Veronica Mars
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- Critique par Guénaël Eveno le 19 mars 2014
L'appel de Neptune
"A long time ago, we used to be friends" chantaient les Dandy Warhols. Puis nous nous sommes perdus de vue, non sans amertume. Et te voilà de retour sept ans plus tard, clean, une jeune femme prête à intégrer un cabinet d'avocat prestigieux. Du moins c'est ce que tu crois...
Flashback. Rentrée 2004.
La chaîne UPN accueille la nouvelle création de Rob Thomas : l'enquête d'une lycéenne sur le meurtre de sa meilleure amie, fille du magnat de l’informatique de la ville fictive de Neptune, Californie. Veronica Mars souhaite rétablir la vérité derrière la condamnation d’un bouc émissaire et laver la disgrâce de son père, déchu de son titre de shérif en accusant le père de la victime. Devenue paria, la détective en herbe renaît dans l’exploration des secrets d'ados nantis et réussit l’exploit de résoudre avec son seul ami Wallace un mystère par épisode, devenant très vite la limière à contacter pour tout lycéen de Neptune dans de beaux draps.
Sorte de Nancy Drew (Alice Roy en VF) croisée avec Philip Marlowe, Veronica gravite autour d'un microcosme que le téléspectateur découvre avec sa complicité et sa répartie assassine, voix off de film Noir à la clé. Comme son homologue des romans de Raymond Chandler, Veronica se frotte à une multitude de milieux, et si les secrets règnent à Neptune, rien n’est plus en vase clos.
La série incorpore les oppositions sociales lycéennes ("3-9" contre quartiers pauvres), les incursions des médias dans la vie de teens ayant grandi dans le culte de la célébrité, le boom d’Internet et les nouvelles problématiques familiales. Les années 90 sont aussi passées par là , les personnages féminins ont pu creuser leur sillon au petit écran pour que la résolution de Veronica puisse s’exprimer dès les premiers instants de la série, et cela même en dehors du cadre de son lycée. On peut dire que Veronica Mars est au film Noir ce que Buffy Contre Les Vampires fut au fantastique, à ceci près que le personnage titre ne découvre pas le monde des adultes mais y saute à pieds joints et sans métaphore.
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Kristen Bell s’impose dès le départ dans ce rôle de femme forte, ironique et résolue, si bien qu’on ne peut envisager personne d'autre dans le rôle. Cette saison inaugurale révèle également Amanda Seyfried, incarnant la défunte meilleure amie de l’héroïne par le biais de flashbacks qui, à l’instar de Laura Palmer dans Twin Peaks, scellent l’impact de son meurtre et son emprise sur la communauté. L’interprète du Petit Chaperon Rouge et de Linda Lovelace ne trouvera pas de rôle qui capte aussi bien sa présence que celui de Lily Kane.
Reconduite pour l'année 2005/2006, Veronica Mars doit laisser derrière elle l’intrigue policière de la première saison. Rob Thomas multiplie les fils rouges, notamment un accident de bus qui vient endeuiller dès ses premiers jours l’année de Terminale. Conduite avec brio, l’enquête fleuve sur cet catastrophe offre à la série de belles fausses pistes, de nouveaux personnages particulièrement savoureux et fait de cette saison 2 la plus brillante de Veronica Mars. Les audiences ne saluent pas la performance, stagnant à un très bas niveau, et semblent annoncer une annulation. C'était sans compter la mobilisation d’un noyau de fans fidèles qui milite activement auprès des dirigeants de la chaîne. Confiant, Rob Thomas décline un poste de showrunner sur la série Friday Night Lights pour porter la prochaine saison. A raison, la production de treize nouveaux épisodes est lancée, suivis de sept autres épisodes pour la chaîne CW, fruit de la fusion entre WB et UPN.
