée d'une vague de films de genre français régénératrice. Les mêmes noms reviendront souvent dans ce débat. Sur dix ans, on peut retenir Eric Valette qui a rendu deux films très honorables, mais pas des chef-d'oeuvre, Alexandre Aja qui a à lui seul justifié l'existence d'Europa Corp avec Haute Tension (ok, Trois Enterrements aussi) pour récidiver avec le très bon La Colline A Des Yeux et nous détendre avec Piranha 3D, Fred Cavayé qui a livré le très bon Pour Elle et le plutôt bien troussé A Bout Portant. Michel Gondry qui a fait des choses magnifiques, mais principalement aux States. Jacques Audiard qui continue à faire de bons films avec une régularité de métronome (Un Prophète, De Battre Mon Coeur S'Est Arrêté...) et Olivier Marshall qui avait bien démarré avec 36, Quai Des Orfèvres mais qui peine à ne pas s'embourber dans ses propres codes. Enfin Florent Siri qui est plutôt constant et qui m'a vraiment scotché avec L'Ennemi Intime.

Haute Tension
Haute Tension


C'est sûr qu'avec ça, on peut se renouveler avec trois ou quatre bons films par an mais qui restent dans un registre polar / film noir. Il faut dire que les français ont beaucoup de mal à se sortir les doigts du cul pour porter une idée jusqu'au bout sans prendre des chemins ontologico-métaphysiques. Ils ont aussi besoin de s'appesantir sur quelque chose de socialement justifiable. Malgré le coté brouillon de A L'Intérieur, Bustillo et Maury ont le mérite d'avoir essayé sur une partie de leur film à faire revivre un fantastique horrifique plus rentre dedans mais il n'y aura au final pas de successeur à Haute Tension. Dans un registre plus déconne, euh… Quelle déconne ? Et dire qu'on dit qu'on est le pays de la comédie (je ne parle pas de notre gouvernement). Bon allons y pour James Bataille, c'était nawak mais quand même bien plus fun qu'un Bloody Mallory. J'ai l'impression qu'à ce niveau, il faudra que Michel Hazanavicius nous ponde un OSS 117 à la Indiana Jones, c'est pour l'instant notre seul espoir.

A L'Intérieur
A L'Intérieur



PIERRE

Le sujet est très large. Pas mal de noms ont déjà été cités, mais comme l'a bien dit Simi, ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent à chaque intervention. Et c'est bien là le problème : quelque part, c'est significatif d'une grande pauvreté du "genre" made in France. On peut commencer par parler des rares films et réalisateurs vraiment enthousiasmants. Ça ira vite. S'attaquer ensuite aux échecs, daubes, nanards risque de prendre autrement plus de temps.

Les deux noms qui me viennent immédiatement à l'esprit sont Aja (Furia) et Valette (Maléfique). Aja m'a favorablement impressionné avec un Haute Tension de fort bonne facture. C'était sec, c'était sanglant, et, surprise, c'était bien filmé. Ajoutons à cela une Cécile de France franchement excellente. Reste évidemment le final que l'on sait, mais qui ne parvient fort heureusement pas à gâcher le plaisir que l'on peut ressentir à la vision de ce vrai bon survival revenant aux racines du genre. Et puis il y a le passage aux USA, d'ailleurs symptomatique pour bon nombre des réals qui seront abordés dans ce débat. Ça a démarré sur les chapeaux de roues : La Colline A Des Yeux. A mon sens le meilleur film d'Aja à ce jour, de très loin. On touche ici à une parabole des premiers colons américains perdus en "terra incognita" à (re)conquérir. Dans cette perspective, la scène du drapeau américain m'a totalement scotché (pas sûr que le dixième du public ait percuté sur la réelle signification de cette séquence). L'ultra-violence est à son comble, mais rentre totalement en adéquation avec le propos. On ne ressent pas vraiment le côté gratuit trop souvent présent dans la "french new wave of horror".

La Colline A Des Yeux
La Colline A Des Yeux


Aja promettait, s'améliorait. Puis est arrivé Mirrors. Et c'est la douche froide. Difficile de savoir ce qui s'est passé. On a quand même l'impression que sur ce coup-là, Aja s'est reposé sur ses lauriers. Quoi qu'il en soit, impossible d'excuser ce final hystérique et illisible. Quant à Piranha 3D, il est ce qu'il est, mais remplit à mes yeux le contrat : une bonne détente, des seins, un côté outrancièrement gore tournant au fun. Comme si Aja devait recharger ses batteries avec un film sans gros risques avant d'entamer quelque chose de plus personnel, de beaucoup plus ambitieux : le fameux projet Cobra. C'est là que résidera le test ultime selon moi.

Mirrors
Mirrors



NICO Z.

