Le cinéma français pris de court : Eric Noël
Un conte de Noël
Après Fabrice Blin et Guillaume Pierret, poursuivons nos rencontres dans l'univers du court avec Eric Nöel, scénariste notamment de Dieu Reconnaîtra Les Siens, qui développe actuellement un scénario de long, L'Heure Des Ruines.
Peux-tu nous parler de ton parcours ?
Je suis un de ces gamins élevés à Mad Movies, Starfix, L'Écran Fantastique... Comme beaucoup de monde ! J'ai grandi dans un petit bled paumé du Jura. Le déclic est venu par hasard, j'allais dans les librairies et je fouinais dans les revues, j'ai découvert Mad Movies ainsi. Les couvertures de ces magazines bizarres me fascinaient.
À l'époque j'avais peu de chaînes à me mettre sous la dent, mais je captais la Télévision Suisse Romande qui diffusait chaque week-end "Le film de minuit" : des films d'horreur, des "films de karaté", des polars énervés... C'est par ce biais que j'ai découvert Maniac de William Lustig. Inutile de dire qu'après tu ne vois plus les choses de la même façon.
Tout cela n'était rien par rapport à l'électrochoc du règne de la VHS : je pouvais louer pour 10 Francs une K7. Vu mes glorieuses finances, une seule par semaine suffisait à ma joie.Je passais une demi-heure à regarder les jaquettes, à manipuler les boitiers, chosir un film signifiait ne pas en voir un autre... Tu racontes une chose pareille à un adolescent de nos jours et il te regarde comme si tu descendais de Saturne. Immanquablement, tout cela a créé une cinéphilie déviante.
À côté, j'écrivais des histoires, j'étais le spécialiste des bouquins non finis : le stylo fusait, mais à la moitié d'un manuscrit, après 60-70 pages, je n'avais plus d'idées et je m'arrêtais (rires). Je trouvais toujours le début, le milieu, mais jamais la fin. Heureusement, je me suis un peu arrangé depuis ! Pendant longtemps, j'étais persuadé que la fiction n'était pas faite pour moi. Mais je regardais un paquet de films, ce qui m'a amené à écrire sur le cinéma. J'ai contacté Cinétrange en 2004, un site sur le cinéma fantastique, bis et underground. La sauce a pris, j'ai commencé à écrire pour eux, et bien plus tard pour des fanzines.Quelques années après, j'étais rédacteur en chef pour un double volume Cinétrange papier : Nos Années 80 qui était un projet militant.
Ecrire dans ce cadre m'a décoincé. Or écrire sur le cinéma c'était bien, mais ce que je voulais, au fond, c'était écrire pour le cinéma.C'est important parce que durant un bail je ne me suis jamais vu réalisateur : le parcours classique quand tu es cinéphile - et qui plus est cinéphile de genre - est de dire "Je veux faire mon film !". Très tôt, j'ai compris à quel point le travail de réalisateur est très particulier et compliqué. Être réalisateur ce n’était pas juste avoir un boulot, c'est avoir quinze boulots.
Et j'ai un principe : pour être un bon réalisateur il faut beaucoup de temps, pour être un excellent réalisateur il faut énormément de temps. Pour être un bon scénariste, il faut beaucoup de temps, pour être un excellent scénariste, il faut énormément de temps. Devenir un excellent réalisateur et un excellent scénariste en même temps c'est rare. On cite toujours d'excellents réalisateurs scénaristes comme Cronenberg ou Carpenter, mais c'est plus exceptionnel qu'on ne le pense. En France, on a la culture de l'auteur, l'auteur qui fait tout : la lumière, le scénario (qui vient de son coeur et de ses tripes), qui réalise parce que c’est sa vision, etc. Les anglo-saxons sont souvent plus dépassionnés sur la question. Pour eux, si le scénariste écrit un bon scénario, le réalisateur ne se sentira pas dépossédé de son oeuvre.
J'ai donc décidé de me lancer sérieusement dans l'écriture de scénario il y a environ six ans. Je débordais d'un enthousiasme naïf, j'ai fait toutes les erreurs, j'écrivais des trucs trop longs, trop spectaculaires. C'est normal, tu as envie de reproduire ce que tu as vu. Sauf que ce que tu as vu au cinéma demande cent millions de dollars pour être financé... Il faut apprendre à bosser dans un cadre très strict et que cela devienne stimulant et non castrateur.
As-tu lu des livres théoriques sur l’écriture avant de te lancer ?
