Interview - Lucky McKee
Sauvage de raison
Lucky McKee était au Festival européen du film fantastique de Strasbourg en septembre dernier pour présenter son nouveau film The Woman, qui n’aura pas les honneurs d’une sortie salle en France (sortie direct-to-video le 1er mars).
L’occasion pour William (compagnon de festoche, apprenti réalisateur, buveur de bière émérite, poto du lycée… choisissez) et moi-même de discuter de son cinéma. L’entretien fait suite à plusieurs discussions avec un Lucky McKee sympathique, accessible et tout fraichement débarqué à Strasbourg. D’où le ton décontracté et certaines réponses un peu succinctes (mais on a essayé de conserver le meilleur pour vous !).
Pourrais-tu nous parler de la conception de The Woman ?
Au début il y avait un film appelé Offsping, avec Pollyana Mcintosh. Quand l’équipe du film l’a terminé, ils m’ont demandé de le regarder pour savoir si j’avais des idées sur la manière de prolonger l’histoire, et j’en avais. Ketchum et moi avons décidé de l’écrire ensemble. Le réalisateur et le producteur d’Offspring ont donc produit The Woman avec Andrew Van Den Houten.
Comment as-tu rencontré Jack Ketchum ?
Mon pote Chris Sivertson était fan des écrits de Ketchum et me disait “Tu dois lire cet auteur ! Tu dois lire cet auteur !”.Je l’ai fait et je l’ai beaucoup aimé. Je me suis particulièrement attaché à Red que j’ai essayé d’adapter quelques années auparavant. Mais entre temps j’avais acheté les droits de son livre The Lost, qui a été réalisé par Chris et que j’ai produit. J’ai donc produit le premier livre de Ketchum sur grand écran. On est devenus amis avec le temps. Il avait d’ailleurs vu May qu’il a beaucoup aimé.
Que s’est-il passé avec Red ?
J’ai réalisé environ la moitié du film (en fait toutes les parties difficiles !) mais la production n’avait plus d’argent. On n’était pas d’accord sur la bonne manière de terminer ce film alors ils m’ont viré. Quelqu’un d’autre a terminé le film. Je suis crédité sur ce film mais j’ai un peu honte d’avoir mon nom dessus.
As-tu eu des projets entre Red et The Woman ?
J’ai beaucoup de projets en attente qui ne démarrent pas. Comme j’ai eu une mauvaise expérience avec Red, je suis maintenant extrêmement méfiant. Quand j’ai fait The Woman, j’étais très clair sur le niveau de protection qu’il me fallait pour réaliser ce film, et le producteur a fait en sorte que je l’ai. C’était une expérience très plaisante qu’on me fasse confiance pour faire mon boulot ! (rires)
As-tu vu Martyrs de Pascal Laugier ?
Bien sûr ! J’aime aussi son premier film : Saint Ange. A L’Intérieur est un film que j’adore également.
Le parallèle entre The Woman et Martyrs m’est venu assez naturellement, tant au niveau de la production que de l’état de colère du film, suite à votre déconvenue avec Red.
C’est intéressant. J’admire son audace, comme celle d’A L’Intérieur et d’autres films qui viennent de Corée. En fait je veux faire des films de ce type, mais de manière très américaine.
Combien de temps le tournage a-t-il duré ?
Cela a mis environ un an pour passer du roman au scénario, puis on a eu une pré-production d’environ quatre semaines, avec les repérages, etc. Le tournage a duré deux ou trois mois.
J’ai vu que tu avais réalisé un autre film : All Cheerleaders Die…
All Cheerleaders Die est le premier long métrage sur lequel j’ai travaillé, je l’ai coréalisé, toujours avec Chris Silvertson. C’était le premier film qu’on a fait ensemble. On voulait faire un film de zombie idiot pour apprendre à faire un film.
Je n’ai pas réussi à le trouver !
Il n’est pas disponible. Peut-être qu’on le sortira un jour.
Le tournage de The Woods était plus serein ?
