Boulevard De La Mort

J'te croyais mort, Snake

Affiche Boulevard de la Mort

Ah, qu'il l'est loin le temps des Une Fille Dans Chaque Port, des héros misogynes de Peckinpah et autres Snake Plissken ! Le monde d'aujourd'hui a bien changé : John McClane n'est plus qu'un débile mental épaulé par un informaticien, on ne s'étonne plus de croiser des mecs maquillés dans le métro, Lara Croft a pris la place d'Indiana Jones et le gros mâle à l'ancienne, castré par le monde moderne, est sur la pente descendante.


Voulant se voir comme un cinéaste macho, sorte de croisement bizarre entre William Friedkin, Jean-Luc Godard et Brian DePalma, Tarantino l'a bien compris et semble quelque peu préoccupé par la question.

SLASH
Ca n'aura échappé à personne, Boulevard De La Mort est séparé en deux parties bien distinctes. Souhaitant probablement faire référence à Psychose, le premier slasher de l'histoire, Tarantino tranche (to slash, en anglais) violemment son film en son centre en tuant ses personnages principaux. Après une scène d'hôpital où un policier vient nous expliquer ce qu'on a déjà vu et compris (scène également inspirée du film d'Hitchcock), l'histoire reprend avec d'autres personnages.
Par contre, ce qui aura peut-être échappé à la majorité du public, c'est que ces deux parties symbolisent deux époques : les années 70 et le présent.

Ainsi dans la première partie du film, les couleurs sont délavées. Il y a des scratches partout sur la pellicule, des sautes d'images au début de certaines scènes, des bobines manquantes. Les références au monde moderne sont réduites au strict minimum (un téléphone portable), et tout le reste n'est que vieux juke-box, vielles bagnoles et vieilles musiques. On traite Rose McGowan de hippie. On écoute les Who. Bref tout concourt à nous faire penser que nous sommes dans un film des seventies, quand bien même l'histoire se passerait en 2007 !

En revanche, dans la deuxième partie tout ça est balayé d'un revers de main. Après un panneau "14 mois plus tard" et un bref passage en noir et blanc (le temps que Stuntman Mike s'en aille), la couleur revient. Avec elle, disparaissent les sautes d'image, les rayures de pellicule, les problèmes de son, les bobines manquantes. L'image est bien propre et nette. Les références à la sous-culture récente fusent : Scary Movie, Vogue, Marie-Antoinette, Les Experts, The Rock (l'acteur, pas le chef-d'oeuvre), iPod, Lindsay Lohan... Les couleurs sont saturées, Tarantino bombardant le spectateur de couleurs primaires (le jaune pétant de la voiture et de la cheerleader, le rose du t-shirt de Rosario Dawson, les panneaux publicitaires, les couleurs bigarrées des marques de soda dans l'épicerie...).

Boulevard de la Mort
 
Boulevard de la Mort
 


GIRL POWER
Une nouvelle fois, Quentin Tarantino met en parallèle un genre minoritaire habituellement sous-estimé et raillé par la "majorité culturelle" (le Rape and Revenge) avec une population minoritaire tout aussi méprisée (les femmes). Et il nous en montre les bouleversements. Car si Tarantino choisit de baigner la première partie de son film dans une ambiance 70's, ce n'est pas uniquement parce qu'il trouve ça rigolo de mettre des scratches sur la pellicule (comme son camarade Robert Rodriguez), mais surtout parce qu'aux États-Unis comme en France, c'est dans ces années là que le féminisme a pris son essor. Et c'est donc à partir de cette période charnière que les femmes vont prendre le pouvoir...