C'est l'inverse. Je ne me suis préoccupé de la méthodologie à force de me casser les dents. L'erreur typique : je pensais que mes idées soi-disant géniales allaient suffire d'elles-mêmes. Complètement idiot, construire un scénario sans structure est aussi crétin que de construire un échafaudage en s'en remettant au hasard.
Il y a deux titres qui m'ont vraiment influencé : Écriture, Mémoire D'Un Métier de Stephen King et son essai Anatomie De L'Horreur. Ce dernier bouquin en deux volumes m'a transformé. Déjà , parce que King est un génie, et un génie qui parle d'une période faste du cinéma de genre. D'autre part, parce qu'il aborde l'aspect littéraire, télévisuel et cinématographique de l’écriture. Il parle autant d'auteurs comme James Herbert que de son parcours propre, de La Quatrième Dimension que de Lovecraft. Précieux.
Mais plus encore, son discours compte parce qu'il est concret, terriblement concret. Il ne dit pas "Ecrit pour être célèbre", il dit "Travaille, c'est un boulot !". Lire, écrire, se renseigner et bosser. Il n'y a pas de mystère. L'une des phrases fétiches est : "Supprime tout mot inutile !". Il appelle ça "supprimer ses chéris". Cela veut dire que même si tu trouves qu'une phrase est magnifique ou qu'une scène est incroyable, hé bien si elle est hors contexte et qu'elle n'est pas indispensable pour ton film, tu l'abandonnes. Si toute une équipe doit souffrir pour faire cette scène, il faut qu'elle soit inévitable dans ton histoire. Derrière cette évidence, il s'agit de la plus grande leçon en écriture qu'il est possible d'avoir, surtout pour le scénario.
À force d'en avoir marre de faire n'importe quoi, je me suis mis à lire des vulgarisations sur l'écriture, comme celle très réussie de Orson Scott Card (La Stratégie Ender) ainsi que des ouvrages de référence sur le scénario, la réalisation, tout ce que je pouvais me coller devant les lunettes. Évidemment, je suis passé comme tout apprenti scénariste par le circuit un peu à la mode : Joseph Campbell, le mémo résumant son travail passé à Hollywood (ndlr : un guide pratique du Héros Aux Mille Visages de Christopher Vogler), les travaux d'Alexandre Astier... La mythologie, voilà ce qui compte, perpétuer la mythologie. Plus on lit, plus on réalise qu'on a encore beaucoup à lire, j'ai l'impression.
Comment s’est monté ton premier projet ?
J'ai commencé un peu comme on va à la pêche : soit tu n'as qu'une seule canne de grande envergure et tu attends LA belle prise, soit tu as plusieurs petites cannes. J'étais dans la deuxième option. Au lieu de faire un scénario de long, j'ai travaillé sur des courts avec le chroniqueur Nunzio Cusmano (Nos Années 80). Mais je pensais : "Tu ne vas pas faire comme 50000 mecs, écrire seul dans ton coin et envoyer des scripts. C'est ridicule, il y a toutes les chances pour que ton script termine dans une poubelle". Il faut parler à un réalisateur et lui présenter quelque chose en rapport avec ses goûts. La symbiose entre un réalisateur et un scénariste est très importante.
J'ai présenté mon premier brouillon de court, L'Heure Des Ruines, à Cédric Le Men et il a beaucoup aimé. C'était ambitieux : un mélange de film de guerre, de survival et de film de vampires. Les figures mythologiques me travaillent : loup-garou, vampire, non-mort, monstre tapi dans l'ombre. J'étais un petit peu bloqué là -dessus par ce que je me disais qu'on avait un problème "local", un problème que les anglo-saxons n'ont pas. Pour eux, un film sur le yéti ou sur un grizzly géant est toujours cool. En France, toute tentative de "film de monstres" paraît tout de suite décalée et l'auteur du script passera dans le meilleur des cas pour un débile léger.
L’Heure Des Ruines était à l'origine destiné à un autre réalisateur, on a donc laissé ça de côté mais on a gardé contact. Avec Cédric on s'est tout de suite très bien entendu, son court-métrage Lacrimosa est une histoire de vampires très esthétique, avec de la mythologie, c'était le genre de réalisateur avec lequel je voulais travailler.