Pour The Woods, je n’ai pas eu le final cut sur le papier, je traitais avec un studio. C’était une grande expérience enrichissante pour moi. Je n’ai jamais abandonné le film, j’étais là pour le montage et toute les décisions importantes. Je me suis battu pour lui donner autant de style que possible. C’est un film sur lequel j’ai passé beaucoup trop de temps mais ça a été intéressant.
J’ai l’impression que The Woman est plus proche de May que des autres.
Pas vraiment. Je pense que The Woman a un peu de tout, incluant All Cheerleaders Die que tu n’as pas vu. Il y a sa nature sauvage dans The Woman, et beaucoup d’éléments visuels provenant de mon sens de l’humour noir, présents dans May… Je me suis aussi efforcé à apprendre comment préparer un film de manière exigeante, cela vient de The Woods. J’ai pu mêler cette exigence avec ma manière de tourner beaucoup de choses provenant de mon subconscient et de mes rêves, et comment créer une logique de rêve. Il y a un peu de tout ce que j’ai fait. Je crois.
Est-ce que le sound design très particulier de The Woman, comme les voix chuchotées, a été fait selon le même travail que sur May ?
J’ai fait The Woman selon un processus très différent. J’ai toujours voulu faire un film en n’ayant pas uniquement le preneur de son sur le plateau mais aussi la personne qui mixe et monte le son, les avoir tous sur le plateau pour superviser l’enregistrement du son. Mon sound designer était là et plaçait des micros partout sur le plateau, enregistrant le son dont il avait besoin pour la post-production. Il n’y a aucun doublage, tous les dialogues et tous les sons que Pollyana faisait sont dans le film sans retouche.
La musique a été fait selon un processus similaire, le compositeur était là pendant le tournage, créant la musique suivant ses émotions sur le tournage. La musique et les images sont une sorte de dialogues entre eux, ils partagent les mêmes thèmes. Ainsi au moment du montage on n’avait pas juste de la musique, on avait de la musique qu’on pouvait casser en plusieurs pièces et mettre en avant dans certaines parties, modulable. Comme un processus symbiotique.
Pourquoi cette réduction des focales au fil et à mesure du film, jusqu’à une fin en grand angle ostentatoire ?
Au début du film les objectifs sont longs, et plus le film progresse, plus elles s’élargissent pour entrer plus profondément dans la vie de ces gens. A la fin elles sont vraiment larges comme celles de Stanley Kubrick, qui crée un chaos et un sentiment de mouvement.
C’était aussi une manière de dire "Fuck you" à la 3D. Je n’aime vraiment pas la 3D, je préfère largement la manière classique de tourner l’image plate sur l’écran, on peut faire un film en trois dimension par la mise en scène.
Est-ce difficile de produire un film d’horreur indépendant, en restant un des réalisateurs phares de Sundance, sans avoir travaillé avec les Weinstein ?
Pour commencer c’est toujours un challenge de faire son film correctement, avec dix millions ou avec trois dollars. Il faut toujours exploiter les ressources jusqu’à leur limite, et pousser l’équipe jusqu’aux limites de leur pouvoir créatif.
Les grosses agences et les studios me tournent toujours autour mais je suis très sûr de la manière dont je veux faire mes films et sur le degré de contrôle que je veux avoir. Si un projet moins indépendant s’offre à moi, et que c’est le bon moment, que cela fait sens pour moi...Les studios et Hollywood font tout ce qu’ils peuvent pour enlever l’amusement qu’il y a à faire un film et je n’ai pas envie d’être à nouveau dans cette situation parce que j’aime cet art.
Je disais que The Woman était plus proche de May parce qu’ils présentent plusieurs correspondances, comme l’altération oculaire ou la dégustation de doigt !
Il doit y avoir une connexion mais je ne l’avais jamais faite ! Peut être que ça me terrifie, je ne sais pas. Ça doit être mon subconscient !
La figure d’autorité est aussi cruelle dans The Woods que dans The Woman.