Oui, c'est vrai que ce sont les mêmes noms qui reviennent (j'avais oublié Marchal tiens, dans ceux qui oeuvrent dans le haut du panier) mais faut dire que le système français n'encourage pas vraiment les vocations.
Au milieu de cette sinistrose où le spectateur est coincé entre des drames outranciers dans quelques mètres carrés ou des comédies neurasthéniques et affligeantes, difficile de voir émerger des réalisateurs singuliers. Donc forcément, ce sont pratiquement toujours les mêmes noms qui reviennent. C'est vraiment dommage qu'Europacorp ne fasse et produise pratiquement que de la merde car c'est sans doute la seule structure entièrement dédiée à un cinéma moins formaté. Ceci dit, y a encore du chemin pour que Besson accouche de véritables oeuvres populaires.
Après, se pose le problème de la promotion, par la presse ou les sites spécialisés, du cinoche de genre français qui s'apparente presque à un véritable dilemme éthique. Doit-on défendre à tout prix n'importe quelle péloche française un tant soit peu azimutée au prétexte qu'elles ont le mérite d'exister même si de piètre qualité ? Je pense que c'est une question d'équilibre afin de ne pas tomber dans la défense ou la défonce systématique. Quitte à perdre quelques précieuses invit's à des soirées en route... C'est vrai que c'est toujours délicat de descendre un premier film raté d'un passionné qui peut être vécu comme une "condamnation" à ne plus pouvoir rien faire par la suite (j'exagère mais vous voyez l'esprit). En même temps, appliqué à un cinéma plus généraliste, on se dit que cela nous aurait épargné des films de Maïwenn, Honoré et autres réalisateurs faisandés si on avait eu l'honnêteté intellectuelle de leur dire d'emblée, que là, c'était vraiment pas possible.

Banlieue 13
Banlieue 13



PIERRE
Concernant Valette, le deuxième nom à m'avoir sauté à l'esprit, je dois avouer que je n'ai vu que deux de ses films : Maléfique et Hybrid. Et c'est marrant mais à lui seul, Maléfique me pousse à le ranger dans la catégorie des réals français talentueux. Avec ce film, Valette entrait de plein pied dans le domaine horrifique tout en donnant à son propos un côté original très rafraîchissant. Les acteurs étaient impliqués et jouaient juste. Bref, banco. Par contre, Hybrid m'a évidemment refroidi. Comment ne pas rester sceptique devant cette croûte qui ne devra pas attendre longtemps avant d'obtenir une place de choix sur Nanarland ? A côté de ces deux métrages, One Missed Call traîne une réputation plutôt calamiteuse mais les commentaires élogieux sur Une Affaire D'Etat sont là pour rétablir l'équilibre. Finalement, je vais probablement vite en besogne en plaçant Valette si haut dans mon échelle personnelle d'évaluation des auteurs français de genre. Après tout, je n'ai aimé qu'un seul de ses films. Je vais me mettre en devoir de mater les deux autres films de l'intéressé avant de me faire une idée définitive (même si ça me ferait mal de conclure que Maléfique était un "accident").

Une Affaire D'Etat
Une Affaire D'Etat


Sinon, je vois que Marchal est également cité dans les réussites. De lui, je n'ai vu que 36 Quai Des Orfèvres et il est vrai que dans le style policier, c'était plutôt correct. Maintenant, j'ai un peu l'impression que thématiquement parlant, il fait du surplace, non ? Enfin, au moins se situe-t-il à un niveau qualitatif autrement meilleur que les calamiteuses productions Europacorp.

A côté des Aja, Valette et Marchal, il ne faudrait pas non plus oublier Benoît Délépine & De Kervern (Avida, Aaltra) (ainsi que toute la bande de Groland au sens large). Ils ne se situent pas vraiment dans la catégorie fantastique, bien entendu, mais leurs oeuvres sont foncièrement intéressantes, redoutablement drôles et toujours "autres". Leur petite merveille Louise-Michel m'avait tout particulièrement marqué. Ils ont du talent et possèdent un sens de la narration incontestable. J'apprécie beaucoup leur surréalisme qui s'apparente selon moi à une approche "belge" de l'humour. D'ailleurs, il n'y a pas de secret, ils utilisent bien souvent des acteurs belges (Yolande Moreau, Bouli Lanners, Poelvoorde) et tournent pas mal en Belgique.

Tiens à propos de la Belgique, je m'en voudrai de ne pas mentionner l'extraordinaire Les Barons de Nabil Ben Yadir. Pour un premier film, c'est du travail d'orfèvre. Je regrette d'ailleurs qu'il n'ait obtenu qu'un seul prix aux Magritte du cinéma (meilleur second rôle pour le toujours excellent Jan Decleir). Quoi qu'il en soit, je recommande chaudement sa vision.
Et là, je me rends compte que je n'ai même pas parlé de Panique Au Village de Patar & Aubier. De l'animation fantastique, dans tous les sens du terme.
D'autre part, tant qu'on en est dans le registre comédie, je suis complètement d'accord avec Simi quand il cite Hazanavicius. Ses deux OSS 117 m'ont vraiment fait pleurer de rire, ce dont très peu de films français peuvent se vanter. Ce que je retiens surtout, c'est une qualité d'écriture hors du commun (que cela soit en France ou même ailleurs). Et évidemment, Jean Dujardin est l'interprète parfait.

