Beaune 2013

Chronique du festivalier ordinaire

Festival International du Film Policier de Beaune 2013 Stoker est dans nos salles, donc profitons-en pour parler... du cinquième Festival International du Film Policier de Beaune, où le film de Park Chan-wook fut projeté en avant-première. 

L'occasion de revenir sur une poignée de jours, du 3 au 7 avril, qui commencèrent en douceur pour finir en beauté.


BEAUNE – J-7
(mercredi 27 février)
La sélection vient de tomber. La grille de programmation est en ligne. Le temps est venu de préprogrammer notre sélection sur la seule foi des forces en présence, à savoir les titres retenus par les organisateurs de ce festival autrefois sis à Cognac. Exit les rétrospectives (Kathy Bates, David Lynch… et l'hommage au cinéma italien "Rome-Naples, boulevard du crime". Dommage). Priorité aux neuf films en compétition officielle et aux six titres concourant pour le Prix Sang Neuf.
Du coté des avant-premières : l'attendu Stoker, et le moins attendu L'Hypnotiseur, film suédois venant renforcer l'imposante délégation scandinave, comme nous le verrons plus loin.

Stoker
Regardons de plus près les films en compétition. Hormis le Johnny To au titre prometteur, Drug War, qui représente Hong Kong - oui, je sais, on dit la Chine depuis 1997 - on note la présence des sud-coréens Fatal et New World.L'Asie est présente en force comme dans tout festival qui se respecte, quels que soient les genres traités ou les thèmes abordés. Les échos sont invariablement favorables, on trouve toujours ce cinéma frais, surprenant, formidable (notez d'ailleurs comme on parle souvent de films "coup de poing" quand on évoque cette cinématographie...), on se donne le mot, et ça flope toujours en salles. A croire que le cinéma de Chine et de ses voisins est un cinéma de niche.
On notera une présence timorée des films nord-américains. Hormis Stoker, réalisé par un cinéaste importé et projeté hors-compétition, il ne reste que A Single Shot, coproduction avec l'Angleterre et le Canada, Welcome To The Punch, majoritairement anglais et le canadien The Good Lie. Une présence a minima, à l'instar des voisins du sud (l'Argentine avec Hipotesis - coproduit avec l'Espagne -, le Paraguay avec 7 Boxes).
Le vieux continent livre quant à lui un important contingent venu de Scandinavie : Call Girl, Corruptions, Hijacking, Northwest et, malgré le thème du festival ("Rome-Naples..."), l'Italie brille par une présence plutôt chiche.
Qu'en est-il du pays hôte ? Un film policier avec Jean-Hugues Anglade, L'Autre Vie De Richard Kemp  et deux coproductions : Diaz, avec l'Italie et la Roumanie et L'Attentat, avec le Liban et la Belgique.

Rendez-vous est donné à Beaune pour quérir le précieux sésame qui ouvrira les portes des séances - plus vulgairement appelé "pass festival" - et surtout le catalogue des réjouissances. Le tout pour la somme avantageuse de trente euros (ce qui ne veut pas dire qu'il faut l'augmenter l'an prochain).

Welcome To The Punch

BEAUNE – 1er JOUR
 (mercredi 3 avril)
Après avoir pris connaissance des résumés des films retenus en compétition et pour le Prix Sang Neuf, on voit déjà ce qu'on compte éviter en se basant sur quelques lignes et des filmographies qui ne nous évoquent rien. L'Attentat se fera sans nous (Israël-Palestine, ça dure depuis plus longtemps encore que Les Feux De l'Amour - qui, pour info, fêtent leurs quarante ans cette année - et c'est tout aussi chiant). Hijacking ne nous tente pas (des touristes pris en otage par des pirates somaliens... J'arrive pas à me motiver), pas plus que Call Girl (alerte film sociétal). Quant à L'Hypnotiseur… la filmo de Lasse Hallström est trop décourageante (nd nicco : elle t'a lassé ?).
Le film d'ouverture est sur invitation, et ô surprise on peut rentrer sans le précieux sésame. Ce qui fut le cas pour chaque séance que nous avions prévue. Comment ça certains devraient fustiger leur propre organisation au lieu de celle des festivals ? Ok, ça manque parfois d'huile dans les rouages, mais pas de quoi s'affoler non plus même si cette année, aux dires des festivaliers habitués, il y a foule.