Beaucoup de gens me demandent ce que mes parents m’ont fait quand j’étais petit ! En fait j’ai eu des parents merveilleux. Les mauvais parents sont un de mes cauchemars. Si on regarde Hitchcock, le personnage de la mère démoniaque est récurrent alors qu’Hitchcock était très proche de sa belle-mère. Je pense que quand on crée ces personnage, ils viennent de peurs comme telles que : "Et si je n’avais pas eu de bons parents".
Le titre The Woman désigne la femme du film, ou la femme archétypale ?
Je pense qu’il a plus qu’un seul concept de femme... Initialement c’était le nom du personnage, comme May, mais plus on a travaillé, plus on a réalisé que c’était un titre avec plusieurs sens.
Tous tes films sont des films sur les femmes. Penses-tu qu’un portrait se construit à mesure de ta filmographie ?
Jusqu’à maintenant j’imagine que c’est ce que j’ai fait. Qui sait de quoi le futur est fait ? Mais la majorité des idées qui me viennent portent sur des femmes. Je ne sais pas pourquoi cela sort de moi. Je suis un travesti cinématographique !
Pourquoi avoir fait de ton personnage principal un enfant sauvage ?
J’ai trouvé ça très intéressant. Quelques-unes de mes influences sont L’Enfant Sauvage de Truffaut, Rambo (le premier, que je trouve brillant) ; mais aussi d’autres choses étranges que j’ai vu sur Internet à propos d’êtres humains sauvages. Et je trouve cela fascinant parce que c’est ce que nous étions, d’où nous venons.
As-tu fait des recherches anthropologiques ou ethnologiques sur cette question ?
Je ne suis pas vraiment une personne qui fait beaucoup de recherches. Je préfère ressentir les choses. Je m’assure quand-même de ne pas être trop loin de la réalité, mais les films sont des contes plus qu’autre chose.
Cette femme est le personnage principal du film ou le facteur déclenchant ?
Le but était juste de montrer deux personnages totalement opposés : un personnage sauvage, plus proche de notre part animal d’où nous venons, et l’autre complètement opposé, corrompu par la civilisation.
Parce que la cellule familiale est beaucoup plus creusée que la femme, qui n’évolue pas du début à la fin et se contente "d’être".
Oui cette femme arrive dans cette famille, elle sert à révéler les ténèbres cachées derrière les portes fermées de cette maison.
Tous les hommes du film sont corrompus…
Dans ce film ce n’est pas un hasard, c’est l’intention de cette histoire particulière. Ce n’est pas nécessairement ma façon de voir le monde, mais vous savez il y a beaucoup d’hommes mauvais... De femmes mauvaises aussi ; je ferai peut être un film sur elles aussi un jour.
Ce n’était pas le cas de May ?
May ? May n’est pas une mauvaise personne ! Tu aimes May ! Tu ne l’aimes pas ? Elle aborde juste le monde d’une manière différente, comme un conte de fée !
Le garçon est-il sous l’influence de son père ou fondamentalement mauvais de par son sexe ?
C’est évident, il admire beaucoup son père. En regardant le film attentivement on voit qu’il le regarde toujours, il veut être comme lui, voire même le dépasser.
Comment vois-tu le cinéma de genre en France ?
De ce que j’ai vu il y a beaucoup de choses très cools qui sortent, il y a plus de films de genre faits ici et très audacieux. Et c’est du cinéma, pas que des films d’horreur, du grand cinéma.
Tu as dit vouloir concurrencer le cinéma de genre européen.
Je veux arriver à leur niveau, faire des films aussi audacieux. Bon les américains se débrouillent pas mal dans ce domaine : on a fait Les Chiens De Paille, Massacre A La Tronçonneuse. Ce sont des sources d’inspiration. Je voulais avoir une famille américaine pour en faire un film américain mais avec cette audace européenne qu’on voit actuellement.
Remerciements Bénédicte Vagne, William Huck, Lison Müh-Salaün et Lucie Mottier.