L'Armée Des Ténèbres

Excaliburp !

Affiche L'Armée Des Ténèbres

Passionné depuis toujours par la comédie, des trois Stooges au duo Abbott & Costello, Sam Raimi avait franchi le pas dès 1984 en réalisant son second long-métrage Mort Sur Le Grill, parodie de polars des années 50 virant très rapidement au burlesque et au slapstick. 


On y voyait déjà des personnages de chair et d'os confrontés à des situations qui n'auraient dépareillé dans aucun cartoon de Chuck Jones ou de Tex Avery, des personnages non soumis aux lois de l'attraction, aux visages souvent déformés par la peur ou la douleur. Si le premier volet des aventures de Ashley Williams, dit Ash, au pays des démons morts-vivants était volontiers placé sous le signe de l'horreur et de l'angoisse, principalement par la seule volonté du producteur Robert Tapert, on sentait le burlesque se glisser subrepticement entre deux douloureux moments de terreur.

Dès le deuxième, les ambitions humoristiques de Raimi furent révélées. Sans pour autant oublier son appartenance au gore et à la grande et détraquée famille des films qui font peur, Evil Dead 2 se partageait avec une inventivité et un talent fous entre rires et frissons. Raimi se fendit même de tourner une séquence exclusivement en hommage au public français du festival du film fantastique du Grand Rex qui, hystérique, qui avait hurlé sa passion pour Evil Dead, présenté au même endroit en 1982 : une scène où la jeune Bobby Jo reçoit un œil dans sa bouche toute grande ouverte à leur destination. La réaction fut unanime lors de la présentation de la suite au même festival en 1987 : applaudissements à tout rompre et pour finir, le Prix du public, des effets spéciaux et la Licorne d'Or (Grand Prix du festival).

L'Armée Des Ténèbres
Dans la mesure où toutes les grandes trilogies comportent trois épisodes, il fallait bien que Raimi, Bob Tapert et Bruce Campbell s'y recollent. A l'été 1990 sortit Darkman, distribué par Universal et remporta un bon succès mondial, installant Sam Raimi comme un réalisateur commercialement estimable par les différents studios. Les projets affluèrent mais le réalisateur, qu’on disait lié par contrat à Dino De Laurentis, se lança avec ses complices dans le projet Evil Dead 3, qu’Universal distribuerait dans certains pays au terme de sa production. Il devrait mettre la pédale douce sur les débordements sanglants et la violence, car le studio visait une distribution plus large que celle des deux précédents films de la saga qui, s'ils connurent un succès intense en vidéocassette, ne furent pas pour autant des standards du box-office international. Raimi et son frère Ivan saisirent l’occasion de reprendre en main le scénario qu’ils avaient écrit en 1986. Qui devait être celui de Evil Dead 2 jusqu’à ce que De Laurentis ne contraigne le metteur en scène à revoir ses ambitions à la baisse, préférant financer une suite qui serait une version améliorée et professionnelle du premier. Les deux frères se virent également contraints de freiner les effusions sanglantes qui avaient fait le succès des deux précédents opus. Ils décidèrent d’orienter leur film vers la comédie pure, au grand bonheur de Bruce Campbell qui se verrait en mesure de montrer l'étendue de ses talents comiques au service d'un rôle et d'une histoire qui lui demanderait autre chose que de hurler avec les yeux révulsés. La séquence de la maison qui rit dans Evil Dead 2 lui avait, il est vrai, permis d'exprimer une folie d'une époustouflante intensité, mais Evil Dead 3 réservait encore bien plus.