Welcome To The Punch, film d'ouverture, semble tout choisi pour nous souhaiter la bienvenue. On a connu meilleur accueil. Cette première réalisation du britannique Eran Creevy, qui dit tout devoir aux frères Scott (et plus particulièrement à feu Tony : "À chaque plan tourné, je demandais à mon chef-opérateur si ça ressemblait à du Tony Scott et, s'il me disait non, on refaisait la scène" ; alors que  ça ressemble plus à du Ridley et, comme chacun sait, il fait souvent des films ridés, Scott). Ah ben drôle de hasard, c'est produit par... Scott Free Productions, sûrement une boîte spécialisée dans la vente de filtres. Welcome To The Punch est un film bleu , mais vraiment tout bleu (j'imagine que c'est censé donner une patine urbaine au film), un genre de monochrome, sauf un moment, il y a une flamme, elle est jaune, comme pour souligner la chaleureuse amitié entre deux comparses de ce film dans lequel il y a quelques séquences où ça se tire dessus avec un minimum de panache, mais point trop tout de même. James McAvoy est convaincant en dur à cuire, mais le film ne laisse pas une grande impression.

Welcome To The Punch

BEAUNE – 2ème JOUR
 (jeudi 4 avril)
La journée commence de façon, on l'espère, prometteuse, avec la projection en Compétition de Drug War de Johnnie To. Suivant un schéma plutôt basique, le réalisateur chinois livre un film sec qui semble esquiver les fioritures propres au genre mais n'évite pas pour autant quelques lourdeurs dans son deuxième tiers.
Après une entrée en matière fracassante et la mise en place du plan qui servira à approcher Li, trafiquant de drogue de haute volée, ainsi que de personnages au charisme indéniable (notamment Sun Honglei dans le rôle de l'inspecteur Lei), arrive le sommet de cette première partie avec un scène qui rappellera à beaucoup une autre vue dans Mission : Impossible – Protocole Fantôme. Un jeu de passe-passe durant lequel nos agents se font passer pour ce qu'ils ne sont pas. Cette séquence fait preuve d'une maîtrise du suspens hallucinante et d'une chorégraphie particulièrement chiadée autour d'une boîte à cigarettes. Puis arrivent les pseudo-rebondissements qui ne servent qu'à rallonger artificiellement le film ("On se donne rendez-vous là ! Mais finalement non, ce sera plutôt ici à telle heure ! Mais en fait, on va changer l'heure !") et autres idées sous-exploitées. Heureusement, le gunfight final, cru, brute, sec comme un coup de trique à l'image des coups de feu échangés, chorégraphié sans être opératique, vient nous venger, même s'il en laissera sûrement plus d'un sur le carreau.
Avec le nom de To et la carrure du film, il ne serait pas surprenant d'en entendre reparler lors de la remise des médailles.

Drug War
Second film de la journée, premier de la sélection Sang Neuf, l'hispano-argentin Hipótesis semble a priori tentant. Prof de droit, Roberto Bermudez pense qu'un de ses élèves, Gonzalo Cordera, fils d'un de ses anciens collègues, est coupable de la mort d'une femme dont on a retrouvé le corps sur le parking de la fac. Il décide de mener ses propres investigations.
Hipótesis est bien réalisé mais anodin et chiche en caractérisation des personnages. Dommage, il y avait du potentiel autant dans l'idée de base que sur la forme. Néanmoins on retiendra une "idée à la con" hénaurme et totalement assumée : accroupis dans un café le long d'une fenêtre,  notre enquêteur du dimanche s'imagine les ébats de son étudiant avec une victime potentielle et est subitement réveillée par une éponge qui, littéralement, éjacule son savon sur la vitre du bâtiment. C'est beau, l'art de la suggestion ! Nous attendrons le prochain métrage d'Hernán Goldfrid pour se faire un avis plus précis sur ses capacités de réalisateur.

