Doctor Who – The Time Of The Doctor
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- Série TV par Nicolas Zugasti le 2 janvier 2014
Pour qui sonne le glas
L’année 2013 fut une sacrée gageure pour le showrunner Steven Moffat car il devait non seulement veiller sur la saison 7, préparer aux festivités du cinquantenaire et gérer un changement d’acteur dans le rôle titre. Et il s’en est foutrement bien tiré.
On peut même dire que c'est un petit miracle (de Noël) que de conclure avec une telle apothéose cet épisode spécial après une septième saison inégale (il faut dire que la barre avait été fixée si haut avec une saison 6 quasi parfaite). Une saison de transition entre les compagnons (les adieux à Amy et Rory furent déchirants) qui souffrait d’épisodes loners parfois poussifs et d’un fil rouge un peu ténu reposant principalement sur le mystère de la fille impossible Clara Oswald. Mais une saison festive, rendant hommage au Doctor Who classique par l’utilisation d’une multitude de références, qui recentrait les enjeux autour du nom du Docteur avec cette entêtante question "Doctor who?" et la prophétie de l’ordre du Silence que Dorium révèle en fin de saison 6 au Timelord : "Dans les vastes plaines de Trenzalore, à la chute du Onzième, lorsque aucune créature vivante ne pourra mentir ou s'abstenir de répondre, une question sera posée."Â
Au-delà de la question primordiale, l'énigme qui importe, sous-tendue, est de savoir qui l’on est. L’oubli, les souvenirs, la capacité à se rappeler auront été au cœur des saisons depuis la reprise en main de Moffat et accentué en saison 7 avec le départ du couple Pond et Clara. Un personnage qui, tout comme le Seigneur du Temps (et les téléspectateurs parfois dubitatifs), tente de déterminer qu’elle est sa place, sa fonction auprès du Docteur. Moffat imbrique ainsi tous ces éléments qui se dénoueront de manière prodigieuse dans le triptyque The Name (dernier épisode de la saison 7) / The Day (épisode des cinquante ans) / The Time Of The Doctor. Et pour ce dernier, il signe même un feu d’artifice final en réunifiant les story arcs précédents, jouant sur l’émotion du départ programmé de Matt Smith en tant qu’incarnation du Onzième (ou douzième en tenant compte de grumpy John Hurt, le War Doctor qui retrouvait son honneur dans The Day Of The Doctor).
DOCTOR WHO?
Attirés par un étrange message codé lancé depuis une planète sans nom à travers les galaxies, toutes les races extra-terrestres du whoverse (Sontarians, Daleks, Cybermen, Anges Pleureurs, etc.) se rassemblent. L’Eglise de l’Unité Papale fait pour l’instant barrage et c’est sur leur vaisseau que le Docteur se rend pour en apprendre plus de la part de la Mère Supérieure Tasha Lem. Elle le téléporte sur place avec Clara, et arrivent dans un village baptisé Noël. Un filtre de vérité parcoure la bourgade et semble plus puissant au plus près de la faille dans la tour de l’horloge. Faille dans le continuum espace-temps qui avait rythmé la saison 5.
Sans en révéler d’avantage sur l’intrigue pour ne pas spoiler outre mesure, la planète sera assiégé afin d’empêcher un retour jugé dangereux car pouvant engendrer un nouveau conflit à l’échelle temporelle. Le Docteur va alors se muer en protecteur de ladite planète, et pour éviter le "come-back", le Papal Mainframe devient l’Ordre du Silence.
On le voit, Moffat rattache toutes ses sous-intrigues précédentes et les lie avec les paroles de Dorium. Les évènements que nous montre The Time Of The Doctor sont donc la genèse des conséquences terribles montrées dans l’épisode The Name Of The Doctor. Il n’y a bien que le raccordement avec l'épisode The God Complex (6x11) qui est superflu et pas très cohérent car pour le reste tout fonctionne, Moffat parvenant à chambouler nos connaissances tout en formant une unité impressionnante (Le Labyrinthe Des Anges (5x04 et 5x05) madame Kovarian, River Song, les Silents…). A signaler quelques problèmes de production, du moins de plannings incompatibles, qui nous privent d’une réapparition d’Alex Kingston dans le rôle charnière et génial de River Song. Mais une fois de plus, Moffat fait des miracles avec les impondérables car il ne fait pas de doute que Tasha Lem est une incarnation inconnue de Melody Pond. Tout dans son comportement renvoie au professeur River Song, de son pilotage tranquille et easy du T.A.R.D.I.S à sa nature psychopathe. En tout cas, cela offre quelques perspectives intéressantes pour la suite.
