L'affaire Sophia Stewart
- Détails
- Instant critique par Nicolas Bonci le 17 novembre 2009
L'amère de la Matrice
"Son histoire, c'est l'histoire de David contre Goliath". C'est en ces termes que Marie Colmant débute sa chronique "La story du jour" de mercredi dernier dans l'émission de Canal + L'Edition Spéciale. Subitement happé par un tel teasing, nous stoppons la mastication de la purée-jambon et attendons, cois.
Là , stupeur : une journaliste du PAF ose courageusement révéler aux yeux de tous un scandale totalement bidon dont les derniers soubresauts ont finit de secouer le Net il y a plus de quatre ans…
En réchauffant l'affaire Sophia Stewart, cette génie spoliée incapable d'être cohérente dans ses mensonges, l'accommodant d'une théorie du complot qui expliquerait le silence assourdissant autour de ce mic-mac ("Rendez-vous compte ? Même Spike Lee ne dit rien !"), Colmant hulule une nouvelle fois le refrain du "Hollywood tous salauds" devant une audience applaudissant sans vie à l'annonce de la somme en jeu. Ce qui au passage illustre le réel centre d'intérêt des acteurs et spectateurs de l'arène culturelle chez Canal + : que Stewart puisse avoir prédit la SF de la fin du XXème laisse absolument tout le monde sans réaction, mais qu'elle ait la possibilité de se mettre cinq milliards sous le ventre, on clappe, on clappe et on clappe.
Etant nous-même un petit David médiatique luttant contre le Gogoliath sensationnaliste gavant ses ouailles de préjugés, ressortons nos archives qui à coup sûr ne mériteront aucun clap clap clap des regimbeurs des plateaux télé.
1999 : Sophia Stewart assiste à une projection de Matrix et se rappelle avoir écrit un script seize ans plus tôt intitulé The Third Eye, qui ne fût jamais publié mais qu'elle protégea par un copyright. Elle reconnaît dans le scénario des frères Wachowski des emprunts grossiers à son oeuvre. Après diverses tentatives d'arrangements à l'amiable avec la Warner, elle intente une action en justice pour plagiat. Dans la foulée, et tant qu'à se déplacer au tribunal, elle porte plainte également contre la Fox pour plagiat à propos des films Terminator, Terminator 2 et Terminator 3, censément inspirés de son œuvre. La Fox aura beau répéter qu'elle n'a juridiquement rien à voir avec les deux premiers opus de la franchise (produits par Hemdale puis Carolco, qui ont cessé leur activité dans la production), et donc que s'obstiner à la poursuivre lui coûtera des frais de dossier, rien n'y fait, Stewart poursuit les deux Major.
D'après Stewart, les Wachowski eurent accès à son script lorsqu'elle le leur envoya durant l'été 1986 suite à une petite annonce qui demandait des projets de science-fiction novateurs. En 1986, Andy et Larry Wachowski avaient 19 et 21 ans. Soit l'âge auquel on propose ses projets, pas celui où on les produit et réalise. Cette version est d'autant plus douteuse qu'au grès des rencontres Stewart déclare que le plagiat provient de la distribution de son script dans un bon nombre de maisons de production, notamment d'Hollywood. Ceci n'explique pas comment James Cameron aurait pu y avoir accès en 1982, année d'écriture de Terminator (dont le générique faisait mention de la réelle inspiration de Cameron : deux épisodes de La Quatrième Dimension écrits par Harlan Ellison), mais n'empêche pas Sophia Stewart d'ajouter combien ses écrits ont influencé les effets visuels de ces films, ainsi que d'autres productions majeures de la fin des années 90 tel que Tigre Et Dragon (ces effets spéciaux, principalement des câbles dissimulés, ont été popularisés en occident et surtout aux USA par The Matrix, mais sont utilisés depuis quarante ans en Asie). Dans l'élan, elle affirme avoir inspiré des jeux vidéo, des clips, des publicités, etc. Sophia Stewart aurait tout simplement créé l'audiovisuel du XXIème siècle.
Mais ça ne s'arrête pas là ! Stewart est persuadée que le titre "Matrix" aurait été soufflé aux Wachowski par Carrie Ann Moss, qui avait travaillé sur une série banale en 1993 du nom de Matrix (créée par Grenville Case). Mieux : Moss aurait même inspiré l'univers virtuel de la trilogie aux deux frères. La raison d'être du projet viendrait donc de l'actrice principale !, mais "elle n'est pas folle la guêpe" nous précise la très documentée Marie Colmant.
Que raconte donc ce fameux script ? Voici le synopsis de The Third Eye :
Les machines ont pris le contrôle de la planète suite à une guerre thermonucléaire. Un être non-terrien est renvoyé dans le passé pour donner naissance à I-Khan (identifié par Stewart comme étant Neo), qui pourra maîtriser le pouvoir de l'Oeil afin de délivrer l'Humanité, tout en faisant face au leader des machines, le Morning Star. La mère de I-Khan emmène son fils au Dôme, où il deviendra le leader de la Rébellion Galactique…
Pour quelqu'un qui crie au plagiat, elle peut offrir des chocolats à Jerry Siegel, George Lucas et à quelques apôtres. Ajoutons que les deux planches de comic book toujours associées à ses pages de script ne sont pas de Stewart et ne datent pas de 1983 comme elle tente de le faire croire par omission aux médias, mais sont issues du comic officiel de Matrix illustré par Ted McKeever.
Bien évidemment, Sophia Stewart vit son procès rejeté en 2005, mais continue de crier au complot tout en manipulant certains médias, notamment ceux défendant la cause noire, qui relaient l'info sous le très accrocheur titre "La mère de la Matrice est noire", ne faisant jamais mention de la décision juridique finale de 2005, mais seulement d'un jugement de 2004, arguant que le monde ne veut pas savoir qu'à l'origine de ces œuvres se trouve une femme noire (ce n'est pas comme si dans une de ces œuvres jouait Cornel West, le fameux philosophe et professeur d'histoire des Noirs à Princeton).
A travers ses diverses affirmations absolument invraisemblables, on peut émettre l'hypothèse chez Stewart d'une légère paranoïa doublée d'une bonne dose de mythomanie. Pour plus d'information il est toujours possible d'acquérir sur le Net pour seulement cent dollars une copie de son script de The Third Eye, ainsi que le livre dans lequel elle relate l'affaire, The Mother Of The Matrix.
Tout ceci, c'était en 2004.
En 2009, Marie Colmant baille : "La presse n'en parle pas. Pourquoi la presse n'en parle pas ?"
C'est vrai, pourquoi la presse préfère évoquer les faux scandales étrangers et non ceux qu'elle a tous les jours sous les yeux ?
Â