Wall-E

La nouvelle EVE

Affiche Wall-E

Happy Feet en avait déjà fait la démonstration dernièrement : au-delà des mots et de la musique, il y a des sons, outils universels de la communication entre les êtres.


Aussi conviendrait-il de contredire une large partie du public et de la critique qui semble voir en Wall-E, le dernier tour de force du studio Pixar, un film dont la plus grande audace serait d’être quasi-muet. Plutôt étrange quand on constate que, du début à la fin du métrage, le héros ne cesse de servir de médiateur entre le monde des humains et celui des machines, ses bruits électroniques exprimant clairement chacune de ses émotions.  

Certes, Wall-E comporte fort peu de joutes verbales. Néanmoins, il serait absurde de ne pas tenir compte du langage propre à cette machine chargée, depuis 700 ans, de nettoyer la Terre devenue un dépotoir géant. On ne s’étonnera pas de trouver au générique le nom de Ben Burtt crédité en tant que sound designer, le bonhomme ayant entre autre été révélé grâce à Star Wars (la "voix" de R2-D2, c’est lui). Par un travail subtil de mixage, Burtt a crée un univers sonore cohérent et d’une immense richesse, conférant à chacune des machines une étonnante humanité. A ce titre, la première partie du film est remarquable dans sa capacité à nous attacher à Wall-E en distillant un sentiment de profonde solitude. Les plans larges sur la planète poubelle ne font que rendre plus minuscule, fragile et adorable ce personnage s’activant à sa tâche, comme perdu dans le cosmos et oublié depuis longtemps (le film débute d’ailleurs sur des plans de l’Univers avant de s’arrêter sur notre Terre désertée). Il suffira de quelques plans apocalyptiques sur des tas d’ordures sculptées en formes d’immeubles et accompagnés d’un enregistrement musical tiré d’Hello Dolly pour susciter chez le spectateur une profonde tristesse et un attachement total envers le héros fragile. Dépourvu de bouche, ce dernier nous ramène irrémédiablement à la figure comique de Buster Keaton, acteur dont le perpétuel regard triste avait pour fonction d’attiser la compassion de l’audience tout en se contraignant à la faire rire uniquement par sa pantomime. Andrew Stanton et son équipe se sont de toute évidence inspiré de cet art du muet  pour développer toute une palette d’expressions sans avoir recourt à tous les traits du visage. La peur, l’émerveillement ou la surprise de Wall-E passent donc par une gamme de détails plus ou moins subtils (reflets d’étoiles sur les lentilles de verre, "sourcils" mécaniques se dressant soudainement, mouvement des roues motrices plus ou moins bondissantes, parties mécaniques capables de se rétracter pour évoquer la discrétion…) tout en s’inscrivant dans le genre du slapstick.    

Wall-E
 

Figure d’innocence par excellence, Wall-E nous ramène quelque part au Cinéma de Miyazaki par cette façon délicate de porter un regard d’enfant sur le monde pour mieux questionner les adultes sur l’héritage qu’ils souhaitent laisser aux futures générations. Aussi, il n’est guère surprenant de penser à Charlie Chaplin en découvrant l’antre du robot, sorte de chambre d’enfant faîte de bric et de broc rappelant le personnage de Clochard et son intérieur bourgeois fait de détritus. Tout comme il est difficile de ne pas songer à une œuvre telle que Les Temps Modernes en observant Wall-E qui, à la manière de Charlot, va devenir le grain de sable dans une machinerie cauchemardesque abrutissant l’être humain. La maladresse, la naïveté et l’extrême gentillesse du robot en toute circonstance sont autant d’éléments rassurants contrastant avec le spectacle anxiogène que Pixar offre à nous. Car le futur décris ici n’est autre qu’un monde où la sur-consommation a épuisé toutes les richesses de la Terre, obligeant l’Homme à fuir pour vivre dans un confort artificiel censé l’endormir. Publicité omniprésente, mécanisation excessive afin d’éviter tout effort physique (même un acte aussi simple que se déplacer à pieds n’est plus possible), abrutissement général avec l’encensement des toutes valeurs superficielles (le dernière combinaison de couleur à la mode) au détriment de toute culture (on n’ouvre plus un seul dico et on ignore le sens de mots aussi simple que "danser")… La réalité du monde a laissé place à un monde d’images et de simulacres, le réseau informatique s’est substitué aux échanges physiques (les gens ne se parlent plus que par hologrammes interposés). Fort logiquement, l’homme n’est plus devenu lui-même qu’une image, façonnée par la pub et des envies dictées par des programmes. Il n’est plus réel, comme ces vrais acteurs aperçus au détour de séquences vidéos (extraits de films, discours du Président). Il a évolué vers le virtuel, comme l’indique la succession de portraits dans la salle de commandement, schéma d'une évolution grotesque, ou plutôt d'une régression vers l’enveloppe digitale ronde, molle et vide.     