À une époque je regardais en boucle des films de zombies. J'en ai vu plusieurs à la suite, c'était des copies conformes ! Les mêmes trucs, la même narration, les mêmes points de vue, les mêmes caractérisations, des jump scares, etc. J'adore ce genre mais j'avais l'impression de vivre dans un photocopieur. J'en ai parlé à Cédric et il m'a dit : "Ecris-moi un récit qui parle de zombies que je n'ai pas l'impression d'avoir vu cent fois".Â
L'idée a mûri, je ne lui en ai plus parlé pendant un moment, puis j'ai eu le déclic et l'angle d'attaque. J'ai écrit un premier jet, il m'a dit que c'était exactement ce qu'il voulait. J'ai alors contacté Nunzio Cusmano pour m'épauler. Il y avait un long monologue récité par un prêtre et je ne voulais pas l'écrire moi-même. Nunzio a fait ça très bien. J'avais la trame, les personnages, le ton et Nunzio a ajouté la stabilité, le ciment. Il manquait une pièce du puzzle et c'est Cédric qui l'a apportée : l'histoire lui rappelait certaines dérives sectaires et ce qu'il s'est passé au XIIIème siècle à Béziers. Les catholiques sont arrivés et ne savaient pas précisément qui était catholique et qui était hérétique, dans le doute ils ont tué tout ce qui bougeait. De là vient la célèbre phrase "Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens", qui a donné le titre et l’identité du projet.
C’était pendant la croisade contre les albigeois, qui étaient cathares...
Oui, un massacre effroyable. Notre film se passe en 1975. La campagne française était très religieuse, très agricole et voyait la société basculer vers l'inconnu. Mai 68 a aussi été une crise religieuse d'une certaine façon. À l'origine, je voulais un personnage de meneur villageois seulement mû par sa propre violence. Bien trop simpliste ! La pièce du puzzle était l'idée d’un leader religieux qui mène les gens en croisade.
Dramatiquement, ça pourrait très bien être un conflit politique ou social exacerbé. Sauf que c'est encore pire. Les morts qui se relèvent, l'Apocalypse de Jean, c'est choquant, ça fait peur ! Si cela arrivait, ce serait propice au développement d’une espèce de paranoïa collective. Quelque chose d'inexplicable arrive, une communauté a la frousse et un leader trouve une solution simple. Quand une solution à un conflit social est radicale, elle est violente. L'effet de meute est un phénomène qui me touche. Les personnes lambda, dans ce tourbillon, pourraient faire des choses horribles. S'il y avait des morts-vivants sur Terre et s'ils étaient inoffensifs, des gens les buteraient ! Par principe. Parce que c'est inadmissible pour l'esprit humain.
Quel est le processus d'écriture pour un court-métrage ?
Alors, là , à chacun ses méthodes. Normalement il ne faut pas faire de comparaison entre les deux médias, malgré tout, j'ai tendance à penser que la structure d'un court-métrage est très proche de la nouvelle dans sa construction narrative. Il faut que cela soit impactant très vite. Ce n'est pas évident parce qu'on a toujours tendance à en rajouter.Â
Une bonne histoire contient une bonne respiration, le tempo juste. Certaines histoires ont besoin d'une longue respiration par ce que tu as beaucoup de personnages, il y a des arcs qui méritent d'être développés... L'écriture est un étrange mélange de mécanique et d'organique. Une histoire courte n'est pas nécessairement basée sur les sempiternels trois actes. Mais pour l'efficacité maximale, ils ont le mérite de la clarté. Pour Dieu Reconnaîtra Les Siens j'ai choisi de réduire les dialogues au maximum. Tout devait passer par l'image, par les mouvements, par l'enchaînement des plans. Il y a un effet particulier qui ne pourrait pas être obtenu avec un long-métrage.Je m'explique : avant cet événement, il y a, de manière sous-entendue, tout un univers sur la vie du village qui pourrait être décrit, comme l'interaction entre les voisins, la manière dont ils apprennent la nouvelle… Mais cela aurait été une tout autre histoire, une histoire sur la longueur avec une heure de montée en tension. Ici, le but était de causer un choc en montrant la bascule en temps réel tout en soumettant des pistes pour que le spectateur comprenne intuitivement ce qui se passe.
Sinon, à part concevoir une histoire qui tienne debout, quels impératifs ? Je dirais que je pense en amont à la faisabilité du projet. Un court-métrage coûte toujours plus cher que prévu ! À partir de cette réalité, à laquelle je suis sensible de plus en plus, je discute très tôt avec le producteur sur les questions de budget et l'estimation globale.
Comment fais-tu cette estimation à l'écriture ?
Je ne me prends pas la tête en triturant une calculatrice. Il y a des basiques pleins de bon sens : le nombre d'acteurs, la diversité des décors, les SFX, etc. Si j'avais les prix exacts en tête, je crois que je n'écrirais pas une seule ligne ! Il s'agit plus de réfléchir sur la faisabilité, d'être dans le concret. La budgétisation est le rôle du producteur.