Hipótesis
Place au paraguayen 7 Boxes, réalisé à quatre mains par Tana Schémbori et Juan Carlos Maneglia.
2005, dans un marché géant. Le jeune Victor essaie tant bien que mal de gagner sa vie en proposant aux gens de porter leurs courses à l'aide de sa brouette en bois. Un certain Gus lui propose, contre un billet de 100 $, de trimbaler sept boîtes pendant une journée, boîtes dont il ignore le contenu. Lui qui rêve de passer à la télé voit là l'occasion de pouvoir enfin s'offrir un de ces téléphones portables munis d'une caméra. Évidemment, entre la concurrence de ses pairs, dont le rugueux Nelson, et ces mystérieuses boîtes, qui semblent attiser la convoitise de voleurs à l'arrachée, de brigands et intriguer la police et son amie Liz, notre jeune porteur va vivre une journée en enfer.
La patine visuelle, soutenue par le dynamisme de la piste sonore, fait immédiatement penser à du Danny Boyle, que l'on reconnaît d'autant plus sur le fond. Ludique, parcouru d'une énergie entraînante, assez rythmé, drôle sous bien des aspects (être poursuivi par une demi-douzaine de types qui ne lâchent jamais leur brouette, une certaine idée de l'angoisse), 7 Boxes est aussi d'un cynisme quasi nihiliste sur son tout dernier plan.
Au final, 7 Boxes se révèle être un film léger, plaisant à suivre, dynamique... et loin d'être aussi futile que sa légèreté pourrait le faire croire. Une bonne surprise.

7 Boxes
Refaisons un crochet par la sélection Sang neuf pour y voir Diaz de Daniele Vicari, film racontant le passage à tabac de manifestants lors du sommet du G8 à Gênes en 2001, sommet durant lequel tombera Carlo Giuliani sous les balles des Carabinieri (les gendarmes italiens).
Les événements ici narrés se passent après ce fait divers, lors de la dernière journée du rassemblement des anti-G8 dans l'école Diaz, lieu dans lequel étaient concentrés les médias dits alternatifs (dont le plus connu d'entre eux, Indymedia). D'entrée de jeu, on a droit à un ralenti bien moche sur une canette en CGI. Cette canette n'est qu'un gimmick qui reviendra à chaque fois que le film épousera un nouveau "point de vue". Façon de parler car le film est un assemblage d'images d'archives et de reconstitutions, procédé un peu bâtard qui se veut au cœur de l'action et qui, sous prétexte d'objectivité et de rapporter les faits tels que décrits dans le rapport de la Commission d'enquête qui suivra les événements, n'offrira qu'un portrait à charge. Certes le lynchage qui s'est déroulé dans cette école est condamnable et il faut reconnaître au réalisateur un savoir-faire évident pour nous faire bondir, frémir (on croit vraiment aux dents pétées sous les coups des CRS italiens) ou ressentir de la colère face à une telle haine déversée sur les wanna be révolutionnaires. Mais Diaz ne marche finalement qu'à l'émotionnel. Pas de cette émotion souvent - et à tort - reprochée à Spielberg ou même à Bayona dans The Impossible. Plutôt de celle qui ne laisse jamais le soin au spectateur de penser, qui le noie sous les images "chocs" dans le seul but d'annihiler toute alternative critique. Rah la la, comment qu'il m'a énervé, ce tract !

Diaz

BEAUNE – 3ème JOUR
 (vendredi 5 avril)
C'est parti pour trois films en compétition (Corruptions, A Single Shot et New World), un Sang Neuf (The Good Lie) et le très attendu Stoker, projeté hors-compét'.