Le vrai jeu du film, au delà de s'amuser à repérer toutes les références (ce qui en soi ne sert pas à grand chose), est de mesurer l'évolution des rapports hommes / femmes entre les années 70 et aujourd'hui. Il paraît clair qu'en séparant son film en deux, en nous montrant deux moments du temps, le passé et le présent, Tarantino observe les changements comportementaux de ses personnages mis dans une même situation. C'est pourquoi tout semble si symétrique, les personnages reprenant les mêmes sujets de discussions, les mêmes positions et évoluant dans les mêmes décors (dans les deux parties, les premières scènes de dialogues ont lieu dans une voiture puis dans un bar). L'intérêt de ces analogies étant de faire ressortir les différences. Ainsi, à travers ces discussions, on remarque que les filles de la deuxième partie du film sont moins manipulatrices que celles de la première. Alors que pour celles-ci, tout le jeu de la séduction consiste à faire patienter indéfiniment leurs prétendants, à ne pas leur donner ce qu'ils désirent pour pouvoir les manipuler à loisir ("- but what is "the thing"? - You know, it's everything but"), à être exigeantes à l'extrême ("What about "kinda cute, kinda hot, kinda sexy, hysterically funny, but not funny-looking guy who you could fuck" did you not understand?" (et ça juste pour un lapdance !)), optimisant au maximum leur pouvoir de séduction. A l'inverse, les filles du "présent" reconnaissent qu'il faut leur en donner un peu sans quoi ils iront voir ailleurs : "you can start by giving that motherfucker a hand job".

boulevard de la mort 03
 

Mais Tarantino pointe aussi du doigt quelques paradoxes. Car le monde des 70's est un monde où les filles se la jouent badass, mais où paradoxalement, elles sont dépitées de passer des soirées entières sans se faire draguer (elles compensent d'ailleurs en "jouant" une hypothétique scène de drague entre filles dans le premier bar, qui finira par se reproduire avec Stuntman Mike.) Autre paradoxe : Jungle Julia, la plus couillue et la plus sûre d'elle d'entre toutes, se cache pour échanger des textos sur fond de musique ultra-romantique tranchant violemment avec le rock qui s'échappe du juke box... au point que la différence entre ce qu'elle montre et ce qu'elle est devienne risible. Dans la deuxième partie, tout ça disparaît, laissant place à un compromis entre les filles qui ne laissent pas faire et les filles qui assument leurs envies. On remarque néanmoins qu'un darwinisme social d'une violence rare est apparu, puisque la plus faible, la plus "fille" de toutes, celle qui est habillée en cheerleader, qui chante, qui se permet de citer John Hughes et de ne pas connaitre Vanishing Point, est celle qui est mise de côté (et même bien pire) par ses propres "amies". Abernathy, également sur la sellette (elle achète le Vogue italien), parvient à participer au "Ship's Mast" et à devenir aussi "forte" que ses copines. C'est ainsi elle qui portera le coup de pied fatal au pauvre Mike.

VANISHING MAN
Côté mec, ce n'est pas très glorieux. Dans le "passé", les quelques hommes présents semblent avoir beaucoup de mal pour arriver à leurs fin avec les filles. Nate (Omar Doom) et Dov (Eli Roth, qui dit s'être entraîné pendant trente ans pour interpréter son rôle de "loser juif") tentent d'échafauder un plan. Mais les filles les remarquent à peine et les prennent plus comme des amis que comme d'éventuels partenaires sexuels. Des deux prétendants, seul Nate parvient à quelque chose après avoir supplié la fille comme un gamin demande un jouet à sa maman. "Okay, just stop with the whining. It's not attractive.", lui répondra sa conquête.

Boulevard de la Mort
  
Boulevard de la Mort
 

Non, en réalité le seul personnage qui tient tête aux filles, le seul dragueur macho, dernier écho du mec à l'ancienne, c'est bel et bien Stuntman Mike. Celui-là même qui est moqué par Nate et Dov va se révéler bien meilleur qu'eux et même les effacer de l'histoire (dès qu'il passe à l'offensive, on n'entend plus parler des deux autres.) Mike est encore impressionnant (il ne le restera pas longtemps), Arlene (Vanessa Ferlito) lui avouant même avoir peur de lui. Il sera le seul à la draguer ouvertement, et même à se faire draguer par Pam (Rose McGowan, blonde comme dans Scream). Incontestable mâle alpha de la soirée, il sera au final à la fois celui qui obtient le lap-dance (en capitalisant sur une Arlene déprimée de ne pas s'être faite draguer de la soirée) et celui qui ramène Pam chez elle.