Le tournage d’Evil Dead 3 débute à l'été 1991 à Palmdale en Californie, un lieu inattendu pour représenter l’Angleterre du quatorzième siècle. C’est là que l’on construit le décor du château, après avoir abandonné par trop de contraintes logistiques la possibilité de tourner dans le château espagnol que Paul Verhoeven avait utilisé pour La Chair Et Le Sang.Connu sous le titre de travail Army Of The Dead, Evil Dead 3 ne mise pas sur le réalisme.
Nantis d'une grosse dizaine de millions de dollars, Tapert et Raimi ne peuvent se permettre d'extravagances mais le budget reste nettement plus confortable que sur les deux premiers, notamment grâce à la générosité de Dino De Laurentiis, principal investisseur sur le projet. Bruce Campbell redevient le jouet consentant de son réalisateur d'ami qui fait du personnage d'Ash un crash test dummie expérimental, accentuant clairement le côté dessin animé en direct de L'Armée Des Ténèbres. Il pense même à faire perdre un œil à Ash, mais l'idée est abandonnée à cause des séquences à cheval et de combats jugées trop dangereuses à tourner car, dans de telles conditions, un  bandeau aurait considérablement gêné l'acteur. Confié aux bons soins des experts Tony Gardner et des alors tous jeunes studios KNB, Campbell se voit pousser un double sur la nuque baptisé Evil Ash, qui lui aussi ne serait pas en restes de sévices corporelles. Brûlé, démembré mais toujours vaillant, le méchant Ashley permit au comédien d'interpréter deux rôles dans un film où la dualité est une notion récurrente puisque l’humour se dispute à l’épouvante.

L'Armée Des Ténèbres
Le tournage ne fut une partie de plaisir pour personne. Prévu le temps de soixante-quatorze jours, il en durera finalement près de cent pour de nombreuses raisons : les courts temps d’obscurité dans le désert californien qui rendent les tournages de nuit difficiles, les figurants et leurs syndicats bienveillants (plutôt malveillants pour le réalisateur), les soucis avec de nombreux effets mécaniques (les squelettes étaient un enfer selon Tony Gardner) et le sens du détail confinant à la maniaquerie de Sam Raimi, rarement satisfait de ses plans et qui tourne, tourne et tourne encore. Une fois le premier montage terminé et divulgué aux studios Universal à la fin mars de l’année 1992, Raimi doit retourner quelques scènes (dont la fin) dans des délais très courts et avec une rallonge en poche. La postproduction tient bon la barre, et William Mesa, par l’intermédiaire de sa société Introvision, parvint à rendre des effets visuels convaincants grâce à son procédé également baptisé l’introvision qui permet de filmer une scène avec les comédiens au cœur même d’un décor miniature. (1) C’est grâce à ce procédé que la mythique séquence dans laquelle Ash est attaqué par trois minuscules et agressives versions de lui a pu été tournée.

Soucieux de ne pas choquer les spectateurs non habitués à l'horreur tout en contentant les fans de la saga, Sam Raimi jongle en permanence entre des séquences où l'on suggère le frisson et un humour particulièrement débridé, réminiscence de Mort Sur Le Grill. Convaincu qu'il ne proposerait pas à son public des séquences où tripes, boyaux et autres joyeusetés issues d'un être humain ou des créatures peu ragoutantes viendraient éclabousser les écrans, Raimi s'en donne à cœur-joie dans le divertissement bon enfant. Son film n'est donc jamais un monument de gore ni un spectacle intense d'horreur à tout rompre. Si l'hémoglobine y coule à flot, c'est uniquement le temps d'une scène volontairement comique et outrancière au cours de laquelle un geyser de sang surgit d'un puits creusé dans le sol. Certaines créatures demeurent néanmoins effrayantes comme le Evil Ash qui, dans certains gros plans tarabiscotés chers à l'auteur du Monde Fantastique D'Oz (son dernier film en date qui partage d'évidentes analogies avec L'Armée Des Ténèbres) ne prête pas franchement à l'amusement. Le classement R, interdiction aux moins de dix-sept ans en Amérique, aurait pu être évité. Le troisième volet de la saga est en France interdit aux moins de douze ans, décision elle-même incompréhensible. Au réalisateur de la première saga Spider-Man d'exprimer par ce film tout son amour du burlesque, revenant ainsi à ses courts-métrages amateurs de jeunesse où, déguisé en pâtissier, il massacrait dans un évier un bonhomme en pain d'épice qui réclamait sa clémence.