En présence du réalisateur Olaf de Fleur Johannesson est projeté
Corruptions, film nous contant le destin de diverses personnes autour d'une même enquête sur un trafic de drogue. Studieux, le réalisateur dit avoir consulté les services de police de son pays afin de coller au plus près à la réalité de leur métier.
Autant les personnages exposés sont intéressants, autant ce qui leur arrive s'avère plat. Ce qui accentue la frustration de ne pas avoir pu en tirer plus de choses. A coté, de bons échos nous proviennent pour Call Girl. Il va falloir se le caser pour la fin du festoche...

Corruptions
Dans A Single Shot de David M. Rosenthal, un chasseur (Sam Rockwell) croyant abattre un cerf découvre le corps d'une femme criblée de chevrotine à coté de laquelle est sise une mallette contenant moult biffetons. Le compagnon de madame traquera notre chasseur afin de récupérer ses billes.
Après le littéralement bleu Welcome To The Punch, voilà un film littéralement noir. Il faudra s'accrocher pour s'intéresser au parcours de ce chasseur qui vit chichement et passe son temps à rendre visite à des gens similaires. Des dépressifs, de l'alcool, la nuit, des baraquements en bois délabrés, la moiteur... Un film qui risque d'en laisser plus d'un sur le bas-côté de l’ennui.

A lire le résumé, The Good Lie de Shawn Linden ne part pas gagnant : "Cullen, un jeune étudiant de bonne famille, découvre qu'il est en réalité le fruit du viol sauvage de sa mère par un criminel dénommé Rose (...). Cullen décide alors de partir à la recherche de ce père biologique".
Lumière chatoyante, couleurs vives, cinq ados dans un 4x4 qui partent camper... Les ingrédients du teen / slasher movie. Nos cinq branlotins se racontent à tour de rôle des saynètes absurdes (et réellement hilarantes), rythmant le film en parallèle avec l'enquête qu'a mené Cullen rapport à ses origines et qu'on revit avec lui en flashback. Au final un bon moment de déconne, parenthèse ludique et légère bienvenue, sur un sujet pourtant très premier degré. Il est d'ailleurs probable que les austères Corruptions et A Single Shot aient eu pour effet de réévaluer ce dernier.

The Good Lie
Arrive ensuite la projection hors-compétition de Stoker, premier film états-unien de Park Chan-Wook, auteur du surestimé Old Boy.
Mon oncle Charlie (Matthew Goode, qui surjoue l'enjôleur) est de retour après la mort de son frère, père d'India (Mia Wasikowska, intrigante) et mari d'Evelyn (Nicole Kidman, égale à elle-même, donc quelconque), et c'est parti pour 99 minutes de roucoulades en tout genre (va-t-il pécho la mère ? La fille ?) et de souvenirs tourmentés.
Ce premier essai hors Corée du Sud pour Park Chan-Wook est un film pour psychanalystes (l'araignée sous la jupette par deux fois, le bousier, les chaussures d'India...) qui fera le bonheur des adorateurs de David Lynch auquel l'hommage rendu juste avant semble finalement tomber sous le sens. Certes il y a une ambiance, un savoir-faire certain sur le plan visuel, mais accoler l'un à l'autre de beaux tableaux suffit-il à faire un bon film ? Rien n'est moins sûr. Comme chez Lynch ou Richard Kelly, on voit ce qu'on veut bien voir, on (se) projette, on sur-interprète, on digresse, on met du sens là où il n'y a rien d'autre à faire si on ne veut pas se sentir exclu. Bref, on a le sentiment que le film parle à chacun, à défaut de parler à tous. Restent quelques belles scènes (le trou au pied du toboggan), moult belles idées (le morceau de piano incestueux…), des plans vraiment chiadés et poétiques ainsi que quelques moments embarrassants.
Sinon, pour ceux qui aiment vraiment jouer aux énigmes, on pourra toujours parler de vampirisation de la nièce par l'oncle Charlie surtout que, vois-tu, Stoker c'est le nom du romancier qui écrivit Dracula. Bref, Stoker est un film beau, propre, carré... et chiant.