Si dans le passé le macho était gentiment moqué (de préférence dans son dos), dans le présent le cascadeur perd beaucoup de sa superbe et finit par se faire humilier par des cascadeuses aux mêmes références cinématographiques (les filles vantent Vanishing Point dans la deuxième partie comme Mike le faisait dans la première), se faisant battre sur son propre terrain. On notera que dans cette deuxième moitié de film, les hommes sont quasiment absents de l'écran. A part Mike, on ne croise que deux mâles (et pas vraiment des symboles de virilité : l'un vend ses Vogues italiens, l'autre est un bouseux grognant...). Manière de nous faire comprendre que dans le monde moderne, l'homme est vraiment fini. Au point de disparaître de l'image. Car c'est quand il arrive sur la 4-voies que Stuntman Mike perd tout ce qui lui restait de puissance. Sa monture fait tache au milieu des voitures à embrayages automatiques et à la direction assistée. Il n'est plus dans son élément et finit par se ramasser sur la modernité (il passe à travers l'affiche d'un Scary Movie). En position de force, les filles prennent logiquement le pouvoir en cognant le cul de la voiture de Mike (hurlant : "Tapping that ass !!"). Les rôles des sexes s'en trouvent complètement inversées. Le viol symbolique est maintenant commis par les filles sur un homme pleurnichant.

LA GUERRE DES GENRES
En authentique DJ cinématographique (le final avec ses coups de poings "scratchés" étant une confession de cet état de fait presque trop littérale), Tarantino fond passé et présent, transforme le ringard en moderne (il prend des acteurs quasi-finis pour les rendre de nouveau à la mode) et le moderne en ringard (il émule l'image du passé avec les techniques d'aujourd'hui, les seuls effets spéciaux du film servant à rendre le film plus vieux !), filme des cascades à l'ancienne qui font tout drôle après Matrix Reloaded et n'hésite pas à mélanger ses influences.

Mais surtout, constatant que le progrès rendait la figure du macho de western complètement dépassée, Quentin Tarantino met en parallèle l'évolution du cinéma et l'évolution des rapports hommes-femmes : il nous montre un type de mâle sur le déclin qui regrette le temps où le cinéma produisait encore des cascades en vrai, le temps où on avait encore besoin d'Hommes avec un grand H pour faire des films. Car aujourd'hui, toutes les cascades sont faites en images de synthèse par des armées de geeks à lunettes devant leurs ordis, et c'est justement là que la femme joue sa revanche sur l'homme. Le fait que dans la deuxième partie du film, toutes les filles travaillent dans le cinéma n'est donc pas innocent. Le cinéma, comme quasiment tous les métiers aujourd'hui, n'a plus besoin de dur-à-cuire. Ceux-ci sont donc voués à se crasher sur le bas-côté de l'autoroute du progrès. Mais dans le film de Tarantino, ce sont les femmes qui deviennent machos, reprenant les métiers délaissés par les hommes (d'ou la présence de Zoe Bell, vraie cascadeuse) et formant une synthèse étrange entre féminité et virilité.

En ce sens, Boulevard De La Mort fait gravement penser à Ghosts Of Mars dans lequel John Carpenter, vingt ans après son The Thing composé d'un casting intégralement masculin, racontait un futur ou les femmes avaient pris les commandes de la société. Une société matriarcale dans lequel le vieux macho était devenu complètement archaïque et tout juste bon à la reproduction. L'analogie peut même aller encore plus loin puisqu'il aura fallu quinze ans à Tarantino pour passer d'un Reservoir Dogs sans personnage féminin à un Boulevard De La Mort désintégrant un des derniers symboles de masculinité : Kurt Russell, qui devait tout à John Carpenter.

Homme devenu absent, inutile et faible. Femmes s'emparant des rênes du pouvoir... Comme dans Ghosts Of Mars, le dernier Tarantino prophétiserait-il le lesbiannisme comme voie du futur ? C'est en tout cas ce que semble laisser présager le cinéaste en faisant le choix de conclure son film par le morceau Chick Habit, repiqué à la bande-son de But I'm A Cheerleader, comédie américaine de 1999 sur une lesbienne naïve qui s'ignore...

GRINDHOUSE: DEATH PROOF
Réalisateur : Quentin Tarantino
Scénario : Quentin Tarantino
Production : Quentin Tarantino, Robert Rodriguez, Weinstein Brothers
Photo : Quentin Tarantino
Montage : Sally Menke
Bande Originale : Robert Rodriguez
Origine : USA
Durée : 1h50
Sortie Française : 6 juin 2007




   

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