Détective Dee 2 : La Légende Du Dragon Des Mers
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- Analyse par Nicolas Zugasti le 22 décembre 2014
Lancé de Dee
Après trente-cinq ans de carrière, Tsui Hark n'est pas prêt à réfrener ses ardeurs comme l'a encore démontré la suite/préquelle des aventures du Détective Dee.
Expérimentant à tout va les possibilités offertes par la 3D, le réalisateur hongkongais ne perd pourtant pas de vue l'histoire à raconter. Ses talents de conteur étant notamment mis en valeur dans la séquence qui nous intéresse.
Avec ce Young Detective Dee, excellent complément à son déjà remarquable Détective Dee Et Le Mystère De La Flamme Fantôme, Tsui Hark livre un blockbuster que l'on espérait depuis des lustres et que pourtant pas grand monde n'est allé voir en salles. L'expérimenter dans son salon est moins intense mais demeure tout de même sacrément jouissif.
Si l'on a souvent rapprochés, à juste titre, Tsui Hark et Steven Spielberg pour leur capacité à mettre en scène avec brio des films à gros budgets où cohabitent naturellement grand spectacle excitant et charges émotionnelles, ils sont également de dignes représentants du syndrome du "si simple si évident" qui est l'apanage des plus grands cinéastes. Avec la séquence qui suit immédiatement le générique, Tsui Hark fait une nouvelle fois la preuve de cette évidente simplicité en formalisant un enchaînement de plans exposant les principaux enjeux à venir tout en distillant par l'image quelques précieuses informations sur les différences de caractères entre Dee et Yushi, deux rivaux qui seront amenés à étroitement collaborer et dont les actions seront complémentaires.
Rappelons brièvement le contexte : en plein conflit avec l'empire Beyong, l'impératrice consort Wu Zetian affrète sa flotte qui sera décimée par ce qu'il semble être une immense créature marine dont nous verrons seulement les remous et dégâts causés. Afin de faire la lumière sur ce qu'elle estime être un acte de sabotage, Wu Zetian dépêche Yushi l'officier en charge du Da Lisi (le Ministère de la Justice appelé aussi Temple Suprême). Débarqué de sa province, l'ex-juge Dee venant prendre ses fonctions au Da Lisi va s'immiscer dans cette aventure où il sera question de monstres déroutants, de complot à base de thé empoisonné, de superstitions, de grand amour contrarié, de jeune femme à la beauté irréelle et de combattants diaboliques. La plupart de ces éléments vont ainsi être énoncés et liés au sein d'une séquence d'exposition ménageant contextualisation essentielle et pistes narratives développées par la suite.
Après un générique sur lequel la musique de Kenji Kawai rythme des images figuratives sous-marines, un premier raccord nous ramène dans la fiction avec ce qu'il semble être la pupille d'un oeil monstrueux mais qui s'avère être une tasse de thé. Le récipient est alors pris par les mains d'une belle jeune femme en tenue traditionnelle. Tandis que l'on entend Dee en voix-off s'exprimer sur ce qui agite la ville de Luoyang, un dragon carnavalesque apparaît en arrière-plan de la jeune femme buvant le thé.
En quelques images, Tsui Hark vient de présenter et imbriquer trois motifs (thé - femme - dragon) d'importance. En les extrapolant par la suite, le réalisateur les transformera en confrontation de l'Art, de la beauté et de la déshumanisation
On poursuit avec l'évocation des superstitions enserrant la ville : un premier plan de personnages priant devant des bâtons d'encens, puis un plan d'ensemble de la ville avec une caméra panotant vers la gauche pour montrer le centre d'intérêt de tous, le cortège transportant la courtisane, Yin Ruiji, vers le temple du dragon où elle devra demeurer en attendant le sacrifice devant apaiser le mythique Dragon des mers.
Le passage de la consommation du breuvage sacré au défilé s'effectue par le biais du dragon cérémonial parcourant les plans cités plus haut. Là encore, une habile manière pour le sifu de montrer à quel point la présence de cette bête va infuser le métrage.
Tandis que Dee poursuit en voix-off, il apparaît enfin à l'écran, debout parmi la foule, regardant vers la gauche de l'écran le passage de la procession. Il se tourne alors cette fois vers la droite de l'écran pour s'intéresser à l'irruption de Yushi et ses hommes. Spacialisation rapide et efficace afin de repérer facilement la place de chacun. D'autant plus que l'on notera l'exceptionnelle composition du plan où trois niveaux sont constitués, la tête de Dee occupe la gauche de l'écran regardant en direction du groupe de Yushi situé à l'autre extrémité du cadre et sous une reproduction de pierre d'un dragon, tandis qu'un élément nouveau attire l'attention au milieu de l'écran : un groupe de trois hommes (marchands ?) qui se détache de la masse par sa position surélevée puisqu'ils sont sur une carriole.