L'Armée Des Ténèbres
Ainsi, le film est terminé, monté et présenté au distributeur au printemps 1992, et n'est distribué par Universal sur le sol américain qu’en février 1993, après que le studio l’ait laissé dormir près d’une année sur les étagères. Ilparaît clair que les pontes du studio ne savent pas comment vendre le film, rebaptisé Army Of Darkness. Les affiches, la campagne marketing, rien n’indique au spectateur non initié qu'il s'agit du troisième épisode de la série Evil Dead. Les posters américains se contentent d’un "Par le réalisateur de Darkman" afin de profiter du succès de ce dernier trois ans auparavant. L’aversion latente des studios de l’époque pour le genre horrifique peut expliquer ce blocage. Depuis, les mentalités ont changé et les grosses compagnies se sont mises à produire des films gore sans trop de complexe, reléguant l'horreur pure et dure à des sociétés de production plus petites. Mais en 1993, alors que le genre n'a plus le vent en poupe (2), vendre le film comme la suite de deux séries B où les yeux atterrissent dans des bouches, le sang gicle en abondance d'un trou dans le mur, les corps en décomposition dansent la gigue et les demoiselles perdues dans la foret sont violées par une tripotée d'arbres menaçants semblait inapproprié. L'absence évidente d'une vraie violence crue et barbare dans Army Of Darkness achève la décision d'une distribution différente de celle d'Evil dead. Raimi conserve dans son montage une fin plutôt nihiliste dans laquelle Ash, qui s’est rendu fort maladroit dans l’absorption d’une potion supposée le ramener à son siècle, se réveille plus tard que prévu dans une Angleterre futuriste et post-apocalyptique. Cette fin n'est pas acceptée par Universal sur le territoire américain. Mais les aléas des droits de distribution font que certains pays, dont l’Angleterre, purent bénéficier de cette conclusion originale et non de celle, plus positive, retournée par Sam Raimi, Bruce Campbell et une petite équipe. Une fin qui se prête au jeu de la suite potentielle, dans laquelle le côté héroïque du personnage principal est mis en avant, reléguant aux tiroirs le parfait abruti décrit par les frères Raimi. Du Vil Coyote d’origine, Ash devient Bip-Bip pour la satisfaction des exécutifs d’Universal, soucieux eux-mêmes de la satisfaction de leur public.

La critique internationale est emballée, bien que les fanatiques intégristes des deux premiers Evil Dead déplorent encore l’absence de violence graphique. On loue son inventivité, son audace, sa technique et l’interprétation de Bruce Campbell qui accède définitivement au statut d’acteur culte, bien que le public des amateurs de cinéma de genre l’adore déjà depuis Evil Dead 2. Le comédien mérite amplement cette petite reconnaissance tant il se donne à fond dans le rôle de Ash. Universal lui fait même confiance pour le lancement d’une nouvelle série, Les Aventures De Brisco County Jr qui ne connaitra pas le succès escompté et ne vivra que le temps d’une unique saison.
Même s’il n’obtint pas de gros scores dans les cinémas du monde entier – compte tenu d’une distribution chaotique et étalée sur plus d’un an à l’international - L’Armée Des Ténèbres fonctionne suffisamment en vidéo pour que les studios Universal renouvellent leur confiance à Sam Raimi et Robert Tapert. Une confiance qui leur porte chance puisque les portes de la gloire s’ouvrent durant plusieurs saisons aux deux séries produites par les deux hommes, Les Aventures D’Hercule et Xena, La Princesse Guerrière. Séries dans lesquelles Bruce Campbell obtient un rôle plus ou moins régulier de voleur sympathique et qui permet à Robert Tapert de trouver l’amour en la personne de la Lucy Lawless, l’actrice interprète de Xena. Celle-ci reprendra au compte de son personnage un célèbre cri de guerre qui à l’origine était poussé par le méchant Ash lors de l’attaque finale du château d’Arthur dans Army Of Darkness !

L'Armée Des Ténèbres
Le troisième opus de la saga Evil Dead supporte aisément le poids des années. De tous les épisodes, c’est celui dont on se souvient le plus et qui a engendré le plus de produits dérivés. Bandes dessinées, jeux vidéo, jeux de société… Tous s’inspirèrent plus volontiers du personnage de Ash version Retour Vers Le Futur que du Ash des aventures dans la cabane maudite d’une forêt du Michigan. Les effets spéciaux ne sont pas les plus époustouflants que l’on ait pu voir, même à l’époque du tournage, mais ils contribuent à la volonté de Sam Raimi de rendre un vibrant hommage au cinéma de Ray Harryhausen, aux films d’aventures fantastiques comme les Sinbad et consorts et à l’animation image par image. Les squelettes de l’armée des cadavéreux reste une référence directe à Jason Et Les Argonautes, chef-d’œuvre de Don Chaffey sorti en 1963. On peut voir également dans L’Armée Des Ténèbres un respectueux clin d’œil aux séries B de capes et d’épées dans lesquelles le héros sauve la damoiselle en détresse, ici incarnée par Embeth Davidtz. Sam Raimi ne voulait pas d’une femme forte comme le cinéma en proposait depuis le succès de Alien, Le Huitième Passager. Il fallait à son film une frêle et secourable victime. L’ex enfant-terrible du X américain Traci Lords avait postulé pour le rôle de Sheila mais ne fut pas retenue. (3) Bridget Fonda, encore non-auréolée de reconnaissance au moment du tournage, joue quand à elle Linda, la petite amie de Ash dans le prologue du film, qui condense les précédents opus en trois minutes afin que le public comprenne les raisons de la présence du héros dans le passé.