La saison 3, qui se déroule à l’université, conjugue avec brio le traitement d’un nouveau microcosme (les fraternités) avec les études de criminologie et l'accession au statut de détective de l’héroïne. Mais souffre néanmoins de quelques signes d’essoufflement liés à la répétition de situations et à des intrigues plus sentimentales (le très présent trio Veronica/Logan/Piz).Â
Les fans poursuivent leur campagne pour redresser les audiences, or leur implication ne suffit pas. Diffusée sur M6 en France, la série connaît de meilleurs chiffres que dans son pays d’origine. Malgré les menaces de suppression définitive, Rob Thomas tient bon, et, sur le modèle de David Lynch pour la première saison de Twin Peaks, termine cette troisième année sur de nombreuses questions non résolues pour forcer la main à CW. Le network décide malgré tout d’annuler la série, laissant les fans et le créateur face à un final ouvert. La rumeur d’un film de conclusion naît, Warner Bros et le producteur Joel Silver tuent le projet dans l’œuf en refusant de le financer, arguant qu’un tel film ne rencontrerait pas son public.Â
Les années suivantes verront s’alterner rumeurs de reprise et d’abandon, jusqu’au 13 mars 2013 : Rob Thomas et Kristen Bell lancent la plus grande campagne de financement participatif conduite jusqu'alors sur Kickstarter. Si les dons des internautes atteignent deux millions de dollars, la production du film pourra être lancée. La campagne est un succès sans précédent, il faut moins d’une journée pour attendre la somme escomptée et le total avoisinera les 5,7 millions de dollars, réunis par quelques 90 000 contributeurs à travers le monde.Â
Un peu plus d’un an après cette réussite, Veronica Mars sort de son grand sommeil : le film est distribué sur 291 écrans aux Etats-Unis depuis le 14 mars dernier. Une couverture honnête eut égard du défi qui se posait pour les producteurs et Warner Bros. Rob Thomas expliquait sur Kickstarter que leur premier souci était de répondre à la promesse faite aux 65 000 fans qui avaient donné plus de trente-cinq dollars de recevoir une copie du film au premier week-end d'exploitation. De ce fait, une grande partie du public potentiel ne se déplacerait pas en salle, ce qui rendait la distribution encore plus délicate. (1)Â
Les spectateurs français, qui accueillirent bien mieux la série, devront se contenter d’une sortie simultanée sur les plates formes de VOD payantes, au choix en VF et VOST. La chronologie des médias qui établit un délai de quatre mois entre la sortie en salle et la sortie VOD d’un film achève d’étouffer les derniers espoirs de voir la répartie de Kristen Bell s’exprimer dans le fauteuil chaud d’une salle de cinéma. Il serait pourtant dommage de bouder son plaisir car ce long-métrage Veronica Mars est une réussite qui renverra le spectateur aux belles heures du show en plus de proposer une intrigue indépendante très habilement ficelée.
En bonne place pour être embauchée dans un prestigieux cabinet d’avocat, Veronica refuse l’invitation à la soirée des anciens élèves que lui tendent Wallace et Mac. Elle apprend alors la mort d’une de ses camarades de Neptune High devenue une chanteuse célèbre. Un décès dans lequel serait impliqué Logan, petit ami de la chanteuse, et ex de Veronica. Souhaitant lui venir en aide dans ses démarches pour trouver un avocat, Veronica finit par mener elle-même l’enquête et constate que la ville qu’elle a laissée derrière elle a laissé croître la corruption des services de police.
Le retour du triangle amoureux de la saison 3 symbolise un nouveau tiraillement entre ce que Veronica était et ce qu’elle a décidé d’être. Il apparaît logique que Logan Echolls soit l’élément déclencheur de ce tiraillement, tant il fut le centre de gravité de sa vie de détective. La romance est alors intégrée au film mieux qu’elle ne fût traitée dans les dernières heures de la série, et on prend d’autant plus de plaisir aux valses entre les deux personnages que Veronica conserve finalement la tête froide. Rob Thomas a opéré de nombreux rabotages à une enquête fil rouge qui aurait très bien pu se diluer sur une dizaine d'épisodes. Une enquête qui s’accommode d’autant mieux des "retrouvailles" d’anciens élèves qu’elle se révèle liée à d’obscurs événements qui se seraient produits au temps du lycée.