Avais-tu le budget précis en tête pendant l’écriture ?
Non, je me disais qu'on était dans la moyenne des courts, mais nous étions plus élevés que cette moyenne. À un moment, quelqu'un m'a dit "15000 €, c'est quand même une certaine somme pour un court-métrage !". Beaucoup se montent pour un budget entre 1000 et 6000 €, moins de 10000 € en tout cas. Et vous savez quoi ? L'argent fond comme de la glace sur un radiateur de toute façon.
Le film aurait pu être tourné pour moins cher, certes, mais il aurait été beaucoup moins bien. On n'aurait pas eu de caméra RED Scarlet-X, par exemple… Avec un projet à 15000 €, la proposition est tout de suite prise plus au sérieux qu'avec un projet à 300 €. Je ne dis pas que les projets à moins de 15000 € ne sont valent rien, hein ! C'est juste que cela a favorisé diverses choses. On a eu la chance d'avoir un décor superbe, d'avoir le maquilleur David Scherer, d'avoir des comédiens avec une grande expérience, des cascadeurs et des techniciens solides. Tous les gens qui ont entendu parler du projet, qui ont lu le scénario et vu le story-board ont dit que le projet était intéressant. La grande fierté que j'ai est que lors de l'avant-dernier jour du tournage il y avait quasiment quarante-cinq personnes sur le plateau. C'est environ le nombre de personnes sur le plateau d'un long-métrage. Et c’est ce qu'on apporte avec 15000 €. Il n'y a pas de mystère. Le producteur a rogné partout mais à un certain point les choses deviennent incompressibles. Tu veux une bonne caméra ? Tu payes ! Quand j'ai vu les premiers plans derrière le combo je me suis dit "Voilà pourquoi ça coûte ce pognon".
As-tu remanié le script quand tu savais qu’il y aurait des moyens élevés ?
Au contraire, une scène a sauté parce que le planning n'autorisait aucun jour de tournage supplémentaire. Il y avait un épilogue qui se passait de nos jours dans un mémorial et qui montrait en travelling arrière de nombreux clichés photographiques pris par les "exterminateurs" durant le massacre. Sur le coup j'étais un peu déçu parce que ça apportait une perspective historique, mais après tout rien n'y était nécessaire.
Le film a bénéficié du crowdfunding. Quel impact cela a-t-il eu sur ton travail ?
En tant que scénariste, aucun. Le scénario était bouclé bien avant la page KissKissBankBank.
C'est très bien le crowdfunding. Tu connais l'histoire du financement du premier Evil Dead ? Sam Raimi et ses potes se sont déguisés avec des costards, ont mis les bobines dans le coffre de l'Oldsmobile, et ont présenté des extraits de ce qu'ils filmaient pour avoir des financements. Je pense que le crowdfunding c'est quelque part la même chose, la seule différence est la résonance plus grande. En gros, cela reste un principe de trois niveaux. D’abord, tu as l'entourage. Le deuxième niveau, ce sont les gens d'une communauté, c'est-à -dire la communauté du fantastique en ce qui nous concerne. La difficulté est de percer la deuxième bulle pour accéder à la troisième, ceux qui ne sont pas spécialistes mais qui vont quand même être tentés par ton projet et y mettre du fric.
Le cinéma de genre français peut-il évoluer grâce au crowdfunding ?
Tu as quelques heures devant toi ? Il ne faut pas se leurrer, le crowdfunding est une étape, une aide, pas un système infaillible en soi. Le but est quand même de passer à un stade où tu as plus d'argent pour faire un film plus gros. Le crowdfunding a ses limites. Logiquement, il est là pour aider des petits à lancer un premier projet. Hélas, le machin fonctionne pour le court-métrage ou pour rendre une post-production moins douloureuse, mais après, qui prend le relais ?
Contrairement aux anglo-saxons, on n'a jamais eu de studio comme la Hammer. On n'a pas de courant majeur du fantastique chez nous, que des prototypes. Si on avait eu un modèle de film de genre qui coûtait deux ou trois millions d'euros et qui rapportait dix fois plus, même TF1 en aurait produit. Nous avons plein de cercles vicieux dans le pays, entre autres l'attente d'un Messie qui ne viendra pas, parce qu'il est déjà venu ! C'était Le Pacte Des Loups. Un film fou qui a été un succès mais qui n'a pas pour autant créé de déclic. Donc pour 90% de films de genre, hors polars, qui se rétament, on en a un qui fonctionne de temps à autre, ce n'est pas un système. Et même pour les États-Unis, cela ne se passe plus si bien. Regarde Rob Zombie avec The Lords Of Salem, il n'avait presque pas d'argent. C'est compliqué de monter du film d'épouvante ou de fantastique pur et dur, "à l'ancienne". C'est cyclique, on verra bien.