Wall-E
 

Wall-E nous parle de toute évidence des dangers que la virtualité peut représenter si celle-ci prend le dessus sur notre rapport direct au monde réel. Vivre au contact de la terre plutôt que chercher à bâtir une société hyper-réelle dominée par les images de pub. Prendre soin de la planète sans en gaspiller ses ressources. Rester curieux au lieu de s’abrutir. Et surtout : sortir du rang pour ne plus accepter la société qu’on l’on nous vend aujourd’hui.
Avec son aspect rouillé, abîmé et sale, le petit Wall-E jure avec le monde lisse et aseptisé du futur. Alors que tout sur le vaisseau Axiome est organisé de manière étouffante et absurde (les robots de nettoyage et policiers suivent des lignes au sol dont ils ne peuvent s’écarter, les humains sont guidés sur des fauteuils automatisé ne déviant jamais de leur trajectoire), Wall-E va être le moteur du chaos, bouleversant l’Ordre en place pour faire naître un monde nouveau. Il sera involontairement le moteur de la rébellion. On se régale ainsi des ces séquences où la petite machine perturbe la circulation en créant la panique, jusqu’à cet étourdissant ballet dans l’espace où les jeux de lignes droites (symbolisant l’ordre et un avenir dont on ne peut dévier) laissent place, par la grâce d’un extincteur, à une chorégraphie de courbes empruntant des virages inattendues. Tel un Buster Keaton faisant dérailler la locomotive dans Le Mécano De La General, Wall-E déclenche malgré lui des catastrophes qui conduiront à l’anéantissement du monde devenu une prison d’illusions. Des machines devenues folles vont détruire des hordes de robots-policiers, l’humanité va empruntant le chemin de l’Evolution dans un superbe hommage à 2001 (l'Homme capable de se redresser sur ses pattes et détruisant un jumeau de l'ordinateur HAL) et un Nouvel Eden pourra alors naître, Eden né de l’amour d’un robot pour une nouvelle Eve. Finalement, comme le soulignera le superbe générique de fin, Wall-E ne parle jamais que de l’Histoire de l’Humanité, celle qui a déclenché elle-même l’Apocalypse (superbe vision d’un héros contemplant le pouvoir destructeur de sa bien aimée face à des paquebots en flammes) et qui ne pourra renaître qu’une fois que les hommes accepteront de se prendre par la main dans un geste de communion et d’amour envers la planète et envers eux-même.

Film le plus ambitieux du studio Pixar, Wall-E est aussi le plus sombre, le plus profond et le plus beaux à ce jour. En revenant au Cinéma des origines, Andrew Stanton est parvenu à conférer à son message écolo une étonnante universalité, tout en rendant au 7ème Art sa nature première : celle de raconter une histoire presque exclusivement par l’image. Décidément, après Speed Racer, il semblerait que cette année 2008 soit celle où les films les plus riches et les plus adultes soient ceux qui s’adressent d’abord aux enfants…

9/10
WALL-E
Réalisateur : Andrew Stanton
Scénario : Andrew Stanton, Pete Docter & Jim Reardon
Production : Jim Morris, Peter Docter & John Lasseter
Photo : Danielle Feinberg & Jeremy Lasky
Montage : Stephen Schaffer
Bande originale : Thomas Newman
Origine : USA
Durée : 1h30
Sortie Française : 30 juillet 2008




   

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