Le monologue de Dee prend fin après qu'il ait expliqué que cet homme deviendra autant un rival qu'un ami au moment où ce dernier s'apprête à s'entretenir avec ses hommes.
Là , Tsui Hark va s'ingénier à illustrer par l'image le talent de Dee à lire sur les lèvres. Une appropriation du langage qui ne dépareillerait pas chez McTiernan. La lecture sur les lèvres s'apparente alors quasiment à un super pouvoir d'ouïe extraordinaire et se matérialise par un flou des bords du cadre pour se focaliser sur le personnage au centre, associé à un travelling avant revenant vers Dee psalmodiant ce qu'il déchiffre. Où comment illustrer plus qu'un passage, une véritable absorption des mots.
Puis, un des hommes que Yushi a envoyé rejoindre le port tente de fendre la foule à cheval. Ce dernier se cabre et provoque une certaine panique parmi les badauds dont l'agitation et la bousculade crée une onde se propageant jusqu'à la carriole des hommes que nous avions repérés quelques plans plus tôt. Sous l'effet de cette vague engendrée par un cheval (manifestation métaphorique de l'équidé aquatique que chevauchera Dee dans l'épique final), un de leurs ballots se détache et commence à chuter sur une femme tombée à terre à proximité.
C'est alors que va s'exprimer toute la célérité des futurs opposants/alliés dans une succession de plans rapides qui, en montrant leurs différentes façons d'intervenir, illustrera leurs différences de caractères.
Dee va se précipiter à terre pour servir de bouclier humain à cette pauvre femme, mettant ses mains en opposition pour repousser la menace. Yushi fait preuve d'une aussi grande vitesse pour sauter puis s'élancer et détourner le danger grâce à son grappin, terminant son envolée sur deux paquets en osier.
Dee, c'est avant tout la réflexion faite homme, certes doté de capacités martiales retentissantes mais ce n'est pas ce qui le caractérise. Le contraire de Yushi, défini avant tout par ses sauts fantastiques et ses talents d'épéistes. En usant de son sabre, d'une chaîne ou de projectiles tranchants, il maintient une distance avec son adversaire alors que Dee, qui n'a pas d'arme, privilégie le contact physique en opposant ses mains ou ses pieds pour parer les coups, instaurant d'emblée une proximité que l'on retrouve dans sa manière de communiquer, de côtoyer les autres. Deux techniques divergentes qui en disent long sur leurs utilisateurs respectifs. Dee, de par son caractère posé, est donc plus défensif que l'impulsif Yushi qui se montre lui extrêmement offensif. Tsui Hark instaure ainsi l'enjeu déterminant de leur union pour défaire les mystères et dangers à l'œuvre.
Et en quelques images, Tsui Hark rappelle également la verticalité qui imprègne le monde de l’impératrice et à laquelle s’opposent les déplacements transversaux de Dee, homme de l’horizontalité et de l’ombre.
Et une fois la femme sauvée, apparaît la courtisane avec une nouvelle image de très belle et pertinente composition : la courtisane occupe le premier plan du cadre, reléguant les épéistes en arrière-plan. Ces derniers, et avec eux le reste des passants, sont totalement subjugués, presque paralysés par sa beauté, les seuls mouvements étant ceux graciles de la jeune femme et des voiles rouges accrochés à ses bras.
Une beauté hypnotique qui sera par la suite plusieurs fois mise en valeur lorsque chacun (bad guy ou non) ne pourra s'empêcher, en la contemplant, de caresser des doigts le contour de son visage. Une attitude ici énoncée avec grâce pour terminer l'exposition.
Il ne restera plus à Yushi qu'à quitter le cadre sur un énième saut acrobatique pour laisser Dee sortir de la scène et enchaîner directement sur la séquence où il rencontrera le groupe d'hommes fomentant d'enlever Yin Ruiji.
Voilà comment en quelques minutes et plans Tsui Hark parvient à présenter le contexte de son intrigue tout en tissant quelques correspondances visuelles qui trouveront plus tard un écho et un développement plus poussés. Et ce sans jamais être poussif et sans sacrifier la fluidité du récit.
DI RENJIE: SHEN DU LONG WANG
Réalisateur : Tsui Hark
Scénario : Tsui Hark, Kuo-fu Chen & Chia-lu Chang d’après l’œuvre de Robert Van Gulik
Production : Kuo-fu Chen, Tsui Hark, Nansun Shi, Zhongjun Wong
Photo : Sung Fai Choi
Montage : Chi Wai Yau
Bande originale : Kenji Kawai
Origine : Chine
Durée : 2h14
Sortie française : 6 août 2014