Il y a le modèle des Paranormal Activity aux États-Unis.
Ça, c'est le bonheur... pour un producteur. Ce sont des films qui ne coûtent rien et qui rapportent je ne sais combien de fois leur mise. Sauf qu'artistiquement, la plupart tiennent de la rigolade. Le vertige quand on compare Paranormal Activity 2 aux grandes oeuvres sur les maisons hantées ! L'un des seuls qui arrive à mener sa barque encore dans un esprit old school, même si je n'aime pas tout dans ses films, c'est James Wan. Quand il fait Insidious, il perpétue une sorte de tradition du train fantôme, pour moins de deux millions de dollars.
Les longs et courts-métrages de genre français ont certaines problématiques similaires. Ils sont obligés d'avoir des structures de huisclos à cause des petits budgets. C'est un très bon exercice, mais aussi un ghetto. Cela marche bien pour le court, moins dès que tu passes au long. Tu prends Livide et La Horde, sans aucun jugement de valeur artistique, tu réalises que l'action se passe en intérieur la majorité du temps.
Je n’ai pas de solution magique mais il n'y a rien d'impossible. Regarde la grandeur du cinéma italien : un mec a voulu faire un western en Italie, les autres se sont marrés : "Le western est américain !". Et le mec qui a fait son western, il s'appelait Serge Leone. Encore une fois, on parle du Messie, du mec qui va tout changer, mais je n'y crois pas. Leone était issu d’un système. Et pourtant, les réalisateurs talentueux dans l'Hexagone, il y en a ! Et des scénaristes talentueux aussi, des techniciens d'effets spéciaux talentueux, des acteurs talentueux, etc. Le tout est de savoir, au XXIème siècle, si on veut faire des films qui percutent ou continuer de ronronner.
Est-ce qu'on peut être bons comme les Italiens l'ont été à un moment ? On aurait un style. Livide peut être critiqué, mais on ne peut pas nier à quel point l'oeuvre est atypique, a une identité française. Bon sang, il faut sortir de ce cercle vicieux. Au moins certains vont de l'avant comme Metaluna Productions. Reste à savoir si tous les efforts seront ad vitam æternam des films-prototypes. Ou des déclencheurs.
Revenons à Dieu Reconnaîtra Les Siens et le crowdfunding...
Le crowdfunding est un test. Une sélection naturelle. On a tendance à oublier le fait qu'il y a un temps limite. Cela valide ou sanctionne ton projet avant le premier tour de manivelle. Si au bout des trois quarts du temps défini, tu n'as pas réuni assez d'argent, tu sais que c'est mort.
Une fois atteint notre but financier, la pression était encore plus forte sur l'équipe. Nous étions responsables de la confiance qui nous était accordée, peut-être même plus que de l'argent qu'on nous a donné. Limite un travail d'artisan avec un contrat de confiance. Quelqu'un débourse pour voir la chaise terminée et il faut lui montrer la chaise ! J'ai lu qu'il y avait eu des couacs aux USA, mais je reste persuadé que dans l'ensemble, le principe est vertueux. En tout cas bien plus sain que dans certains milieux où il y a de l'argent qui circule sans qu'on sache où il va et d’où il vient.
Peut-on vivre en étant scénariste en France ?
Pas comme scénariste de court-métrage ! Dans l'idéal, il faut bosser pour la télé pour en vivre, alors je ne vais pas te faire un dessin...Donc je diversifie mes activités, je place des cannes à pêche. En ce moment je suis sur un scénario de bandes dessinées. Le but ultime est de raconter une histoire, qu'importe le média. Dans la BD, il y a des possibilités et une rapidité appréciables. Plutôt libérateur. Je n’en deviendrais pas riche pour autant, mais bon... En attendant de manger autre chose que des pâtes, qu’est-ce que je fais ? Comme tous les autres, on continue et on verra bien. Le court fait sa vie dans les festivals. Après des masses de galères, des années de tâtonnements, des portes s'ouvrent, des opportunités apparaissent. Ouais, on verra.
Dans cette optique, de brouillon de court-métrage, L'Heure Des Ruines est devenu un scénario de long-métrage. J'ai bon espoir que le script soit bouclé cette année.