Stoker
22h30, projection de New World. Peu client du cinéma sud-coréen, dont on nous vante les mérites et rebat les oreilles depuis bientôt une décennie, aller voir un film venu du Pays du matin calme d'une durée de 2h20 me laisse dubitatif.
Lee Ja-Sung (Lee Jung-Jae, excellent) est un flic infiltré au cœur du plus grand syndicat du crime du pays et est chargé de se mêler de la succession en cours au sein de l'organisation criminelle après la mort du big boss. Qui de Jung Chung (Hwang Jeong-Min, l'excité de la bande) ou Lee Joong-Gu (Park Sung-Woong) semble le mieux à même de favoriser les desseins de la police menée par le détective Kang (Choi Min-Sik) ?
Une banale histoire d'infiltration comme le cinéma nous en a souvent servi. Sauf que s'il nous en servait plus souvent des comme ça, ce serait la fête du cinéma tous les jours ! En vrac, on retiendra des coups de tatanes depuis l'arrière d'une voiture au passager et des claques derrière la tête (bon, c'est anecdotique, mais ça m'amuse), des descentes de bandes pour castagner les rivaux, une réalisation léchée et un thème entêtant. Un grand film sur la solitude, qui aurait sa place dans nos salles.

New World

BEAUNE – 4ème JOUR
 (samedi 6 avril)
Après avoir zappé Hijacking (qui aura de bons retours) et le manque absolu d'envie de se taper L'Hypnotiseur, nous nous rendîmes à la projection de L'Autre Vie De Richard Kemp, seul film français ici présent hors rétrospectives.
Alors que Richard Kemp (Jean-Hugues Anglade) est obsédé depuis deux décennies par un tueur appelé le Perce-oreille et qui apparemment viendrait de sévir à nouveau, le voilà projeté à l'époque où ce tueur commettait ses premiers méfaits et où lui-même, jeune enquêteur, se lançait à ses basques.
Difficile de ne pas rire en voyant le postiché Anglade, celui de 1989. Comme il va être dur de croire que les deux Mélanie Thierry ont bien vingt ans d'écart. Comme on n'en pourra plus du passage obligé qui consiste à nous montrer un protagoniste refaire un pari (hippique cette fois-ci) qui fût autrefois perdu. Mais le plus effarant dans tout ça est le manque totale de sérieux dans la reconstitution : comme s'il suffisait de coller trois bagnoles d'époque devant des bâtiments cadrés serrés (et exclure du cadre tout ce qui est trop moderne) pour "faire crédible". Figurez-vous qu'on fumait dans les lieux publics, dans les cafés, dans les parties communes des immeubles dans les années 80 : dès lors que le film se situe dans ce passé, pas un seul plan sans qu'un fumeur ne soit présent au second plan ! Heureusement, une course-poursuite (à vélo) rigolote viendra égayer la vision de ce qui aurait pu faire un honnête téléfilm plutôt que ce film qui se repose sur une bonne idée salement mal exploitée. Et c'était en compétition ? Hé bé...
Bertrand Tavernier, seul réalisateur français à avoir jusque-là remporté le Grand Prix, peut dormir tranquille. Ce n'est pas Germinal Alvarez et son Autre Vie De Richard Kemp qui viendront succéder à Dans La Brume Electrique. Qui remporta pour rappel, la première édition en 2009.

L'Autre Vie De Richard Kemp
Jusqu'à présent, la compétition Sang Neuf ne nous a nullement imprimé la rétine. C'est donc sans grand espoir que nous nous rendons voir Fatal du sud-coréen Lee Don-Ku, en dépit de la surprise New World. Malgré un sujet fort, la prise de conscience empathique d'un violeur par rapport aux dégâts mentaux qu'il a commis sur sa victime, la forme s'avère rebutante. Quatre lycéens, dont Sung-Gong (le transparent Nam Yeon-Woo), éternel tête de turc de ses camarades, violent tour à tour Jang-Mi (bon, on n'a pas pu se retenir : à chaque fois on lisait Jean-Mi - et de rire !). Dix ans ont passé et, portant toujours son acte comme une chape de plomb, Sung-Gong se retrouve par hasard au sein d'une petite communauté religieuse au sein de laquelle il rencontrera, je vous le donne en mille, Jang-Mi (Yang Jo-A). Vivant de plus en plus mal la souffrance infligée à sa victime, il finira par aller la venger en trucidant chacun des trois compères avec lesquels il commît l'irréparable, avant d'en finir avec lui-même.
Le parti-pris plutôt fort du film (un rape and revenge inversé, l'un des auteurs du viol faisant justice à sa victime) est malheureusement sabordé par une forme assez pesante, voire très moche, comme pour donner au film des gages auteurisants. C'est cadré serré comme pour être "au plus près de la souffrance des personnages" et l'empathie que nous avons naturellement pour eux se trouve être surlignée de façon trop ostentatoire pour ne pas laisser sur le côté.