A travers ce crime s'ouvre un état des lieux particulièrement inquiétant de la police de Neptune qui semblerait tremper dans une corruption plus importante depuis l’accession du shérif Lamb (frère de l’ancien shérif, incarné par Jerry O’Connell) à la tête du comté. Si elle n’est pas l’intrigue principale, cette gothamisation de Neptune apporte une atmosphère plus noire et étouffante, un traitement un peu plus cinématographique pour ce qui n’aurait pu être que des retrouvailles sous couvert de whodunit. La résolution de l’enquête passe alors par la mise à jour de cette corruption généralisée par Veronica, véritable fille prodigue de sa ville natale.
Il serait difficile de contredire, de par la nature même du projet, la volonté de donner aux fans ce qu’ils voulaient voir, et Rob Thomas ne s'en cache pas. Le film grouille d’apparitions d’anciennes figures de la série, fait évoluer la même faune dans des décors qui semblent figés pour l’éternité. Et le showrunner de s’amuser (peut-être à dessein) de la non évolution des "3-9" de Neptune, parmi lesquels frayent toujours l’éternel fêtard Dick Casablancas ou bien Gia Goodman, deux victimes collatérales des investigations lycéennes de la détective. Il est d’ailleurs savoureux de voir Kristen Bell faire face à Krysten Ritter qui a depuis acquis ses galons de comédienne avec ses rôles dans Breaking Bad et la désopilante sitcom Don’t Trust The Bitch…
Le bal des anciens terminé dans une bagarre de saloon jurera avec l’aspect plus adulte que le film aurait dû embrasser : en sept ans, rien n’a vraiment changé. Il n’est ainsi pas innocent que le mystère soit lié un secret traîné comme un boulet depuis la dizaine d’années qui a suivi le lycée, étouffant depuis bien trop longtemps une poignée de personnages. Ces anciens élèves de Neptune High sont comme Veronica, des ados traumatisés à un stade critique de leur évolution, coincés dans une absence de résolution, comme le fut la série elle-même.Â
Il ne faudra pas espérer de ce film un grand spectacle. S'il est bien ficelé, doté d'un scénario solide, Veronica Mars taillé pour le cinéma possède les quelques imperfections d’un format feuilleton "tuné" en long-métrage. Le classicisme de sa réalisation ne l’assimile en rien à un téléfilm, plutôt à une version amplifiée de l'univers que les téléspectateurs connaissent. Son capital sympathie pourrait bien toucher les néophytes, tenus par la main par une explication en début de récit qui les glissera progressivement dans l’univers de Neptune. La dynamique père/fille de Kristen Bell/Enrico Colantoni qui avait fait les beaux jours de la série est toujours aussi remarquable, et on se plaît devant le final à rêver ce projet comme les prémices d’une longue lignée. Peut-être cette hypothétique quatrième saison qui prendrait place loin des contrées de Quantico présentées à l’époque. Le père et la fille associés contre le crime dans une poignée d’épisodes au format d’une heure et demie : un des duos les plus attachants de l’histoire des séries ne mériterait-il pas d’être ressuscité de temps à autre, juste pour le plaisir ?
(1) Un credo qui se dément par le démarrage plutôt exceptionnel du film qui atteint un million de dollars dès son premier jour d’exploitation. Il faut dire que le succès de la campagne a fait une bonne publicité !
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VERONICA MARS
Réalisation : Rob Thomas
Scénario : Rob Thomas, Diane Ruggiero
Production : Kristen Bell, Dan Etheridge, Daniel Stokdyk, Rob Thomas
Photo : Ben Kutchins
Montage : Daniel Gabbe
Bande originale : Josh Kramon
Origine : USA
Durée : 1h47
Sortie française : 14 mars 2014 en VOD