Lost River
- Détails
- Critique par Guénaël Eveno le 6 juin 2014
Quand la ville meurt
Un détour vers la sélection Un certain regard de ce festival de Cannes 2014 pour contempler les débuts à la réalisation de Ryan Gosling : une plongée dans une ville sans nom et sans futur menée par la superbe Christina Hendricks.
Billy (Hendricks) élève seule ses deux fils et risque de perdre sa maison faute de pouvoir rembourser son prêt. Aussi, lorsque son nouveau banquier lui propose un job bien plus lucratif, elle finit par accepter bien qu'elle ne sache pas jusqu'où cette proposition la conduira. Pendant ce temps son fils aîné, Bones, doit fuir le caïd du quartier, décidé à le corriger après les vols commis sur son territoire. Le jeune homme rencontre sa jeune voisine, Rat, avec qui il se lie. Vivant avec sa grand-mère et un rat de compagnie, Rat lui conte l'histoire d'un parc qui aurait été englouti sous la rivière de la ville...
Pour ce premier long, Ryan Gosling conduit sous influences. Il ne s'en cache pas, remerciant dans les crédits les cinéastes qui lui ont apporté la sève nécessaire à son film (parmi eux Nicolas "Drive" Winding Refn, Derek "The Place Beyond The Pines" Cianfrance ou même Guillermo del Toro). On serait tenté d'ajouter à la liste David Lynch pour l'obsession du feu et l'ensemble des déviances nocturnes atmosphériques au cours desquelles on ne serait pas étonnés d'entendre chanter Julee Cruise. Et enfin le Richard Kelly de Donnie Darko et The Box qu'on aurait dopé au polar pour l'étrange galerie de personnages, la mélancolie et la naïveté qui se dégage de la relation entre les deux adolescents.
Dans sa première partie, Lost River est à l'image de sa bande son, collage d'ambiances disparates qui prend peu à peu forme à mesure du développement du récit, rythmé de rencontres et d'imprévus, menant le spectateur vers l'inconnu. Il flotte ici un sentiment de purgatoire, entre nostalgie d'un passé révolu et futur qui refuse de se dévoiler clairement. La lumière irréelle de Benoît Debie, un habitué des ambiances visuelles très caractérisées (Irréversible, Innocence, Enter The Void...), sublime cet atmosphère d'entre-deux incertain.
La ville pourrait être Detroit, mais n'a pas de nom. Salement touchée par la crise, ce no man's land est contrôlé par un certain Bully (Matt Smith, très loin de son interprétation du Docteur). Les rares habitations encore debout risquent chaque jour la démolition, leurs propriétaires ne pouvant régler leur crédit. Son lac recèle un secret enfoui dans le passé et fait écho au comportement d'une grand-mère mutique (Barbara Steele) qui repasse sans arrêt les vieux films avec son mari mort il y a fort longtemps. Les habitants viennent taire leur ennui dans des spectacles gores très inspirés du Grand Guignol, un cache-misère qui accentue paradoxalement l'état d'abandon et de jungle des environs.
Billy refuse de quitter sa ville car elle y est attachée, comme la grand-mère est attachée à ses souvenirs. Mais tout la pousse vers l'extérieur : les mots sur la famille d'un chauffeur de taxi discret mais bienveillant (Reda Kateb dans un rôle qui lui va à merveille), les conseils d'un banquier lubrique, l'impossibilité flagrante d'y offrir un avenir à ses deux fils... Il faudra le concours des circonstances contées dans cette Lost River pour qu'elle y soit forcée.
Gosling a de toute évidence su s'entourer, d'une équipe technique solide à un casting sélectionné avec amour. Christina Hendricks trouve enfin un vrai premier rôle dans un personnage de mère émouvant, très loin de la plantureuse Joan de Mad Men. Saoirse Ronan revisite les dehors contemplatifs qu'elle a connus dans le Byzantium de Neil Jordan, Ben Mendelsohn perturbe en banquier ambigu, Eva Mendes détonne en égérie du gore. Dans le rôle de Bones, le jeune Iain De Caestecker (la série Agents Of S.H.I.E.L.D) tient quand à lui la dragée haute à tous ces acteurs chevronnés sans effort apparent.
Et bien qu'imparfait, Lost River reste globalement maîtrisé, parfois capable de belles envolées. Ne lui manque qu'un peu de caractère.
LOST RIVER
Réalisation : Ryan Gosling
Scénario : Ryan Gosling
Production : Ryan Gosling, Gary Michael Walters, Jeffrey Stott, Noaz Deshe...
Photo : Benoît Debie
Montage : Valdis Oskarsdottir
Bande originale : Johnny Jewel
Origine : USA
Durée : 1H45
Sortie française : indéterminée
Commentaires
S’abonner au flux RSS pour les commentaires de cet article.