Fatal

BEAUNE – 5ème ET DERNIER JOUR
 (dimanche 7 avril)
Dernier film projeté en compétition, Northwest du Danois Michael Noer.
Petite frappe du quartier populaire de Nordvest, à Copenhague, Caspar vit de rapines au profit de Jamal, jusqu'à ce qu'il délaisse ce dernier au profit de Björn, lequel offre de plus intéressantes rentrées financières, mais également des "missions" qui vont au-delà des simples cambriolages, notamment le trafic de cocaïne. Faisant, grâce à ces jobs, subsister sa mère, sa petite sœur et son jeune frère Andy, Caspar aura besoin des services de ce dernier et la fratrie verra s'accumuler l'argent bien plus vite que les remords. Jusqu'au jour où Caspar devra passer au niveau supérieur et sera chargé de tuer...
Alors qu'on pouvait redouter un film sociétal (pauvreté, fratrie, quartier multiethnique), Michael Noer, s'il n'esquive pas ces sujets, se contente de les laisser là où ce genre de propos s'épanouit le mieux, le sous-texte. Très "scorsesien" et pas que de par son sujet (le film est composé d'un ensemble de - parfois très - courts plans-séquences, pouvant aussi faire penser au Fighter de David O. Russell), le film, qui s'appuie essentiellement sur son acteur principal (Gustav Dyekjær Giese, véritable révélation de ce festival), est une plongée au cœur des ambitions sans lendemains, celles de délinquants du dimanche qui se prennent pour les rois du pétrole parce qu'ils peuvent flamber dans les boîtes du centre-ville. Dès lors qu'il faudra tuer quelqu'un, tout deviendra plus compliqué, au point de littéralement se chier dessus. Prenant de bout en bout malgré un sujet rebattu, porté par un acteur formidable qui pour autant n'éclipse pas des personnages secondaires du même tonneau (Andy, le frère de Caspar, interprété par Oscar Dyekjær Giese, frère de Gustav ; l'imposant et impressionnant Björn, joué par Rolland Möller), parcouru d'une énergie sans esbroufe et d'une  mélancolie sans misérabilisme, criant de véracité sans pour autant sombrer dans le formalisme chiant des films qui se veulent réalistes, Northwest est un vrai bon film, de ces films qui ne payent pas de mine et qui pourtant vous étreignent encore un bon moment après leur vision.

Northwest
Il est temps désormais d'aller voir notre dernier film de cette semaine beaunoise, Call Girl de Mikael Marcimain, réalisateur de seconde équipe sur La Taupe de son compatriote Tomas Alfredson. En lice dans une compétition Sang Neuf qui n'aura pas jusque-là été d'un niveau remarquable, c'est sur la foi des échos que nous nous y présentons.
"Stockholm, fin des années 1970 (jusqu'ici le résumé est bon). La société suédoise comme modèle de société. Mais sous les apparences se cache une toute autre réalité. À quelques pas seulement des bâtiments officiels et des centres de détention pour mineurs, on trouve des clubs privés, des boîtes de strip-tease, des discothèques et des hôtels de passe. La jeune Iris ne connaît que trop bien ces endroits sordides. Elle qui a démarré tout en bas de l'échelle sociale va apprendre rapidement que le pouvoir ouvre toutes les portes."
D'ores et déjà, nous offrons à Call Girl la prix du film le plus mal pitché du programme. Stockholm, fin des années 1970. Dans les bureaux d'un hôtel de police, on s'affaire, s'agite, s'agace. En pleine libéralisation des mœurs, certains, et pas des moindres, outrepassent les droits que la société suédoise leur octroie pour s'offrir des prostitués toujours plus jeunes. Iris (Sofia Karemyr), pensionnaire d'un foyer pour jeunes "en manque de repères", est vite repérée, lors d'une de ses nombreuses virées nocturnes, par la Madame Claude suédoise de l'époque, Dagmar Glans (impressionnante Pernilla August). Cette même Dagmar Glans que suit de près Aspen Thorin (David "j'ai un petit quelque chose de Mads Mikkelsen" Dencik), flic enquêtant sur ces réseaux de prostitution qui fournissent en chair fraîche le gratin de la société suédoise, notamment ses hommes politiques.

