The Shield - Saison 1
Reservoir cops
Dans l’impressionnante masse de séries policières pullulant sur les chaînes, un mastodonte a fait durant l’année 2002 une entrée remarquable en balayant tout sur son passage, qu'une structure traditionnelle ne pouvait réfréner une étonnante vigueur.
Lors de sa première diffusion, il ne fallut pas plus de cinq minutes à The Shield pour s’imposer comme une série charnière, un modèle à suivre pour des années à venir. L’ouvreuse se devait donc de lui rendre un hommage mérité.
Son premier pré-générique nous enfonce dans le vif du sujet : le chef du commissariat de Farmington fait un compte-rendu public des résultats encourageants obtenus contre la criminalité. Cette scène est alternée avec l’intervention brutale et énergique d’une équipe de flics tentant d’appréhender ce qui paraît être des dealers. S’ensuit un court générique, affichant un badge fissuré de toute part accompagné d’une mélodie tonitruante mêlant habilement des sonorités distinctives nous renvoyant à une pluralité culturelle qui établira les fondements de la série. L’immersion dans la jungle urbaine peut alors commencer.
Cette zone cosmopolite, employée en premier lieu comme un terrain, deviendra progressivement, une source de chaleur, la lave d’un volcan prêt à nous exploser aux visages et dont il est laborieux de contenir les débordements. Cet effet percutant, le créateur Shaw Ryan ne l’a pas généré sans avoir minutieusement préparé au préalable les ingrédients qui font de The Shield une série policière incontournable à l’instar de The Wire diffusé quelques mois plus tard.
Cependant Shaw Ryan n’a pas une filmographie mémorable lors de la rédaction du scénario, un film et quelques contributions à Angel (le spin off de Buffy) et Nash Bridges (avec Don Miami Vice Johnson) qui ne pouvait nullement laisser augurer cette direction. L’homme construit pourtant son projet tranquillement, conscient qu’il ne sera pas facile à vendre. Il trouve finalement preneur pour une programmation sur la chaine câblée FX.
BRASSAGES A MAINS ARMÉES
Sept ans plus tard, elle sera stoppée malgré une popularité croissante. Cependant ses qualités n'auront pas attendu un septennat pour apparaître : dès sa conception son géniteur s'échina à réutiliser les éléments marquants des codes audiovisuels pour exciter l’approche d’un sujet potentiellement intéressant mais loin d’être inédit.
La toile de fond, la seule à rester implicite, se rapporte à ce support bien particulier qu’est le jeu vidéo : prostitution, vente de stupéfiants, guerres de gangs, vols, agressions, peu de titres ont osé traité de tels sujets. En fait, il n’y en a finalement qu’un seul à les avoir tous combinés, le déviant Gran Theft Auto et ses suites. Son principe immoral n’empêcha pas cette saga d’être une incroyable innovation collant au stress de notre époque, bien qu’elle se contente de pomper intelligemment tout un pan du cinéma urbain. Ce juste retour aux sources qu’on attendait depuis longtemps fait évidemment son effet, souligné par à une mise en scène caméra à l’épaule forçant inconsciemment une immersion dans une réalité factice. Cette méthode contestable car trop souvent mal exploitée se justifie pleinement ici puisqu’elle renvoie au show de télé-réalité américain Cops.
Pour rappel, cette émission se limitait à suivre des patrouilles de police pendant leurs interventions sans commentaire ni réelle (si on exclue les propos des acteurs) prise de position. Cette technique fonctionne par interversion car le visuel très cru donne finalement un cachet authentique et un rendu percutant. Mais la réalisation n’est pas le seul atout majeur : pour découvrir la vraie force de The Shield, il faut se tourner vers  le quotidien de cet établissement et de ses occupants qui évoque fortement Hill Street Blues, série marquante des années 80, l’une des premières à représenter les forces de l’ordre comme les employés d’une entreprise à la structure complexe permettant conjointement d’exposer plus profondément leur vies privées. Toute ce recyclage n’est pas sans laisser soupçonner une certaine roublardise de la part de l’auteur qui réussit pourtant à le faire oublier en compensant par un sens du rythme assez ahurissant dans lequel des personnages forts entretiennent des relations si tendues qu’elles en deviennent omnipotentes.