Louise-Michel
Louise-Michel



GUENAEL

Une question intéressante qui a été aussi posée sur les séries, à savoir s'il pouvait y avoir une approche française du genre. On est quand même un pays qui a son histoire, ses mythes et une culture à part entière, et peu de films ont su suivre une voie qui conduit à l'exploiter. Vendetta parle de l'approche surréaliste belge, les Britons ont un ton reconnaissable entre mille, on saurait aussi différencier un film fantastique espagnol d'un autre, que ce soit dans le versant fantasque De la Iglesia-Almodovar ou le coté horreur intimiste qui a fleuri depuis 2000, qui sont issus de la culture ibérique. Ici, on nous présente La Horde avec ses réminiscences mal gérées d'Audiard qui bouffe à plusieurs râteliers, Saint Ange, Martyrs et leurs sévices religieux, le "slasher" occulte Brocéliande, le catastrophique Humains et son terroir néandertalien, pour ne parler que de ceux qui ne font pas dans la basse repompe de ce qui se passe ailleurs. Jeunet a réussi à faire passer un style visuel et narratif, une vision identifiable qui a été reprise ailleurs et à laquelle on pouvait apposer le label film de genre français, qu'on aime ou pas mais c'est un one shot. Moi on me parle de film fantastique français (pour rester dans un genre précis), je ne sais pas trop de quoi on me parle. C'est un peu la ferme, le moulin, les boeufs et la laitière.

Saint Ange
Saint Ange



PIERRE

Simidor soulève un point crucial. Il n'y a pas d'"identité fantastique" très précise en France. On ne sert pas assez du foklore, des légendes, du passé, de l'histoire. Et pourtant, il y a de quoi faire ! Regardons ce que réussi à faire un pays comme la Finlande qui se sert de ses particularismes historiques, culturels et géopolitiques pour nous servir des perles comme Sauna ou encore le magnifique Rare Exports.

Parallèlement à ça, il y a pas mal d'auteurs fantastiques ou de "genre" réellement talentueux en langue française qui sont scandaleusement négligés. D'accord, le genre fantastique n'est pas du tout le fort de la littérature made in France mais on peut tout de même citer Maupassant. Tarte à la crème sans doute, mais imaginez vous deux secondes une adaptation rendant toute l'atmosphère du Horla... Visualisez ce que pourrait en faire un gars comme Bayona, le réal de L'Orphelinat. Oui, je sais, on se fait du mal. Sans oublier Théophile Gauthier et sa Morte Amoureuse. Ou Villers de l'Isle Adam et son extraordinaire La Torture Par L'Espérance ou Le Convive Des Dernières Fêtes. Ok, ces deux derniers exemples ne sont pas fantastiques à proprement parler, mais quand même. N'oublions pas non plus l'école belge du fantastique, d'une richesse inouïe. Un gars comme Jean Ray est tout de même considéré par énormément d'anglo-saxons comme l'égal d'un Poe ou d'un Lovecraft. Et c'est un francophone (parfait quadrilingue en fait). Et Ray n'est qu'un nom parmi d'autres : Thomas Owen, Michel de Ghelderode, etc. Autre exemple, bien français celui-là : Claude Seignolle. Lorsque le scénario d'un court- métrage s'inspire d'une de ses nouvelles, il gagne curieusement le prix du festival de Gérardmer. Marrant, non ? Mais que l'on se rassure, cela n'empêchera pas les réalisateurs trop fan du genre de nous resservir leur énième Zombies Of The Dead l'année prochaine.

Autre exemple à citer dans cette perspective, le projet Fantomas de Gans. Ce gars a systématiquement loupé tout ce qu'il a tenté dans le domaine du ciné (Le Pacte des Loups ? Laissez-moi rire). Je doute fortement qu'il arrive à rendre la force, l'atmosphère et l'impact de cette série littéraire. En fait, je doute même qu'il ait bien compris l'oeuvre de base. Tiens, parlons de serial justement : Eugène Sue et ses Mystères De Paris. Ou alors parlons du pulp, avec Henri Vernes et Bob Morane (contrairement à ce que tout le monde croit, ce n'est pas français mais... belge). Et puis quitte à mentionner un Verne, l'ami Jules est un peu laissé de côté dans son propre pays. Triste, vraiment.

Affiche Fantomas
Fantomas



   

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