Propulsé en l’an 1300 et des poussières suite à une incantation maléfique censée chasser l’entité monstrueuse qui les avait attaqués lui et sa petite amie lors d’un week-end dans une cabane en forêt, Ash Williams, un idiot qui se croit plus intelligent que tout le monde, doit faire équipe avec un certain roi Arthur (aucun lien, il est fils unique) pour affronter une armée démoniaque réveillée suite à une mauvaise lecture par Ash lui-même et commandée par le méchant Ash, ex-excroissance de notre abruti de héros devenue son portrait presque craché.  
Avec un tel résumé, il était difficile de s’attendre à un sérieux affiché. L’Armée Des Ténèbres est une comédie revendiquée qui s’assume. C’est aussi un trépidant film d’aventures où l’ennui semble être une notion inexistante, et par moments un conte d’épouvante bon enfant. Porté par la musique de Joseph LoDuca, épaulé par le thème de l’armée des morts composé par un Danny Elfman avec qui Sam Raimi venait de travailler sur Darkman, il offre à Bruce Campbell l’occasion de s’imposer en personnalité inévitable du cinéma de genre et assied Sam Raimi sur l’autel des génies de la mise en scène. Le réalisateur y perfectionne son art et affiche sans complexes son style ô combien complexe. Une patte visuelle reconnaissable, une personnalisation époustouflante de plans où transparait l’évident plaisir de tourner. C’est aussi un film unique qui transcende son statut officieux de suite de classiques horrifiques pour proposer autre chose. Une leçon de détournement de genres, en périphérie d’une déférence à un certain cinéma qui a enchanté la jeunesse et forgé la nature artistique du metteur en scène.

Une suite est régulièrement envisagée depuis une quinzaine d’années par les frères Raimi et Robert Tapert, qui s’en amusent à chaque entretien de promotion de leurs nouveaux films. Un Evil Dead 4 ou un Army Of Darkness 2 qui verrait Ash revenir botter l’arrière-train de démons millénaires récalcitrants. Alors que le récent remake signé Federico Alvarez a connu un succès plus financier que critique et artistique, l’opportunité de réunir l’équipe d’origine pour un baroud d’honneur est un petit bonheur hypothétique qu’il serait dommage de refuser. Si vous n’avez pas vu le film, n’hésitez pas et n’ayez pas peur de la version française, exceptionnelle. Si vous l’avez vu et ne l’avez pas apprécié, revoyez-le ! Et si vous en êtes fans, alors saluez le roi comme il se doit.

Hail to the king baby! Hail to the king!




(1)   Mesa avait créé ce système pour Outland, Loin De La Terre de Peter Hyams en 1981 et l’a depuis fort bien rentabilisé.

(2)  Il faudra attendre le début de l'année 1997 et l'immense succès mondial d'un Scream signé Wes Craven pour que les œuvres sanglantes ou tout du moins éprouvantes renouent avec les salles combles 

(3)  Cela ne l’empêchera pas de se lier d’amitié avec Ted Raimi, comédien et frère de Sam, et de le retrouver sur le slasher indépendant Skinner.


ARMY OF DARKNESS
Réalisateur : Sam Raimi
Scénario : Sami Raimi & Ivan Raimi
Production : Bruce Campbell, Dino De Laurentiis, Robert G. Tapert
Photo : Bill Pope
Montage : Sonny Baskin, Bob Murawski & Sam Raimi
Bande originale : Joseph LoDuca
Origine : USA
Durée : 1h28
Sortie française : 5 janvier 1994




   

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