DANS LA PEAU D'UN FLIC
Parmi eux, l’effigie du show, Vic Mackey, impressionnante masse charismatique de graisse et de muscles qui porte sur ses épaule tout le poids de la série. Meneur de la "strike team" (la brigade de choc en français) dont la principale fonction est de contrôler les gangs pour mieux tempérer le trafic, les belligérances et autres tensions des quartiers difficiles où ils ont été affectés. Lui et sa bande composée de Lem, Shane et Ronnie n’hésitent pas utiliser des méthodes contestables pour parvenir à leurs fins. Si les résultats sont là , il y a un point noir au tableau : pervertis par l’ambiance qu’ils côtoient, les quatre compères sont devenus progressivement de vrais ripoux se laissant aller à des activités peu respectables telles que le racket, le détournement et les falsifications de preuves. Des activités que le capitaine Aceveda soupçonne au travers les multiples plaintes qui sont envoyées à l’encontre de Vic, qui complètent les situations nébuleuses liées à l’équipe de choc.
Toutefois, le commissariat ne regorge pas exclusivement de flics corrompus et Claudette se trouve être l’exception. Son professionnalisme et son intégrité feraient d’elle un membre idéal des incorruptibles (antinomie de la strike team), elle travaille en binôme avec Dutch, un cérébral à la tête de premier de la classe qui restera le souffre douleur du clan Mackey. Un autre duo souvent mis en avant est celui que composent Danni et Julian, une solitaire modeste impliquée dans son métier et un jeune bleu se creusant difficilement une place, partagé entre ses convictions et les dures réalités du terrain.
Bien que convergeant pour une même cause, ces employés vont pourtant être sujets à de multiples frictions internes aux conséquences parfois désastreuses, des polémiques régulièrement provoquées par les deux plus revendicatifs du lot. Pour Claudette, la probité devient une priorité aux fâcheuses répercussions, un comportement ne pouvant que traduire un certain mal-être que l’on n’appréciera que par intermittence. Quant à Vic, l’exhibition de sa vie trahit le plus souvent les problèmes familiaux de ce pilier de famille furtif, défendant ses intérêts illicites mais gérant ses relations amicales avec une inflexible loyauté.
De ce fait, il rendrai presqu’attachante cette image de flic véreux qu’il trimballe. Efficace sur le terrain, il se heurte continuellement à sa hiérarchie. Son principal antagoniste est le capitaine Aceveda, partagé entre sa fonction et ses ambitions (la balance tendant très souvent vers ces dernières) il en devient ouvertement l’agitateur des opérations afin de servir ses propres intérêts comme lorsqu’il persécute le jeune Julian témoin des malversations de Vic. Un Julian au comportement très ambigu tant ses démarches maladroites ébrèchent progressivement son image, surtout lorsqu’il fricote avec un délinquant, orientation sexuelle qu’il tente de refouler. Pourtant, sa co-équipière Danni le soutient en même temps qu’elle le forme, persévérant honorablement dans son rôle de guide, vraisemblablement la plus humble et honnête du commissariat ; un tempérament qui penchera en sa défaveur un bon nombre de fois. Elle entretient avec Vic une relation très particulière, endossant les rôles de meilleure amie, maitresse, collègue de travail ou bouc émissaire. Et il y a Dutch, l’archétype du râté touchant et maladroit dans ses démonstrations, laissant spéculer que son métier reste son unique raison de persévérer. Son alliance avec Claudette n’est donc pas un hasard, se réconfortant ainsi par la forte assurance qu’elle dégage. Il reste un homme fragile et sensible de part son intelligence, sa perception pessimiste de la nature humaine l’obligeant à arrondir les angles et libérant de temps à autres sa zone d’ombre, produit d’une accumulation d'horreurs qu’il tente d’ignorer. Les divers liens de ces employés submergent logiquement l’ambiance du lieu de travail ne permettant aucun répit.
LA LOI DES ARMES
Idem pendant le service, où chacune de ces troupes permet de virevolter d’une intrigue à l’autre tout en montrant différents aspects de leur quotidien, nous aiguillant sur des affaires aux différents degrés de gravité : des disputes de voisinage qui tournent mal, des règlements de comptes sans oublier les trafiquants et autres pédophiles, rien ne nous est épargné, la violence et la cruauté y sont endurées voire banalisées et toute tentative de justification mène fréquemment à l’impasse. Le pouvoir et l’argent sont clairement au centre de ce chaos ou le sybaritisme laisse place à la survie.