TIME OUT
Dernier épisode d’Eleven oblige, il est fait mention des compagnons qui l’auront accompagné dans ses aventures. Moffat se montre moins démonstratif que Russel T. Davies lorsqu’au départ de Ten ce dernier lui faisait revoir tous les visages aimés. Ainsi, le couple Pond est subtilement rappelé par le biais du personnage du gamin prénommé Barnable qui attend au pied du T.A.R.D.I.S dans une posture et un âge renvoyant aussi bien à Amy et Rory. Moffat cède tout de même à des clins d’œil plus ludiques comme la cape portée en début d’épisode par le Docteur qui lui donne un air de centurion romain bien connu. Il se montre aussi plus cryptique comme avec la bague portée par la grand-mère de Clara que l’on retrouve en conclusion au doigt du premier personnage que le corps d’Eleven régénéré a vu. (Petit aparté : il est étonnant que le lieu où habite la belle Clara Oswald ressemble aux immeubles où vivaient Rose. Il reste peut être quelque mystère à éclaircir à son sujet.)
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Moffat travaille également un peu plus son appétence pour les contes et la mythologie en faisant entrer le Timelord dans la légende. Pas seulement de son propre univers mais de la culture populaire. Le Docteur est ainsi devenu pour des centaines d’année le défenseur d’un village qui s’appelle Noël. Les enfants tapissent sa retraite dans la tour de l’horloge de dessins (rappelant ceux d’Amy, après la première venue du Docteur et dans Le Mariage De River Song (6x13) pour activer ses souvenirs de lui) représentant les exploits contés. Même sa nudité en début d’épisode qui engendra quelques gags savoureux avec Clara est un élément à prendre en compte et fait sens. Dans certaines cultures, le dernier voyage (vers la mort) s’effectue nu.
The Time Of The Doctor joue avec brio sur l’émotion de la disparition annoncée de cette incarnation via le vieillissement du Docteur désormais esseulé sur cette planète-tombeau. Passant des siècles à se battre, Moffat appuie ses ellipses par un vieillissement de plus en plus prononcé du Docteur. Est-ce dû à l’absence de sa compagne actuelle (qu’l a renvoyé chez elle) et de son T.A.R.D.I.S ? Ce n’est pas franchement explicité mais peu importe car c’est une brillante idée de la part de Moffat que de formaliser ainsi un magnifique jeu de miroir avec la malédiction habituelle du Docteur qui voit vieillir ses partenaires quand lui demeure éternellement jeune. L’épisode opère ici un bouleversant renversement puisque c’est Clara qui reste d’une étincelante fraîcheur face à son Docteur décrépit, offrant de formidables moments lorsqu’il finissent par se retrouver.
"WE'RE BREAKING SERIOUS SCIENCE HERE, BOYS!"
Briser les règles a toujours été le credo de Moffat depuis sa reprise en main du personnage : changer le futur, voyager dans sa propre timeline et maintenant la "malédiction" des régénérations limitées, un concept venant de la série classique que Moffat explose avec énergie. Depuis son arrivée aux commandes en saison 5, l'auteur a réinventé le Doctor Who à sa sauce, est allé au bout de sa logique du chambardement total et l'a fait magistralement. Il offre ainsi à son personnage une régénération fantastique, peut être la plus belle de toutes jusqu’à présent, entre la dernière performance sur scène de cette rock-star d’Eleven (cela rappelle son discours enflammé à Stonehenge dans la première partie de La Pandorica S’Ouvre, 5x12) et ses adieux dans le T.A.R.D.I.S. A cette occasion, Moffat perturbe un autre code lorsqu’il brise le quatrième mur avec le dernier monologue de Matt Smith en tant que Docteur. Sa dernière phrase - "I will not forget one line of this, not one day, I swear. I will always remember when the Doctor was me"-  face caméra, induisant une proximité incomparable. Un véritable crève-cœur.
Enfin, son raggedy man fantasque et si attachant nous quitte après un dernier geste symbolique.
Et arrive le moment tant attendu de l’apparition du nouveau visage du Docteur incarné désormais par Peter Capaldi. Une arrivée éclair ("Don’t blink" comme dirait Ten) sans solennité, Moffat continuant à secouer les habitudes en ironisant à fond sur ses transformations radicales (Twelve s’extasie d’avoir de nouveaux reins quand Eleven appréciait ses nouvelles jambes) tout en instaurant un cliffhanger intenable : alors que le T.A.R.D.I.S est en train de chuter, le nouveau Docteur conclut son apparition en demandant à Clara "Do you happen to know how to fly this thing?", instillant des problèmes des mémoires (et implicitement, Capaldi s’interrogeant sur comment interpréter ce rôle).
Il faudra désormais attendre l’automne 2014 pour voir les premier pas de cette nouvelle incarnation du Timelord. Une longue attente pour retrouver le meilleur comic-book à suivre actuellement (Moffat joue avec la continuité tout en créant ses propres histoires et personnages, les affiches de chaque épisode pouvant constituer autant de couvertures accentuent la correspondance) mais qui permettra de digérer le départ de l’étonnant Matt Smith, qui sera parvenu à rendre le port du nœud papillon si cool.
DOCTOR WHO: THE TIME OF THE DOCTOR
Showrunner : Steven Moffat
Réalisation : Jamie Payne
Scénario : Steven Moffat
Production : Steven Moffat & Brian Michin
Montage : St. John O’Rorke
Photo : Neville Kidd
Musique : Murray Gold
Origine: Royaume-Uni
Duréé : 1h00
Diffusion : le 25 décembre 2013