Welcome + L'Enquête
- Détails
- Critique par Nicolas Bonci le 23 mars 2009
Frontière(s)
Disons que l'abolition progressive des frontières et la mondialisation des échanges ne seraient profitables qu'aux orchestrateurs de la chose, les puissants fortunés et leurs valets politiques, et on nous répondra : "Vision caricaturale et naïve !". C'est pourtant ce qu'illustrent deux films sortis le 11 mars dernier.
Dans Welcome de Philippe Lioret, nouveau film préféré d'Eric Besson, nous suivons un kurd transi d'amour et bientôt de froid dans sa désespérante tentative de traverser la Manche à la nage pour rejoindre Londres et son amour d'Irak promise à un mariage de complaisance avec un cousin restaurateur. Suite à une tentative ratée de rallier la toujours perfide Albion en s'adjoignant les services d'un passeur pour la modique somme de cinq cents euros, Bilal rencontrera Vincent Lindon, maître nageur et surtout sauveteur qui, après avoir libéré sa femme cet hiver, se lance dans une autre cause aussi perdue qu'émouvante.
Propos oblige, le réalisateur de L'Equipier filme à mi-distance, prenant toutes les précautions possibles pour permettre aux faits d'exister sans être englués dans un pathos qui aurait rendu tout le projet caduc. Gris et froid comme Calais, le nouveau Lioret pioche allégrement dans les ressorts conventionnels de la tragédie pour transformer ce manifeste en objet de cinéma avant d'en faire un objet de salon de thé où souvent l'idée du film prend le dessus sur le film lui-même. Là est sa plus grande qualité : ne se reposant jamais sur l'alibi de l'engagement social pour bâcler son écriture et ses axes dramatiques, Lioret pose scène après scène les briques d'une démonstration carrée, enfermant ses deux personnages mus d'avantage par amour que par conviction politique (Simon, le personnage de Lindon, ne veut qu'impressionner son ex-femme) dans une spirale hors-la-loi qui paraît ainsi totalement absurde : partager une pizza avec un clandestin amène les flics chez vous, donner des cours de natation pour empêcher le malheureux Bilal de se noyer fait de Simon l'équivalent d'un passeur encourant une peine de cinq années de prison. Résultat : tout ce qu'il engage dans cette lutte lui reviendra à la figure sous plastique (sa médaille de natation, la bague de son ex, Bilal) dans une scène qui confinerait au cynisme si elle n'était pas la conséquence d'un système lui-même cynique et pourtant bien réel.
Ce qui reste étonnant et cynique, c'est cette polémique née après l'analogie avec la Gestapo faite par l'auteur dans le making of diffusé sur Canal +, quand cette même analogie est déjà présente au sein du film, sortant de la bouche d'un des personnages. Alors de deux choses l'une : ou les journalistes ayant chroniqué Welcome n'y avaient pas fait attention, ou bien il suffit qu'un Ministre exprime son désaccord avec ce qui paraît assez évident à tout une salle de critiques de cinéma pour que cela devienne subitement contestable au point qu'éditorialistes et responsables de rédactions se demandent si Lioret n'est pas allé trop loin. Pour sûr, une prise de position autre que "les spectateurs nous volent" et "la guerre c'est moche", il y a de quoi décontenancer nos médias, surtout si papa gouvernement gronde. Vite, un blockbuster anémique de Jean-Paul Salomé pour un public de terroristes qui ne le mérite pas, un pensum scolaire sur la difficulté de bander dans de la soie quand votre père vous a déféqué dessus à l'âge de cinq ans par Breillat, et l'engagement politique des cinéastes français sera sauf !
Pendant que Lioret filme des frontières fermées pour les sans-thunes, Tykwer revient après son formidable Parfum (réputé tellement inadaptable que la presse mettra bien dix ans à se rendre compte que finalement il a été très correctement adapté) avec un thriller international dans lequel des escrocs banquiers revendeurs d'armes jouissent de cette fameuse libre circulation des biens et des personnes. Clive Owen y interprète un agent d'Interpol cherchant à confondre ces dirigeants d'établissement financier échappant à toute forme de loi du fait de l'internationalisation de leurs activités.
Tykwer quitte donc un temps ses quêtes mystiques pour dépeindre la course contre la montre (oui ça, ça ne change pas) d'un héros insomniaque se débattant dans un engrenage politico financier, une quête bien plus terre-à -terre mais non moins insurmontable comme l'illustrera le générique final. Se rapprocher du concret n'empêche pas moins Tykwer d'exploiter ses marottes, il s'arrangera juste pour les accommoder au genre. Ainsi, le sujet se prêtant peu aux expérimentations visuelles, le cinéaste allemand les intégrera au sein de la diégèse avec une très longue scène de fusillade prenant place dans le musée Guggenheim de New York, histoire de rester en territoire familier. Quant à ses fameuses conclusions célestes (The Princess + The Warrior, Heaven…) Tykwer contourne la contrainte en nous emmenant sur les toits d'Istanbul pour le face à face final. Malin.
Cela ne suffit toutefois pas à rendre très palpitant ce va-et-vient international, mais L'Enquête possède au moins le mérite d'être beaucoup plus clair dans ses intentions et sa construction que les récentes productions analogues, Michael Clayton en tête. Probablement parce que le scénariste Eric Warren Singer s'est inspiré d'un cas réel survenu en 1991 (nous attendons l'intervention d'un Ministre pour nous expliquer que tout ceci n'est que pure fiction).
Cas réel qui démontre qu'il n'est nullement nécessaire de voyager dans une remorque avec un sac en plastique sur la tête pour créer des conflits de toute pièce et vendre des armes. Par contre, pour ce qui est de retrouver sa fiancée…
WELCOME
Réalisateur : Philippe Lioret
Scénario : Olivier Adam, Emmanuel Courcol & Philippe Lioret
Production : Christophe Rossignon
Photo : Laurent Dailland
Montage : Andréa Sedlackova
Bande originale : Armand Amar, Wojciech Kilar & Nicola Piovani
Origine : France
Durée : 1h50
Sortie française : 11 mars 2009
THE INTERNATIONAL
Réalisateur : Tom Tykwer
Scénario : Eric Singer
Production : Lloyd Philips, Charles Roven, John Woo…
Photo : Frank Griebe
Montage : Mathilde Bonnefoy
Bande originale : Reinhold Heil, Johnny Klimek & Tom Tykwer
Origine : USA / Allemagne
Durée : 1h58
Sortie française : 11 mars 2009