Sur ce champ de bataille, des civils assermentés deviennent conjointement oppresseurs et mécènes, une position ingrate rejoignant des conditions de travail éprouvantes aux objectifs souvent illusoires. Difficile donc de ne pas être réceptif face à ces êtres désemparées à l’enthousiasme fragile. Au-delà d’une simple chronique sur ces médiateurs désabusés, il y également un aspect politique qui émane de certaines affaires mettant en exergue l’importance de l’opinion publique et des facteurs qui l’influencent. Alors que l’apparition de ses ordonnateurs reste rarissime, leurs décisions résonnent telle une alarme et leurs manigances peu scrupuleuses démontrent à quel niveau les règles sont couramment contournées. Ce processus demeure constant dans la série, l’accumulation de situations négatives finissant par exclure toute forme d’optimisme.
En toute logique, cette première saison aligne différents portraits nécessaires à nous intégrer dans le service avec une attention particulière pour l’imposant Vic. En tuant l’un de ses confrères de sang froid, nôtre anti-héros va devenir à nos yeux un homme menaçant. Surtout lorsque celui-ci déballe la parfaite panoplie du véreux jouant avec ses indics et détournant de la drogue retrouvée lors d’une descente. Accompagné de ses complices, il forme une équipe inquiétant les gangs mais aussi les confrères. Alors qu’il est l’objet de plusieurs plaintes pour interrogatoires musclés, il se retrouve impliqué dans l’enquête relative à la mort de Terry, sollicitée secrètement par Aceveda pour incriminer le leader de la strike team. Le conflit entre ses deux personnages débutent donc très tôt et ne s’atténuera que rarement. Surtout que Benjamin Gilroy, l’assistant-chef, le soutient continuellement. Enchainant au milieu de cette guerre d’influence des affaires développant l’univers de la série sans hésiter à malmener les intervenants, un tournant est déjà pris en cette fin de saison en confrontant les ex-amis Vic et Ben. Leur relation se gangrène petit à petit lorsque le deuxième tente de faire tomber son protégé pour sauver sa peau. Parallèlement, tout l’effectif est mobilisé pour enquêter sur l’assassinat des deux flics. Le final, tout en symbole, met en scène Vic blessant l’un des responsables de ce crime avec un badge pour obtenir l’aveu. Parallèlement, il parvient à faire inculper Gillroy pour ses activités frauduleuses mais ne peut empêcher le départ soudain de sa famille suite au ras-le-bol de son épouse. Le show peut prendre une nouvelle direction à la tonalité fataliste.
SHAWN TIME
Pour ces premiers épisodes, Shawn Ryan n’hésite pas à mettre le paquet en introduisant et clôturant la série par l’exécution d’agents de police. Il tente aussi de s’attarder sur les problématiques des applications de la loi en mettant en contraste les différentes possibilités de refouler sa moralité pour mener à bien sa quête. Car dès qu’un interrogatoire ne mène à rien, même les détracteurs de la méthode Mackey se résignent à lui laisser carte blanche. L’auteur met le doigt sur une idée très intéressante : si Mackey a sali son image et celle de son métier, il reste celui qui donne les meilleurs résultats, se donnant corps et âme à une fonction envahissante.
Le tableau est donc noir, très noir, suffisamment pour impressionner notre Olivier Marschall. Loin du manichéisme et de l’esprit high-tech de C.S.I, The Shield interpelle à défaut de faire rêver, démoralise au lieu de divertir et favorise le réalisme plutôt que d’enchainer les incohérences susceptibles de conforter le téléspectateur lors de conclusions espérées.
On est donc bien loin du feuilleton consensuel et abordable. Entre le simili documentaire et le drama pur et dur, Shawn Ryan trouve le juste milieu, argumentant son propos sans verser dans la démesure. Sa série se veut surtout lucide, un brin subversive et profondément humaine. Ce début explosif  sera justement récompensé et permettra à l’œuvre de perdurer, l’ensemble s’inscrivant progressivement dans une configuration biographique relatant les mémoires d’un individu tourmenté, emprisonné dans un carcan qu’il tente vainement de dominer. En se trainant dans la déchéance puis la rédemption, ce flic meurtri prendra conscience qu’en voulant changer une ville, c’est plutôt elle qui le transformera.
THE SHIELD – SEASON 1
Réalisation : Guy Ferland, Scott Brazil, D.J. Caruso, Clark Johnson
Scénario : Shawn Ryan, Kurt Sutter, Glen Mazzara, Scott Rosenbaum
Production : Shawn Ryan, Scott Brazil, Dean White, Kevin Arkadie
Interprètes : Michael Chiklis, Walton Goggins, Jay Karnes, Catherine Dent, Michael Jace, Benito Martinez, CCH Pounder
Origine : USA
Année : 2002