Call Girl
D'une intrigue qui pourra sembler complexe à certains (et tirée d'un scandale qui remua la Suède en 1977, le Bordellhärvan - des putes et des puissants, on se croirait dans l'Amérique de James Ellroy), Marcimain livre un film d'une clarté exemplaire. Alternant entre les premiers pas dans le milieu des putes de luxe de la jeune Iris et de ses camarades, et l'enquête que mène coûte que coûte Thorin (ndc : le nain ?), Call Girl suit son cours, très fluide, livrant moult informations sans pour autant nous assommer. On pense au cinéma politique et paranoïaque dont furent abreuvées les années 1970, parallèle amplifié par la minutieuse reconstitution de l'époque. Outre ses indéniables qualités formelles, narratives, rythmiques, outre une bande-son magistrale, outre des acteurs au diapason de cette œuvre forte, c'est cette reconstitution qui prime. Autant Richard Kemp singeait une époque (la fin des années 1980), autant Mikael Marcimain et son équipe (nous) la font vivre. Martin Scorsese a réalisé une fresque politique matinée de poliziotteschi dans les années 1970 avec John Carpenter à la musique ? Oui. C'était en Suède, c'était en 2012.
On clôt ainsi ce festival sur deux films enthousiasmants.


BEAUNE, LE MÊME JOUR
Alors que nous rentrons, voilà que tombe le palmarès. Roulements de tambour... et le Grand Prix 2013 est attribué à, surprise... ah ben non, pas surprise ! C'est bien Drug War de Johnnie To qui est récompensé. Le jury a néanmoins décidé de remettre un Prix du Jury ex æquo à nos deux chouchous de cette édition, à savoir New World et Northwest, ce dernier repartant en prime avec le Prix de la Critique ! Le Prix Spécial Police revient à Hijacking.
Enfin, et on ne voit pas comment il aurait pu en être autrement, le Prix Sang Neuf revient à Call Girl. Plus que de la logique, cela relève de l'évidence. Finalement, on comprend mieux ce qui différencie un Grand Prix d'un Prix du Jury : le Grand Prix semble devoir refléter un festival là où le Prix du Jury semble être le vrai coup de cœur, le "vrai gagnant", si on peut dire, des jurés. Néanmoins, cela n'altère en rien la qualité de ce palmarès 2013. Et quitte à en rajouter dans le cliché viticole, nous avons à un très grand cru. Rideau !

Call Girl


LE PALMARÈS

Grand Prix : Drug War de Johnnie To
Prix du Jury : New World de Hoon-jung Park / Northwest de Michael Noer (ex æquo)
Prix de la critique : Northwest de Michael Noer
Prix spécial police : Hijacking de Tobias Lindholm
Prix Sang Neuf : Call Girl de Mikael Marcimain


(Merci à Guenaël Éveno pour l'élagage)




   

Commentaires   

+1 #1 Jul 02-05-2013 09:50
la preuve que le type qui a rédigé ce papier est pas très sérieux : on me signale dans l'oreillette que dans Hijacking, il ne s'agit pas de touristes...
au moins, quand il dit ne pas l'avoir vu, il ne ment pas !

J.

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